Le « Grenelle de l’Éducation », lancé par le gouvernement en septembre 2020, doit entraîner une « évolution profonde du système éducatif ». Parmi les promesses évoquées : celle de revaloriser dès 2021 les rémunérations des enseignant.e.s ; une enveloppe de 400 millions d’euros est prévue. La moitié de cette enveloppe devrait être destinée à une prime d’attractivité pour les jeunes professeurs. Il était temps. Car si l’on en croit le chercheur en économie Lucas Chancel, de Sciences Po Paris, la rémunération des enseignants n’a pas cessé de baisser depuis près de 30 ans. Il dépeint ce constat dans ce graphique :
Le graphique publié sur Twitter par Lucas Chancel, jeudi 28 janvier 2021
Le chercheur s’intéresse ici à la rémunération réelle, c’est-à-dire celle qui prend en compte l’augmentation des prix de la vie quotidienne (logement, alimentation, électricité, etc.). Même si le chiffre sur le bulletin de paie des enseignants a augmenté ces dernières décennies, il ne l’a pas fait aussi vite que le coût de la vie. C’est pourquoi les enseignants perdent en pouvoir d’achat.
Des conditions de travail qui se dégradent
Aujourd’hui, une professeure des écoles en tout début de carrière gagne 1800 euros brut, soit environ 1500 euros net [1]. Pour les professeurs de collège titulaires du Capes, le revenu est un peu plus élevé. « Au bout de dix ans de carrière, je gagne 1800 euros net, signale Sarah, professeure de physique-chimie dans un collège de Bourgogne et titulaire du Capes. Ma première année, je devais gagner autour de 1550 euros net. Le salaire est revalorisé quand on change d’échelon, mais j’ai gagné seulement trois échelons en dix ans, ce n’est pas beaucoup. »
Quand les enseignants arrivent au dernier échelon, il ne voient plus leur salaire augmenter. Et cela ne devrait pas changer. Selon Catherine, professeure d’allemand et de français en collège depuis plus de 30 ans, « le gouvernement va peut-être augmenter les rémunérations de début de carrière pour susciter des vocations chez les jeunes. Mais les "vieux", ils ne les augmentent plus, parce qu’ils savent que l’on ne va pas démissionner. » À l’absence de perspective d’augmentation s’ajoute une dégradation des conditions de travail. « Certains enfants vont mal, remarque Catherine. Je fais beaucoup de social, ce que je ne faisais jamais en début de carrière. Pour que les jeunes aient envie d’enseigner, il faudrait que l’on ait moins d’élèves dans les classes. »
Le taux d’inflation entre 1991 et 2020. Source : Insee.
Comment expliquer que la rémunération des enseignants ne soit pas corrélée à l’inflation ? « Comme pour les autres métiers de la Fonction publique, la progression du salaire des enseignants a été pénalisée par la faible augmentation du point d’indice, qui a été inférieure à l’inflation depuis une trentaine d’année. Celui-ci a même été "gelé" à certaines périodes, explique Jérôme Gautié, enseignant-chercheur en économie à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Autre problème : les enseignants ont bénéficié de moins d’augmentations indiciaires – c’est-à-dire d’ajouts de points d’indice – et de primes que d’autres métiers. »
Face aux critiques des enseignants, le ministère de l’Éducation nationale leur oppose souvent la possibilité de faire des heures supplémentaires. Or, comme l’explique Sarah, cette proposition n’est pas viable dans la réalité : « Dans les entreprises privées, quand les gens font des heures supplémentaires, ces heures sont majorées, elles sont payées plus. Pour les professeurs, ce n’est pas le cas. L’heure supplémentaire est même moins bien payée que l’heure normale à partir du milieu de carrière. Et puis, tout le monde ne peut pas en faire, ce n’est pas facile par exemple quand on a des enfants à charge.... » Pour Sarah, l’incitation aux heures supplémentaires est une fausse solution. « Beaucoup de collègues sont dans un état de fatigue nerveuse importante. Prendre des heures supplémentaires les amène parfois à se mettre en arrêt maladie. »
Les enseignants français, parmi les moins bien payés d’Europe
Par ailleurs, tous les professeurs de l’Éducation nationale ne sont pas titulaires. Les rémunérations des enseignants contractuels (qui ne sont donc pas fonctionnaires) sont encore plus basses et augmentent encore moins vite. « En tant que contractuel, on évolue beaucoup moins vite parce que nous connaissons beaucoup d’interruptions de contrats entre les remplacements, pendant lesquelles nous ne sommes pas payés, pointe Romain, enseignant contractuel d’histoire-géographie dans un collège de Bourgogne, qui souhaiterait être titularisé. À la longue, l’écart de rémunération se creuse… »
En réalité, la France est parmi les pays les moins bien classés en Europe en ce qui concerne la rémunération de ses professeurs. En témoigne ce graphique réalisé à partir des chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
En début de carrière, un enseignant de collège en France est deux fois moins payé que ses collègues d’Allemagne. Après 15 ans d’expérience, l’écart se creuse encore plus avec les Allemands et les collègues néerlandais gagneront deux fois plus que les enseignants français. Les enseignants sont aussi mieux payés en Suède, en Espagne, en Italie et au Portugal.
« Selon les données de l’OCDE, le salaire des professeurs est inférieur en France à ce qu’il est dans beaucoup d’autres pays », confirme Jérôme Gautié. Les enseignants français sont bien conscients de cet écart. « L’État mise beaucoup en France sur l’égalité des chances grâce à l’école, mais il n’y met pas les moyens », regrette Sarah.
Une augmentation moyenne de « 29 euros bruts mensuels par agent »
Le gouvernement a-t-il vraiment pris conscience du problème avec son enveloppe de 400 millions d’euros ? Ce n’est pas l’avis de Sud éducation pour qui « c’est une somme dérisoire rapportée aux plus d’un million cent-trente-mille personnels dans l’Éducation nationale » Finalement, cela revient en moyenne à « 29 euros bruts mensuels par agent.e », rappelle le syndicat. Pour Catherine aussi, enseignante depuis trois décennies, il s’agit surtout d’« effets d’annonces ».
De plus, un grand nombre de professeurs s’accordent à dire que leurs conditions de travail se sont grandement dégradées depuis des années. « On nous demande d’en faire de plus en plus avec un effectif d’élèves sans cesse en augmentation et de moins en moins de moyens, témoigne Patricia, professeure de français titulaire, qui travaille en collège depuis plus de 30 ans. Et plutôt que créer des postes, le gouvernement préfère distribuer des heures supplémentaires. Si nous avions les moyens pour travailler dans de meilleures conditions, le niveau du salaire passerait au second plan. » C’est également l’impression de Mathilde, professeure de français dans un collège Bourguignon : « Je pense que le salaire et les conditions de travail sont liés. Parfois, quand on a un salaire correct, on est capable d’accepter plus de choses que quand on est payé rien du tout et qu’on a des conditions terribles ».
Thalia Creac’h
Dessin : Rodho