Les demandeurs d’asile ne pourront plus effectuer de retrait en liquide. C’est une mesure, annoncée au cœur de l’été, qui risque de compliquer encore un peu plus le quotidien des exilés demandant l’asile en France. Ceux-ci bénéficient d’une aide de 6,80 euros par jour – soit 204 euros par mois [1] – le temps que leur dossier soit instruit. Il leur est ainsi remis une « carte d’allocation » qui leur permet de retirer de l’argent liquide – cinq retraits maximum chaque mois – pour effectuer leurs achats et paiements (rappelons qu’un demandeur d’asile a rarement la possibilité d’ouvrir un compte bancaire classique).
Sans aucune concertation, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, a adressé un courrier le 23 juillet aux gestionnaires d’établissements d’accueil de migrants : cette carte d’allocation est transformée en carte de paiement – comme une carte bancaire – mais sans son ancienne fonctionnalité pour retirer de l’argent liquide. « Elle permettra gratuitement 25 paiements, dans la limite de son solde, précise l’Ofii sur son compte Facebook. Au-delà, il sera décompté 0,50 € par opération. »
Des droits fondamentaux restreints
Garder de l’argent liquide sur eux serait dangereux pour les demandeurs d’asile, qui seraient la cible de rackets ou de vols, avance l’Ofii. Un salarié en centre d’accueil de demandeur d’asile considère davantage cette mesure comme un moyen pour le gouvernement d’empêcher les demandeurs d’asile d’envoyer une partie de leur allocation à leurs proches restés dans leur pays d’origine. Du côté du milieu associatif et des établissements concernés, « il est difficile de voir autre chose qu’un énième moyen de compliquer encore un peu plus la vie des demandeurs d’asile et de restreindre leurs droits fondamentaux » [2].
« Cette mesure va à l’encontre du besoin de liquidité pour les actes de la vie quotidienne », soulignent-ils, évoquant les achats de nourriture au marché, à la boulangerie, mais aussi le paiement à l’unité de tickets de transports ou l’accès aux laveries. C’est aussi oublier que certains commerces, en particulier en zones rurales où ont été créés plusieurs centres d’hébergement, ne sont pas équipés de terminal de paiement électronique ou n’acceptent pas les cartes de paiement en dessous d’un montant minimum de 10 euros.
Autre argument de l’Ofii : « Il s’agit aussi de contourner l’impossibilité pour les bénéficiaires de retirer moins de 10 euros en fin de mois car les distributeurs ne délivrent pas de billets inférieurs à cette somme ». Les associations rappellent cependant que le montant mensuel non dépensé est reporté sur le solde du mois suivant, comme pour n’importe quel compte. « Il y aurait un moyen très simple de contourner ce souci, préconisent-elle. Transformer la carte actuelle en carte "mixte", permettant à la fois les retraits en liquide et le paiement chez les commerçants » [3].
Décourager le recours à l’aide
Parmi les demandeurs d’asile, près de la moitié ne se voient proposer aucune solution d’hébergement. Certains n’ont d’autres solutions que l’hébergement d’urgence, dont certains nécessitent une participation symbolique. 50 centimes peuvent ainsi être demandés par certains accueils de nuits du 115. D’autres ne peuvent accéder qu’à des colocations avec paiement en liquide. « Cette mesure risque donc de favoriser encore plus la précarisation des demandeurs d’asile non hébergés », alertent les associations. Certaines voient là une manœuvre politique visant à décourager le recours à cette aide versée à 130 000 personnes en 2018, représentant un budget de 34,8 millions d’euros [4]. « Plus globalement, c’est une façon de décourager la venue des demandeurs d’asile en France », estime un salarié en centre d’accueil.
L’Ofii assure que le changement se base sur le « succès » de l’expérimentation de cette nouvelle carte en Guyane. Les associations soulignent qu’aucun résultat détaillé de cette expérimentation n’a été publié, « ce qui laisse à considérer comme peu crédible que l’expérimentation ait réellement été une réussite ». Face aux critiques des organisations de la société civile, l’Ofii a finalement décidé de reporter cette mesure du 5 septembre au 5 novembre, mais persiste à vouloir la mettre en place. Une pétition initiée par La ligue des droits de l’Homme et 80 autres associations, demande l’annulation de ce changement de fonctionnement et appelle à « une réflexion plus pragmatique avec les demandeurs d’asile eux-même et les structures qui les accompagnent ».
Photo : Ofii