« Nous voulons une victoire écrasante, trop importante pour être truquée. » Dans ses meetings dans les « swings states », ces États-clés sans préférence claire pour l’un ou l’autre candidat comme la Pennsylvanie ou la Géorgie, Donald Trump agite le chiffon rouge d’une fraude électorale.
En 2020 déjà, le candidat Républicain avait utilisé cette rhétorique complotiste pour contester sa défaite. Persuadés que l’élection leur avait été « volée », le 6 janvier 2021, ses partisans avaient envahi violemment le Capitole pour en contester les résultats.
« Il faut se rappeler de la situation en 2020, quand Donald Trump n’avait pas le soutien des institutions du Parti républicain et que sa tentative de subvertir le résultat des élections était bien plus improvisée, mais avait déjà causé un énorme chaos », rappelle le journaliste du Guardian Archie Bland, dans le podcast « Today in focus » du périodique britannique.
Quatre ans plus tard, le candidat Républicain est toujours sur la même ligne. Mais cette fois-ci, souligne le journaliste britannique, les conséquences pourraient être bien plus graves : « Cette fois-ci, les Républicains et Donald Trump sont sur la même longueur d’onde et ils sont beaucoup plus organisés. L’élection semble se jouer à quelques milliers de voix dans quelques États clés. » Alors qu’une partie des américains a déjà voté, dans les bureaux ou par correspondance (certains États permettant de voter en amont du jour officiel des élections, le 5 novembre prochain), le narratif autour d’une manipulation des élections s’intensifie.
Lucy Hough, présentatrice du podcast, résume : « Dans les semaines à venir, nous pouvons nous attendre à de nouvelles allégations de fraude électorale ou de résultats truqués dans des États-clés. » Donald Trump et son parti ne sont pas les seuls à œuvrer pour instiller le doute chez les États-uniens. Ils peuvent compter sur le soutien d’organisations et de personnalités conservatrices.
Des « preuves » fabriquées de toutes pièces
Le think-tank et lobby conservateur The Heritage Foundation, à l’origine du « Projet 2025 », avait déjà repris à son compte en 2020 le narratif d’une élection truquée. « À l’approche des élections de cet automne, Heritage a joué un rôle de premier plan dans la diffusion du mensonge selon lequel les étrangers seraient nombreux à s’inscrire et à voter, préparant ainsi le terrain pour les personnes qui nient les résultats des élections, au cas où ceux-ci ne leur conviendraient pas », retrace Truthout.
Dans cette enquête, le média indépendant américain note que l’organisation conservatrice est passée à la vitesse supérieure pour l’échéance électorale de novembre : « Aujourd’hui, ses efforts pour saper la confiance dans les élections ont pris une nouvelle tournure dangereuse : un travail sur le terrain visant à rechercher des fraudes électorales là où il n’y en a pas. »
Le site raconte comment des personnes envoyées par The Heritage Foundation ont été toquer aux portes, se faisant passer pour d’autres et filmant les gens à leur insu, afin de savoir s’ils étaient inscrits sur les listes électorales (ce qui est impossible pour des étrangers). Ces vidéos étaient censées prouver une prétendue fraude - démentie par les autorités. « C’est une manière d’intimider des électeurs en violation des lois fédérales et de l’État, et de semer le doute sur l’intégrité de nos élections », dénonce Truthout.
De son côté, le milliardaire Elon Musk use de sa fortune pour s’assurer de la victoire de Donald Trump, en promettant un million de dollars par jour à des personnes des « swing states » qui signeraient une pétition de lui (pro-Trump), retrace le média polonais OKO.press. Au-delà des millions dépensés dans la campagne de Trump, Elon Musk a aussi mis son réseau social, X, à profit.
Lundi 21 octobre, à quelques jours des élections, « X a ajouté une prétendue "communauté d’intégrité électorale" — un flux où les utilisateurs du site peuvent ajouter des exemples "de fraude électorale ou d’irrégularités que vous avez constatées en votant lors de l’élection de 2024" », raconte Mother Jones.
Générateurs de doute
Le fil de tweets est rempli de messages, images et vidéos mettant en doute l’intégrité des élections. Cela pourrait avoir l’air relativement inoffensif, écrit le site américain, mais « la droite utilise des craintes injustifiées concernant [le vote] des immigrés sans-papiers et des personnes décédées pour inciter sa base à surveiller de près les bureaux de vote, ce qui pourrait conduire à des violences le jour du scrutin. »
En 2020, à Détroit, des électeurs et militants conservateurs ont tambouriné sur les vitres d’un bureau de vote, hurlant « d’arrêter le décompte », persuadés d’avoir été mis à l’écart pour mieux dissimuler une fraude électorale. En réalité, retrace ProPublica, le lieu avait « accueilli près du double du nombre de personnes autorisées à surveiller les bureaux de vote des deux partis », et avait donc dû en congédier. Mais le narratif de votes truqués au sein des bureaux est resté.
« À l’approche des élections de 2024, des militants ont pris des mesures pour se rapprocher de l’action, raconte le site d’enquête. Une coalition d’activistes de la droite politique, dont beaucoup ont fait de fausses déclarations sur la fraude électorale, recrute des agents électoraux pour administrer le processus eux-mêmes plutôt que de l’observer de l’extérieur. » Or, la présence de personnel de bureaux de scrutin déjà persuadés qu’une fraude va arriver risque de perturber le bon déroulement du vote, voire d’entretenir les théories du complot autour du scrutin.
« Si les membres du personnel électoral font part de leur expérience à des groupes qui ont l’habitude de diffuser de fausses allégations sur la fraude électorale, ils peuvent contribuer à renforcer la méfiance à l’égard du système et des résultats », écrit la journaliste Phoebe Petrovic dans son enquête. Selon un sondage de YouGov pour la chaîne américaine CBS, 47% des électeurs de Trump sont convaincus que la fraude électorale aura lieu à grande échelle lors de ces élections. À l’inverse, seulement 7% pensent qu’il n’y aura pas du tout de tentatives de manipulation du vote.
Emma Bougerol
Photo de une : Donald Trump en meeting dans l’Arizona, lors de sa campagne de 2016. CC BY-SA 2.0 Gage Skidmore via Flickr