« Implanter un port de plaisance sur une zone naturelle est un projet de boomer »

Débats

Christophe Guilloteau, président LR du Rhône, a supprimé le financement d’organisations écologistes pour avoir critiqué un projet de port de plaisance financé par la collectivité. « Rien ne va dans ce projet », rétorque une association locale.

par Alternatiba Villefranche Beaujolais Saône

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En fustigeant les « danseurs aux pieds nus », Christophe Guilloteau, président du conseil départemental du Rhône, prouve de quelle génération archaïque il fait partie. La lutte pour la défense de l’environnement n’est pas un projet « baba cool », elle est la défense du monde dans lequel vivront nos enfants. Implanter un port de plaisance de 350 anneaux de bateaux à moteur et une ZAC de 43 hectares sur une zone naturelle, en pleine renaturation au bord de la Saône, est bien un projet de « boomer ».

En effet, à la lumière des enjeux actuels, rien ne va dans ce projet débuté en 1997.

D’un point de vue commercial et économique d’abord. Nous, associations qui nous penchons sur le sujet depuis deux ans (Alternatiba, Arthropologia, Demain c’est ici et maintenant, France nature environnement, Groupe national de surveillance des arbres, Ligue de protection des oiseaux, et Nous voulons des coquelicots) questionnons les fondements économiques de ce projet.

Nous questionnons la rentabilité annoncée – en nous basant sur les maigres informations publiques, sachant qu’aucun document économique ne nous a jamais été fourni malgré plusieurs demandes, écrites et orales. Partant du fait que la saison nautique se déroule, au mieux, de mi-avril à mi-octobre, soit six mois, nous nous interrogeons sur la viabilité économique des commerces et infrastructures hôtelières prévues.

Lla roselière et les peupliers centenaires qui vont être détruits pour creuser l’entrée du port.
© Monique Ducroux

Incohérences commerciales et économiques

Concernant les perspectives de fréquentation de ce site, nous sommes encore perplexes. Le maire de la commune d’Anse, Daniel Pomeret, affiche l’ambition d’un million de visiteurs par an. Ambition ou inconscience ? Lorsque l’on s’appuie sur les chiffres de fréquentation des pôles touristiques du territoire : le parc animalier de Villars-les-Dombes attire quelques 755 000 visiteurs, et le musée des Confluences 671 000. Un port de plaisance ferait mieux ? Soit 2700 visiteurs par jour toute l’année... Mais comment fonctionne la calculette de l’édile ansois ?
Et d’autant plus quand on rapproche ce million de visiteurs attendus et la surface annoncée de parkings : 6500 mètres carré prévus, soit 200 places selon les normes actuelles...

Autre point d’attention, les impacts annoncés de ce port de plaisance sur le tourisme local : 250 anneaux auraient été réservés par des habitants de la région, transformant ce port en immense garage à bateaux. Et nous ne comprenons pas comment les communes alentours - qui participent depuis des années au financement du Syndicat Mixte du Bordelan - bénéficieront de quelconques retombées, alors qu’un touriste plaisancier (donc a priori non véhiculé) ne pourra bénéficier d’aucune infrastructure publique de déplacement au-delà d’Anse.

Nous pointons aussi des incohérences sur l’emploi attendu – ce fameux Graal de tout Grand Projet Inutile qui se respecte ! Ce sont 500 emplois qui sont annoncés au départ, mais les prospects de la zone artisanale évoqués par le Syndicat Mixte du Beaujolais proposent au mieux 150 emplois.

Bref, en écrivant aux élus locaux, nous ne souhaitions qu’obtenir des réponses à des questions sur la cohérence et le sérieux du montage d’un business plan qui doit bien exister... mais auquel nous n’avons jamais eu accès !

Intérêt général ?

Sur le volet environnemental, l’étude de ce dossier pose d’autres questions toutes autant cruciales, sinon plus.

Comment ne pas, en effet, s’interroger sur l’intérêt général de l’artificialisation d’une zone équivalente à 30 terrains de foot ? Cette zone renaturée héberge aujourd’hui de nombreuses espèces rares ou à protéger : la laîche à épis noirs, le guêpier d’Europe par exemple.

Le castor y laisse des traces, et de nombreux migrateurs se posent là, profitant des espaces boisés, de la roselière - qui serait détruite pour creuser l’entrée du port de plaisance. La zone reste inondable, malgré son reclassement partiel au plan de prévention des risques naturels d’inondation. Un zonage revu qui soulève bien des questions. Les crues sont de plus en plus fréquentes et ne feront qu’augmenter avec le dérèglement climatique.

Le plan d’eau du Colombier, dernier plan d’eau gratuit du Rhône, dont l’accès gratuit est menacé par le projet.
© Bruno Ez-Zafir

Et au-delà de la destruction de la biodiversité, cette zone accueille aujourd’hui de nombreux habitants des alentours qui viennent marcher, faire du vélo, nager dans le seul plan d’eau gratuit du département. C’est un point frais indispensable pour l’avenir où les records de chaleur sont continuellement dépassés. L’avenir de la baignade gratuite au plan d’eau du Colombier est en effet un autre angle mort de ce nébuleux projet.

Ce lieu, qui attire tout l’été des Ansois, mais aussi des personnes de l’agglomération lyonnaise et des touristes de passage, restera-t-il gratuit ? Aucune réponse claire ne nous a été donnée sur les accès futurs alors que les cheminements actuels vont être supprimés.

« Devoir citoyen »

Le projet porte l’ambition d’un développement du tourisme fluvial réservé aux personnes ayant des moyens financiers substantiels, mais le soutien et le développement des activités et sports aquatiques doux tels que l’aviron, le paddle, la pêche ne semblent pas être de l’intérêt public.

Nos associations étudient le projet avec toute l’expertise qu’elles détiennent. Elles connaissent les atouts actuels et potentiels pour l’environnement et la biodiversité de cette zone, et posent publiquement des questions restées sans réponse. Nous informons, et continuerons de le faire, en constatant que même les Ansoises ne connaissent ni le lieu du projet, ni l’avancement de ce dossier.

Nous mobilisons le public, au travers de la pétition qui recueille plus de 5000 signatures, et nous continuerons par bien d’autres moyens.

Nous ne le faisons pas par simple opposition, mais par devoir citoyen, animés par la conviction que, dans le monde de 2025, il est crucial d’envisager l’aménagement territorial d’une ville, d’un territoire autrement, à l’aune des enjeux économiques et environnementaux de ce siècle. Mais Messieurs Pomeret et Guilloteau semblent décidément bien ancrés dans le siècle précédent.

Alternatiba Villefranche-Beaujolais-Saône