Voilà de quoi jeter de l’huile sur le feu : en plein salon de l’agriculture et alors que la mobilisation du monde agricole bât son plein dans plusieurs pays européens, et après avoir ratifié l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande en décembre 2023, les Parlementaires européens doivent se prononcer ce jeudi 29 février sur deux nouveaux accords, avec le Chili et le Kenya. Pleinement soutenus par la France, ces deux accords vont à la fois contribuer à augmenter l’importation de produits agricoles venant de milliers de kilomètres d’ici et continuer à tirer les prix vers le bas par un renforcement de la concurrence internationale.
Sur le seul plan agricole, l’accord UE-Chili augmente les quotas d’importation sans droit de douane de nombreuses viandes : 9 000 tonnes pour le porc, 2 000 tonnes pour le bœuf, 4 000 tonnes pour la viande ovine et 18 000 tonnes pour la volaille. Ces quotas, que la Commission juge limités, s’additionnent aux quotas existants et à ceux, nouveaux, que vient d’instaurer l’accord UE-Nouvelle-Zélande : 38 000 tonnes de viande ovine et 10 000 tonnes de viande bovine. À force, le cumul de ces quotas représente une part conséquente de la production européenne, suffisante pour tirer les prix vers le bas et faire disparaître les producteurs les moins compétitifs.
Compétition internationale
L’accord UE-Chili crée également de nouveaux quotas pour les préparations de fruits (10 000 t), l’huile d’olive (11 000 t), et permet d’importer sans limite de quantité et sans droit de douane des pommes, des kiwis, du miel, qui vont donc traverser la planète pour se retrouver sur nos étals. Par ailleurs, contrairement aux promesses de réciprocité des normes prononcées par la Commission européenne et Emmanuel Macron, cet accord n’oblige pas aux produits agricoles chiliens d’être alignés sur la législation qui encadre la production européenne.
L’accord UE-Kenya va lui empêcher le Kenya, ainsi que ses pays voisins avec lequel il partage une union douanière, de mettre en œuvre des politiques visant à protéger ses producteurs et marchés agricoles, telles qu’une politique de prix garanti pour ses producteurs nationaux : les intérêts européens, massivement présents dans le secteur de l’exportation de fruits, légumes et fleurs vont pouvoir continuer à exporter ces produits à bas coûts vers l’UE. C’est le propre de ces accords que de rendre toujours plus difficile l’introduction de politiques visant à protéger les producteurs agricoles d’une compétition internationale trop féroce.
Course aux matières premières
Ces accords ne portent pas exclusivement sur le secteur agricole. L’accord UE-Chili, signé en catimini le 13 décembre 2023, en pleine COP28 sur le climat, vise à ce que les entreprises européennes puissent mettre la main sur des matières premières très convoitées telles que le lithium ou le cuivre, au risque d’aggraver la pression minière et les conflits socio-environnementaux, déjà très nombreux, dans le pays. L’électrification et le verdissement de l’économie européenne peuvent-ils se réaliser au prix d’une dégradation de la situation socio-environnementale des pays du Sud tels que le Chili ?
Cet accord UE-Chili maintient également un dispositif de règlement des investissements investisseurs-État (ISDS en anglais), forme de justice parallèle accessible aux seuls investisseurs étrangers qui leur est généralement extrêmement avantageux, protégeant leurs intérêts au détriment de la capacité des États et des pouvoirs publics à réguler leurs activités et mener des politiques de transition socio-écologiques.
L’accord UE-Kenya va quant à lui saper les efforts d’intégration régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est : comment imaginer qu’une union douanière telle que celle-ci ne soit pas profondément déstabilisée par un accord bilatéral qui va générer une pression concurrentielle au cœur même de la CAE ? Ainsi, comme c’est le cas pour l’accord intérimaire avec la Côte d’Ivoire et le Ghana, le lait en poudre européen, moins cher, va traverser les frontières et compromettre la capacité des autres pays de la CAE à garantir leur propre sécurité alimentaire.
Mobilisations de la société civile
Autant de raisons qui conduisent des dizaines d’organisations de la société civile dont une trentaine d’organisations françaises (ActionAid France, Action non-violente COP 21, Aitec, Alternatiba, Alofa Tuvalu, Attac France, Bloom, CADTM France, Canopée, Confédération paysanne, CGT, Extinction Rebellion, Fédération Artisans du Monde, France Amérique Latine - FAL , France Nature Environnement, FSU, Générations Futures, LDH, Les Amis de la Terre, Les Amis du Monde diplomatique, L’Offensive, Notre Affaire À Tous, Sherpa, Veblen Institute, ZEA et le Collectif national Stop CETA-Mercosur), à appeler, dans deux déclarations distinctes (ici et ici), les députés européens à voter contre ces deux accords UE-Chili et UE-Kenya.
Ces mêmes organisations appellent les internautes à écrire à leurs députés européens « Votez NON aux accords UE-Chili et UE-Kenya ! » via un outil en ligne.
Les États-membres de l’UE et la Commission européenne veulent insérer toujours plus d’activités, d’entreprises et d’emplois dans la mondialisation et la concurrence internationale, ce qui se fait au détriment de l’ambition climatique et écologique, de la protection des emplois et des conditions de travail, du maintien d’une agriculture paysanne de qualité et soutenable, ainsi que des promesses de relocalisation faites pendant la pandémie de COVID19. Ce n’est pourtant pas une fatalité et il est urgent d’emprunter une voie alternative vers la relocalisation écologique, sociale et solidaire.
Le collectif national Stop CETA/Mercosur
– plus d’informations : www.collectifstoptafta.org
photo : mobilisation de la Via campesina le 26 février 2024 à Bruxelles / © Via campesina