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Crise agricole : vers un recul écologique et social orchestré par la FNSEA et l’agrobusiness ?

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par Sophie Chapelle

Les premières mesures annoncées par le gouvernement pour tenter de répondre à la colère des agricultrices et agriculteurs ciblent l’écologie, comme le demande la FNSEA. Sans apporter de réponse pour une juste rémunération.

Treize. C’est le nombre de fois où le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a prononcé le mot « normes » lors de son discours de politique générale le 30 janvier. « Empilement des normes », « les Français me racontent combien les normes les oppressent », « supprimer des normes, c’est possible »... Toute la question est de savoir en quoi consiste ces « normes » à combattre : s’agit-il de remettre en cause l’interdiction d’un pesticide cancérogène ou l’encadrement du travail d’un ouvrier saisonnier, ou de simplifier certaines démarches administratives bien trop complexes ?

Il n’a fait nulle mention des énormes marges de la grande distribution et de l’agroalimentaire dans son discours. Ni aucune mention des coûts de production qui explosent dans les fermes, sans que les rémunérations versées aux agriculteurs et agricultrices n’augmentent, quand les consommatrices et consommateurs voient, eux, leur ticket de caisse s’alourdir. Les premières mesures annoncées par le gouvernement visent quasi exclusivement les normes environnementales.

Son inspiration, Gabriel Attal la puise dans la synthèse des revendications de la FNSEA, syndicat majoritaire, et des JA (Jeunes Agriculteurs). Outre la « réduction des normes », ceux ci demandent l’« accélération des projets de stockage d’eau » – comprenez les mégabassines ; le « curage des cours d’eau » – à ne pas confondre avec leur entretien, le curage détruisant faune et flore ; le refus de délimitation des « Zones Humides » – qui permettent pourtant de protéger ce type de zones, essentielles à la biodiversité et au cycle de l’eau ; une « dérogation sur les 4 % de jachères » – les jachères permettent pourtant de laisser la terre se reposer ; la « limitation des recours et durées d’instruction » des projets – comprenez les projets agro-industriels ; le placement des agents de l’Office français de la biodiversité « sous l’autorité du Préfet » ; ou le « rejet intégral et immédiat de toutes les surtranspositions » – si, par exemple, la France décidait de faire mieux que l’Europe en matière d’interdiction de pesticides... Toutes ces demandes ont été reprises par le Premier ministre.

Affaiblir les normes, même celles qui protègent

Malgré les annonces gouvernementales, les barrages mis en place par les agriculteurs et agriculteurs sont toujours là. Certes, une simplification administrative apparaît nécessaire. De même, des normes apparaissent inadaptées à la réalité des fermes. Celles mises en place pour combattre la grippe aviaire par exemple ont favorisé un mode de production industriel au détriment de l’élevage fermier.

De la même manière, pour combattre la salmonelle dans les élevages de poules pondeuses, les pouvoirs publics ont mis en place des mesures qui contraignent de plus en plus d’éleveurs et éleveuses en plein air à cesser leur activité.

Mais « demander l’arrêt de toutes les normes environnementales et sociales qui nous encadrent, c’est la facilité », estime Nicolas Clair, porte-parole de la Confédération paysanne de la Loire, dans le journal local Le Pays. Ce ne sont pas les normes environnementales ou nos droits sociaux que nous devons affaiblir. C’est une protection contre la concurrence déloyale que nous devons obtenir. »

« Les normes, sont là pour protéger la santé du consommateur, pour protéger l’environnement et pour protéger les travailleurs. Pour nous, ça serait inconcevable que cette crise débouche sur un recul dans un de ces domaines-là, que ce soit la santé, l’environnement ou la protection des travailleurs », précise Dominique Dubreuil, président du groupe des agriculteurs bio du Morbihan sur France Bleu. On ne va pas sortir de cette crise globale en ajoutant de la précarité à la précarité ou de la pollution à la pollution », ajoute-t-il.

Recul dans la lutte contre les pesticides

Pourtant, si le gouvernement décide de suivre jusqu’au bout les revendications de la FNSEA, cela se traduira par un recul dans la lutte contre les pesticides. Les représentants de ce syndicat demandent le « rejet en bloc des zones non traitées aux pesticides » (ZNT). Ces bandes de plusieurs mètres de large sont censées séparer une culture aspergée de pesticides des lieux habités. La FNSEA demande également un « moratoire sur les interdictions » des pesticides et un « rejet d’Ecophyto », le plan censé planifier la baisse des épandages de produits toxiques et cancérogènes dans les campagnes.

Les agriculteurs et agricultrices figurent pourtant parmi les premières victimes des pesticides, comme en témoignent les chiffres de la Mutualité sociale agricole. La reconnaissance des pathologies liées aux pesticides en maladies professionnelles est certes récente, et la procédure complexe, en particulier pour les agricultrices. Mais leur nombre ne cesse d’augmenter.

Entre 2012 et 2018, le nombre d’agricultrices et agriculteurs reconnus victimes de maladies professionnelles liées aux pesticides n’a cessé d’augmenter.
© MSA

Cultiver des terres en jachère pour nourrir les voitures

Lors de son discours de politique générale, Gabriel Attal a rapidement évoqué l’Union européenne en ciblant les jachères, qui permettent à une terre de se reposer, reconstituant ses réserves d’eau ou d’azote. « Nous sommes proches d’aboutir à une nouvelle prolongation de la dérogation », s’est-il réjoui, reprenant là encore une revendication de la FNSEA pourtant loin de faire consensus au sein du monde agricole.

L’idée que la France doit produire plus car des millions de personnes souffrent de la faim dans le monde est un poncif des tenants de l’agriculture productiviste. Le paradoxe est le suivant : alors qu’environ 820 millions de personnes dans le monde se trouvent en situation d’insécurité alimentaire, la production de denrées agricoles permettrait aujourd’hui d’en nourrir douze milliards, résume Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation à l’Onu, dans son dernier ouvrage, Changer de boussole. La croissance ne vaincra pas la pauvreté (éditions Les Liens qui libèrent, 2023). « Le problème n’est plus la production. L’insécurité alimentaire est aujourd’hui essentiellement liée à des questions de pouvoir d’achat et de protection sociale », précise Olivier De Schutter dans un entretien à Politis.

En réalité, si la FNSEA tient à cultiver ces terres en jachère, ce n’est pas tant pour nourrir les humains que les voitures. « Ces surfaces pourraient permettre de produire, particulièrement la biomasse nécessaire pour la transition énergétique », précise ainsi la FNSEA dans un communiqué. Entendez par là : produire des agrocarburants. Or, c’est précisément ce détournement de la vocation nourricière des terres agricoles qui participe à la crise alimentaire mondiale.

Rendre l’agriculture plus écologique et sociale

« Ce n’est pas, comme le font les dirigeants de la FNSEA, en demandant à pouvoir détruire des haies, en instrumentalisant le sujet des jachères, en éludant la question du partage équitable des terres et de l’eau, en négociant des avantages pour la production d’agrocarburants, que nous résoudrons en profondeur les problématiques de notre métier de paysan » estime la Confédération paysanne dans un communiqué. « Ce dont nous avons besoin, c’est de s’attaquer aux racines du problème en offrant plus de protection sociale et économique aux agricultrices et agriculteurs », écrit encore ce syndicat agricole.

Le Premier ministre a bien évoqué la question du revenu en mentionnant la mise en place de la loi Alimentation (dites loi Egalim) en 2018. Mais les négociations sur les prix payés aux exploitations agricoles se sont heurtées aux blocages des industriels et de la grande distribution. Résultat de cette inaction gouvernementale : l’agroalimentaire a réalisé des marges historiques ces derniers mois alors que les revenus des agriculteurs ne s’amélioraient pas. Gabriel Attal a aujourd’hui annoncé des contrôles renforcés de la grande distribution et l’industrie agroalimentaire pour faire (enfin) appliquer la loi, mais les mesures structurelles manquent.

Rien ne figure à ce sujet dans les revendications de la FNSEA, mis à part un renforcement de la loi Alimentation qui n’interdit pas la vente à perte des produits agricoles. La Confédération paysanne plaide pour sa part en faveur de l’instauration de prix garantis pour les produits agricoles, la mise en place de prix minimum d’entrée sur le territoire national pour limiter les concurrences déloyales, l’accompagnement économique à la transition agroécologique pour aider les paysans à faire évoluer leurs pratiques, la priorité à l’installation face à l’agrandissement, et l’arrêt de l’artificialisation des terres agricoles.

À l’aune de la colère agricole grandissante, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, a annoncé le report du projet de loi sur l’agriculture qui devait être présenté le 24 janvier. Pourra-t-on, demain, espérer une loi pour rendre l’agriculture plus écologique et sociale ? Une loi qui prévoit que les aides publiques – plus de 9 milliards d’euros par an sont versés par l’Union européenne au secteur agricole français dans le cadre de la Politique agricole commune – soient désormais accordées en fonction du nombre d’emplois créés et non plus en fonction du nombre d’hectares possédés ? Une loi qui prévoit de financer réellement les projets d’installation et de reprise de fermes – les deux tiers de ces candidates n’accèdent pas à ces aides publiques ? Pour l’heure, Marc Fesneau a simplement mentionné l’ajout d’un volet sur la simplification des normes.

Sophie Chapelle

Dessin : Allan Barte

P.-S.

Mise à jour le 1er février 2024 : Le gouvernement vient d’annoncer qu’il met « en pause » le plan Ecophyto visant à réduire l’usage des pesticides... comme le demandait la FNSEA. Ses représentants appellent à « suspendre les blocages ».