En France, il existe un seuil de pauvreté, mais pas de seuil de richesse. C’est cette discussion qu’a souhaité ouvrir l’Observatoire des inégalités avec la publication de son troisième Rapport sur les riches en France début juin. « Ce qui nous interroge, c’est la récurrence du discours “Les riches, c’est les autres”, notamment quand on se situe à gauche de l’échiquier politique. Il faut qu’on ait un débat très large sur les revenus. Qui doit faire quel effort pour quelle forme de solidarité ? », interroge le directeur de l’Observatoire, Louis Morin.
Une question qui prend tout son sens alors que la nouvelle coalition qui réunit toute la gauche, le « Nouveau Front populaire », ambitionne de réformer la fiscalité et d’y introduire davantage de justice, donc de progressivité de l’impôt. A quel niveau de revenus devra-t-on contribuer davantage à la solidarité nationale et au financement des services publics ? L’ensemble des classes dites moyennes paieront-elles plus d’impôts ou les hausses seront-elles limitées aux très riches ? Et qui sera donc considéré comme très riche. En pleine campagne électorale, ce sujet est crucial.
Des cadres supérieurs majoritairement masculins
À l’instar de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et du gouvernement allemand, l’association fixe un seuil de richesse au double du niveau de vie médian, le montant qui sépare la population en deux - la moitié de la population gagne plus, l’autre moitié gagne moins. Ce revenu médian disponible est actuellement de 1930 euros mensuels.
Est ainsi considérée comme riche toute personne touchant le double de ce revenu, soit plus de 3860 euros nets par mois (après impôts), plus de 5790 euros par mois pour un couple, ou encore plus de 9650 euros pour une famille avec deux enfants de moins de 14 ans.
En utilisant ce seuil, on compte 4,7 millions de riches en France. Cela représente 7,4% de la population. « 93% des Français
es gagnent donc moins », note Anne Brunner, directrice des études à l’Observatoire des inégalités.Ces riches sont principalement des cadres supérieurs, du privé et du public. Un quart de ces cadres sont riches. « On ne trouve quasiment pas de riches parmi les ouvriers », souligne la directrice des études. Ces riches sont aussi majoritairement des hommes, ces derniers étant plus nombreux que les femmes parmi les hauts et très hauts salaires.
La part des riches dans la population augmente aussi avec l’âge. Les riches représentent seulement 1% des ménages de moins de 30 ans, contre 15% des ménages entre 60 et 64 ans. Enfin, ce sont majoritairement des Parisiens, mais pas que. Si les riches sont principalement concentrés en région parisienne, dans quelques arrondissements de l’Ouest parisien et à Neuilly-sur-Seine, on les retrouve également dans plusieurs communes proches de la frontière suisse.
Moins de riches mais encore plus riches
Le rapport offre également un aperçu détaillé de leurs conditions de vie. Il relève que leur situation leur permet de mieux maîtriser l’espace et de se déplacer comme ils le souhaitent : 97% des Français
es gagnant plus de 2500 euros nets par mois partent ainsi en vacances. Les riches peuvent aussi davantage maîtriser leur temps. 40% des ménages situés dans les 10% les plus riches ont recours à des services à la personne, contre 6% des 10% aux revenus les plus faibles. « Au travail comme à la maison, ce sont donc des personnes qui ont un rôle important de décision, un rôle de contrôle », remarque Anne Brunner.« Être riche, où qu’on habite, c’est aussi vivre dans plus grand », ajoute Louis Morin. En plus de pouvoir choisir leur cadre de vie, les riches disposent en moyenne de 50% de surface en plus que les personnes non riches, aussi bien dans les communes rurales qu’urbaines. Par ailleurs, 87% des personnes riches sont propriétaires de leur logement, contre 58% des autres ménages. Deux tiers d’entre elles possèdent également un autre bien immobilier en plus de leur résidence principale, contre 22% des autres ménages : une résidence secondaire, un logement mis en location, un terrain, une place de parking...
En dix ans, le nombre de « riches » a baissé. Entre 2011 et 2021, date des données les plus récentes publiées par l’Insee sur les niveaux de vie en France, on en compte 800 000 en moins. Mais ceux qui demeurent riches s’enrichissent davantage. Cette progression est majoritairement portée par le sommet de l’échelle des revenus : au début des années 1980, les 1% les plus riches captaient 7,7% de l’ensemble des revenus, contre 12,8% aujourd’hui, selon le World Inequality Database.
Rétablir l’ISF
« Depuis un certain nombre d’années, les inégalités salariales augmentent », relève Louis Maurin. Les revenus du patrimoine, beaucoup plus volatiles, ont progressé beaucoup plus rapidement que les prix. « L’inflation met en jeu des rapports de force importants, au profit des catégories les plus aisées », note le directeur de l’Observatoire des inégalités. « Les plus aisés bénéficient également d’une fiscalité particulièrement avantageuse depuis 2017 », poursuit-il, prenant comme exemple la suppression de l’impôt sur la fortune en 2018.
Le Nouveau Front populaire, alliance de la gauche pour les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, promet dans son programme commun publié le 14 juin de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ; d’instaurer 14 tranches d’imposition au lieu de cinq actuellement – une faible progressivité favorisant les plus riches aux dépens des classes populaires et moyennes davantage taxées en comparaison de leurs revenus ; et de supprimer le plafond d’imposition dont profite les plus riches (et qui bloque la progressivité de l’impôt). L’alliance des gauche promet également d’augmenter le Smic. Ce dernier serait porté à 1600 euros net. Ce qui ne rendrait pas les riches moins riches, mais les pauvres un peu moins pauvres.
Daphné Brionne
Photo : CC0 Domaine public