Il a un CV résolument politique. Le président de la Fédération nationale des chasseurs Willy Schraen a été conseiller municipal (de Broxeele, dans le Nord) dès l’âge de 18 ans. Il est conseiller municipal de la commune de Bayenghem-lès-Éperlecques (Pas-de-Calais) depuis 2014. Et se trouve invité très régulièrement des plateaux télé. Willy Schraen a même écrit un livre autobiographique, aux airs programmatiques, nommé Un chasseur en campagne (Éditions du Gerfaut, 2020). Cet essai-témoignage est préfacé par… Éric Dupond-Moretti, alors Garde des Sceaux depuis un mois à peine.
Âgé aujourd’hui de 54 ans, le natif des Flandres Willy Schraen a été un soutien inattendu d’Emmanuel Macron en 2017 et à nouveau en 2022. L’homme cultive sa porosité avec le monde politique. Mais il n’en fait pas, encore, complètement partie : Willy Schraen reste le « patron des chasseurs ». Il préside depuis sept ans la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Ce groupement défend les chasseurs face aux décideurs politiques. Et il est écouté avec attention. Le grand oral devant les délégués chasseurs est devenu presque un passage obligé pour un candidat à la présidentielle. En 2017, le candidat Macron y avait conquis son auditoire.
Avec Willy Schraen, le lobby des chasseurs est devenu incontournable. Mais cela ne semble plus lui suffire. En novembre 2021, il rêvait d’un portefeuille gouvernemental. « Un ministère de la chasse n’a aucun intérêt, mais un ministère de la ruralité et de l’agriculture, j’en serais ravi », confiait-il alors au journal La Depêche. Aujourd’hui, son horizon est différent : les élections européennes de juin 2024. Willy Schraen « voit des gens, consulte, discute et prend un peu la température, mais ce n’est pas gravé dans le marbre », selon les mots choisis par la directrice de communication de la Fédération des chasseurs.
Un lobbyiste comme conseiller
Le bras droit de Schraen, c’est Thierry Coste, conseiller politique de la Fédération et patron de l’agence Lobbying et stratégies, installée rue de Varenne, à deux pas de l’Assemblée nationale. Il a de nombreux clients, mais représente tout particulièrement les intérêts des chasseurs. Thierry Coste a aussi été secrétaire général du Comité Guillaume Tell, l’union française des amateurs d’armes.
Thierry Coste a récemment annoncé la création d’un think tank, appelé « Nos Campagnes ». L’homme se voit comme le directeur de la future campagne de la liste des chasseurs aux Européennes, et rencontre de potentiels candidats. Le duo veut rassembler dans une même liste quelques chasseurs, mais aussi des agriculteurs, des défenseurs des « traditions locales » et de la pêche. Thierry Coste est convaincu qu’un électorat existe : « Il ne faut pas se limiter à la chasse, nous dit-il au téléphone. Dans le monde rural, il y a des commerçants, des agriculteurs, des infirmières, des retraités… Il y a des gens qui sont heureux de vivre à la campagne et qui trouvent que les écologistes et les technocrates les emmerdent un peu trop. »
Cette stratégie n’est pas tout à fait nouvelle. Déjà en 1989, quelques chasseurs ont créé un parti politique, Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT) devenu en 2019 Le Mouvement de la ruralité. Aux élections européennes de 1999, CPNT avait rassemblé 6,77 % des suffrages exprimés - plus que le FN et ses 5,7 % - et élu six députés européens, dont son président Jean Saint-Josse. Trois ans plus tard, ce dernier a fait campagne pour la présidentielle de 2002, et obtenu 4,23 % des voix, en se défendant d’être le candidat des seuls chasseurs.
Aujourd’hui encore, le mélange des genres entre chasse et carrière politique n’est pas limité aux ambitions de Willy Schraen et Thierry Coste. On trouve d’autres adeptes de la double casquette au sein de l’état-major de la Fédération nationale de la chasse. Parmi les dix membres du bureau de la FNC, huit ont déjà eu des velléités politiques et se sont déjà présentés à au moins une élection, à droite en général. Entre autres, un vice-président s’est retrouvé sur la liste de Laurent Wauquiez (LR) aux régionales en 2015, un autre suppléant d’un candidat LR aux législatives en Charente-Maritime en 2022, d’autres sur diverses listes de divers droite [1].
« Obligé de faire de la politique »
Willy Schraen est d’ailleurs toujours élu local en même temps qu’il préside cette puissante organisation. « Je préférerais garder Willy Schraen en tant que président de la Fédération nationale, plutôt que député européen, réagit Laurent Faudon, patron de la fédération des chasseurs du Var. Je pense qu’il ne faut pas mélanger la politique et la chasse, même si on est obligés de faire de la politique quand on est à la tête de la FNC. »
L’omniprésence de Willy Schraen s’affirme jusqu’au sommet de l’État. Lui et son conseiller Thierry Coste bénéficient de l’oreille attentive du président de la République, et ils ne s’en cachent pas. Le premier disait, au dernier congrès de la FNC en mars 2023, qu’« Emmanuel Macron a une écoute pour la chasse que ses prédécesseurs n’avaient pas ». Le second revendique auprès de Basta! être le conseiller officieux d’Emmanuel Macron sur les questions de ruralité. À eux deux, ils font et défont les ministres chargés de la chasse. Dernier exemple en date : Nicolas Hulot.
Après sa démission du gouvernement, l’ancien ministre de la Transition écologique affirmait que la présence de Thierry Coste à une réunion entre le président de la République et des représentants de chasseurs à la fin du mois d’août 2018, sur la future réforme de la chasse, aurait été l’une des raisons justifiant son départ du gouvernement. « C’est une influence très forte et très organisée, de l’élu local jusqu’à l’Élysée, en passant par l’Assemblée, lâche le député EELV Charles Fournier, qui a défendu au printemps une proposition de loi pour interdire la chasse le dimanche. Quand j’ai présenté ma proposition de loi, ils se sont empressés de saisir tous les députés favorables à la chasse. Et c’était assez facile de reconnaître dans les amendements déposés les arguments des fédérations de chasseurs. »
Différence de traitements
En face, les associations écologistes peinent à se faire entendre, comme le raconte Marc Giraud, porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) : « Nous créons des partenariats réguliers, avec la Ligue de protection des oiseaux, et d’autres associations, pour essayer de peser auprès du ministère de l’Environnement, mais nous ne sommes jamais reçus par le Président lui-même. Cette différence de traitement entre la Fédération nationale de la chasse et les protecteurs de la nature est scandaleuse d’un point de vue démocratique. »
En 2019, une réforme a divisé par deux le prix du permis de chasse national, de 400 à 200 euros, rappelle un rapport de la Cour des comptes sur les soutiens publics aux fédérations de chasseurs publié en juillet 2023. En contrepartie du transfert de nouvelles missions (gestion des associations communales de chasse agréées et des plans de chasse individuels), l’État s’est aussi engagé par cette loi à verser à la Fédération nationale des chasseurs une compensation de neuf millions d’euros annuels jusqu’en 2024. Selon la Cour des comtes, l’ensemble des mesures de cette loi a conduit à près de 40 millions d’euros annuels de dépenses annuelles supplémentaires pour l’État.
En décembre 2022, 18,6 millions d’euros supplémentaires sont débloqués en faveur des fédérations départementales de chasse pour qu’elles puissent indemniser les agriculteurs ayant subi des dégâts de grand gibier. S’y ajoutent 60 millions sur trois ans dans l’objectif de diminuer les dégâts occasionnés. Dans un courrier envoyé à Willy Schraen le 6 avril 2022, Emmanuel Macron envisage une modification du système d’indemnisation, pour que les dégâts ne soient plus uniquement pris en charge par les chasseurs. « Le picard que je suis sait la place particulière de la chasse dans nos campagnes », y écrit le président de la République au président de la FNC.
Une manne financière
La même réforme de la chasse de 2019 a créé un fonds biodiversité. Celui-ci doit financer des projets en faveur de la biodiversité portés par les fédérations de chasseurs. Il est alimenté d’une quinzaine de millions d’euros chaque année, dont près de 9,5 millions provenant de l’OFB, donc de l’État. Dans son rapport publié à la suite d’une saisine du collectif « Un jour, un chasseur », la Cour des comptes a pointé un manque d’évaluation et de transparence dans l’utilisation des aides publiques aux chasseurs, en particulier de ce fonds. Elle constate que beaucoup des projets financés restent flous et qu’aucun contrôle sur place n’est réalisé.
Les fonds publics supplémentaires débloqués pour les chasseurs s’ajoutent à une manne financière déjà très importante, notamment parce que les chasseurs sont obligés d’adhérer à la fédération pour valider leur permis chaque année. « Ils ont des réserves financières énormes, rappelle l’élu écologiste Charles Fournier. Donc une capacité aussi à consacrer de l’argent à la publicité, au lobbying, à cette présence partout qui est quand même grande au regard de ce qu’ils représentent, soit 2 % à peine de la population. »
L’argent a ainsi permis à la FNC de définir de nouvelles stratégies de communication, « dans un esprit non plus de riposte, mais d’attaque », comme l’explique Willy Schraen lui-même dans son livre. Et pour redorer son image, la FNC frappe fort. Exit les cadavres d’animaux et les flaques de sang : il faut désormais « faire passer une émotion plus qu’un tableau de chasse sur […] Facebook. Une cartouche sur le sol, une arme positionnée dans la nature, un chien et son maître, ou simplement un sourire qui en dit long sur le bonheur partagé », dit encore le patron de la FNC dans son ouvrage.
Des influenceuses prochasse
Les campagnes vidéo de la fédération reprennent ces nouveaux codes, et vont parfois même plus loin, pour tenter d’attirer de nouvelles recrues. En 2020, la web-série « Être chasseur, et pourquoi pas vous ? » met en scène des jeunes femmes discutant quinoa et parties de chasse le dimanche autour d’un verre de vin. Le message la chasse peut s’adresser à tous, et surtout, à toutes.
Car les femmes sont aux yeux de Willy Schraen « l’avenir de la chasse française ». Leur proportion augmente, mais lentement. Elles constituaient 2,5 % des effectifs en 2015, contre un peu plus de 3% aujourd’hui. Pour les attirer, la FNC peut désormais s’appuyer sur des influenceuses, dont la plus connue, Johanna Clermont, est suivie par plus de 175 000 personnes sur Instagram.
Elle y publie des photos de ses voyages aux Maldives ou en Italie, fait la promotion d’armes et de matériel de chasse, publie des vidéos explicatives pour savoir « comment devenir chasseur » et organise des jeux-concours dans lesquels il est possible de gagner « un voyage de chasse en Afrique pour chasser le buffle ». Cette image s’accompagne d’un changement d’ampleur dans les thèmes mis en avant par la FNC : on parle désormais d’« environnement » et de « ruralité ».
La campagne de 2018, « Chasseurs, premiers écologistes de France », donne le ton, en utilisant les mêmes codes couleurs et le même vocabulaire que les associations de protection de la nature. La cour d’appel de Paris, en décembre 2022, a d’ailleurs interdit aux chasseurs d’utiliser ou de reproduire trois affiches de cette campagne, qualifiée de « contrefaçon », et a condamné la FNC à verser 10 000 euros à la Ligue de protection des oiseaux.
Ruralité accaparée
Pour Benoit Chevron, président de la fédération de Seine-et-Marne et conseiller régional d’Île-de-France, la communication quant aux actions effectuées par les chasseurs en faveur de la biodiversité reste à améliorer. « En Seine-et-Marne, nous sommes animateurs Natura 2000, nous avons planté 62 kilomètres de haies et nous sommes présents sur de nombreux dossiers environnementaux, vante-t-il. Mais nous n’arrivons pas encore à valoriser ce que l’on fait. Or, ça permettrait de changer la vision que peuvent avoir certaines personnes sur les chasseurs. »
Les chasseurs seraient aussi les véritables représentants de la ruralité, si l’on en croit la communication de la FNC, qui amalgament souvent les deux. Mais qui dit ruralité ne veut pas forcément dire chasse. Dans un sondage Ifop réalisé en février 2021, 55 % des habitants de communes rurales se déclaraient « plutôt défavorables » à la chasse. En décembre 2022, 75 % des personnes interrogées se disaient favorables à ce que le dimanche devienne un jour sans chasse.
Qu’importe, Willy Schraen s’imagine en défenseurs de la campagne en général. Il dessinait sa ligne directrice dans son discours pour l’ouverture de la saison de chasse 2023 : « Qui mieux que les ruraux pour défendre une ruralité trop souvent malmenée par Bruxelles et ses décisions hors-sol ? Alors oui on y vient, les élections européennes de juin prochain nous donnent une opportunité de nous faire entendre. » Pour Willy Schraen, c’était aussi l’ouverture de la saison électorale.
Pauline Gensel, Lucas Sarafian