Pékin 2008

Le travail des enfants, sponsor officiel des JO ?

Pékin 2008

par Ivan du Roy

Environ 200 usines chinoises bénéficient de la licence olympique. Travail des enfants, salaires de misère, horaires abusifs semblent y être la règle. Interpellées sur leur responsabilité sociale, les instances olympiques font la sourde oreille.

Le 7 avril, la flamme olympique sera de passage à Paris avant de poursuivre son long périple vers Pékin. Les militants du Collectif de l’éthique sur l’étiquette en profiteront pour rappeler au Comité international olympique (CIO) plusieurs de ses valeurs. « La sauvegarde de la dignité de la personne humaine est une exigence fondamentale de l’Olympisme », proclame en effet le code éthique du CIO, qui précise : « Les parties olympiques ne devront pas être liées à des entreprises ou des personnes dont l’activité serait incompatible avec les principes définis par la Charte olympique. » Les partenariats conclus avec des entreprises représentent plus d’un tiers des revenus du CIO, derrière les droits de diffusion télévisée : un peu moins d’un milliard de dollard sur la période qui court des JO d’hiver de Turin à ceux de Pékin. Lors de JO d’Athènes, la commercialisation des licences pour utiliser le logo olympique a rapporté 61.5 millions de dollars. Les dirigeants du CIO vérifient-ils si les droits du travail sont respectés dans ces entreprises sous contrat ?

Ils ont été mis à l’index en juin 2007 par un rapport sur les conditions de travail dans quatre entreprises chinoises fabriquant souvenirs, vêtements, casquettes ou sacs portant le logo olympique, qui seront vendus aux deux millions de spectateurs attendus, chinois et étrangers, à l’occasion des prochains JO. Le rapport a été réalisé par des enquêteurs de la campagne Playfair, lancée en 2003 et regroupant la Confédération syndicale internationale, l’ONG anglo-saxonne Oxfam et le réseau Clean Clothes (vêtements propres). Travaillant clandestinement sur place, ces chercheurs y ont observé « un mépris flagrant pour la santé des travailleurs, ainsi que pour les lois et les réglementations nationales du travail. »

Salariés sans contrats de travail

L’entreprise de papeterie Lekit, située près de Hong-Kong et détenue par des investisseurs taiwanais, produit cinq millions de calepins par mois avec l’image des Fuwa, les mascottes des JO. Lors du passage des enquêteurs, Lekit avait embauché une vingtaine d’enfants de moins de 16 ans travaillant plus de quatorze heures par jour. Les salaires y sont inférieurs de moitié au minimum légal chinois. Des amendes sont retenues sur la paie en cas de passage prolongé aux toilettes ou de retard d’une minute. Il n’y a pas de contrats de travail signés, ni de congé maternité, pourtant prévu par la loi. L’usine de YWC (Yue Wing Cheon Light Product), dont la maison mère est basée à Newport, aux Etats-Unis, est accréditée par le CIO pour fabriquer des sacs avec le logo olympique. Ces autres clients ont pour nom Disney ou Wal-Mart, la plus grosse entreprise de distribution états-unienne. La firme a signé des engagements éthiques... Les ouvrières travaillent sur des machines à coudre 13h par jour en moyenne pour un salaire inférieur au minimum légal. Beaucoup souffrent de douleurs aux jambes et au dos. Celles qui sont exposées aux produits chimiques utilisés pour la teinture doivent acheter leur masque de protection. Lors des inspections diligentées par les clients de l’usine, la direction fournit de fausses fiches de paie à ses salariés et les obligent à réciter un discours préparé à l’avance.

Des pratiques similaires se retrouvent dans une usine chinoise de l’entreprise Mainland Headwear Holdings Limites (basée à Hong-Kong) qui détient les « droits exclusifs » pour la production de casquettes comportant le logo olympique (ainsi que pour le logo FIFA, la fédération internationale de football) et qui a pour clients, outre le mouvement olympique, la Warner - pour les produits dérivés de ses grosses productions cinématographiques (Batman, Superman...) - et des grandes marques de sport et de chaussures. « Travail des enfants, heures de travail excessives, sous-paiement systématique des salaires et mépris absolu pour la législation du travail chinoise sont loin d’être des imperfections insignifiantes que l’on peut aisément justifier », concluait le rapport.

Black-out dans les usines

Depuis, la situation a-t-elle changé ? Après avoir pris connaissance du document de Playfair en juin, le comité d’organisation des JO de Pékin (Bocog) décide début août de retirer sa licence à l’entreprise Lekit et d’envoyer un avertissement aux trois autres. « Le problème est beaucoup plus large que ces quatres usines, qui sont les premières chaînes de production sur lesquelles nous avons enquêté », prévient Tim Noonan, porte-parole de la Confédération syndicale internationale. La CSI estime à environ 200 le nombre d’usines chinoises aujourd’hui impliquées dans la fabrication de produits sous licence olympique. Cela fait quatre ans que syndicalistes de la CSI et militants d’Oxfam « cherchent à convaincre le CIO de discuter ». Leur objectif : « Mettre en place un processus où nous pouvons informer les instances olympiques des violations du droit du travail dans les chaînes de production et étudier avec eux les moyens de résoudre les problèmes », explique Tim Noonan, pour qui la rupture d’un contrat doit constituer une ultime réponse, « si tous les efforts pour améliorer les conditions de travail ont échoué ». Malgré le malaise provoqué par la publication du rapport, « de nombreuses pressions ont encore été nécessaires pour que les membres du CIO s’installent autour de la table ». Une rencontre a finalement lieu le 19 décembre dernier. « Nous y avons constaté le début d’une volonté de leur part de mener des actions concrètes pour que les normes internationales du droit du travail soient respectées », positive le syndicaliste. Le CIO a été relancé fin janvier. Depuis, plus rien.

Le black-out qui règne sur le Tibet vaut aussi pour les ateliers et usines de l’empire du Milieu. Les échanges entre la Confédération syndicale internationale et l’unique syndicat chinois, la « All-China Federation of Trade Union », sont rares. Celle-ci demeure une officine para-gouvernementale et est loin d’être implantée partout. « Il est presque impossible actuellement d’avoir des données valables sur ce qui s’y passe », déplore Tim Noonan. « Ces violations du droit du travail sont répandues dans le secteur du textile et des articles de sport. C’est pour cela que le CIO, en tant que leader, doit prendre ses responsabilités pour ses propres productions et plus généralement dans l’ensemble du secteur sportif. Le Tibet, les droits humains, les pressions sur le gouvernement chinois : ce sont des sujets sur lesquels le CIO peut avoir une influence, mais limitée. En ce qui concerne les conditions de travail, le CIO a un pouvoir total. Ses représentants peuvent eux-mêmes régler les problèmes dans le cadre des contrats qu’ils signent pour l’utilisation de la licence olympique. » La CSI et la campagne Playfair prépare un rapport mondial sur le secteur des articles de sport qui sera publié fin avril.

Ivan du Roy


Impuissance française face aux manquements éthiques du CIO

Le Collectif de l’éthique sur l’étiquette, animateur en France de la campagne Playfair, a également interpellé le Comité national olympique (CNOSF) sur sa « responsabilité sociale ». « Le sport est une industrie très florissante. Mais que se passe-t-il pour les hommes et les femmes qui, dans les usines textiles, contribuent à cet effort ? », interroge Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif. 40% des revenus récoltés par le CIO grâce à l’exploitation de ses licences commerciales ou aux contrats conclus avec des sponsors redescendent dans les Comités olympiques nationaux pour être ensuite redistribués en partie aux fédérations sportives. Les sections locales du mouvement olympique sont donc directement concernées par la manière dont cette manne financière est acquise. La demande de rencontre a été relayée par la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), à la fois membre du CNOSF et du Collectif de l’éthique sur l’étiquette.

Une réponse écrite est parvenue le 26 mars au siège du collectif, hébergé par la CFDT. Le CNOSF se dit « très préoccupé » par les questions sociales. Oralement, ses dirigeants reconnaissent leur « impuissance » face aux choix du CIO. Les Français comptent pourtant trois représentants au Conseil d’administration de l’instance internationale : Guy Drut, Jean-Claude Killy et Henri Sérandour. Le principal partenaire commercial du mouvement olympique français est Adidas, « plutôt bien engagé sur le papier en matière de responsabilité sociale », reconnaît Nayla Ajaltouni. Elle rappelle cependant que « de gros efforts restent à faire » pour vérifier sur le terrain l’application des codes de conduites adoptés par les entreprises du secteur, les audits commandités par les maisons mères étant souvent « biaisés ».