Thierry, « handicapé fraudeur » à qui la CAF réclame 30 000 euros parce qu’il est en couple

par Rachel Knaebel

Thierry touche l’allocation adulte handicapé. Depuis mars, la Caf lui réclame plus de 30 000 euros et le qualifie de fraudeur parce qu’il est en couple. Pourtant, les revenus des conjoints ne sont plus pris en compte pour l’AAH depuis 2023.

Après des années de discussions politiques, le droit à l’allocation adulte handicapé est enfin calculé indépendamment des revenus des conjointes et conjoints des personnes handicapées. C’est ce qu’on appelle la « déconjugalisation » de l’AAH, en vigueur depuis octobre 2023.

Cela n’a pas empêché la Caf de réclamer il y a quelques mois à Thierry, allocataire de l’AAH, plus de 30 000 euros de remboursement parce qu’il avait vécu avec une femme de 2021 à 2023. L’homme s’est aussi vu qualifié de fraudeur. Il témoigne de son histoire, celle de « l’handicapé “fraudeur » de la Caf », comme il le dit ironiquement.

« Je suis en situation de handicap depuis dix ans et à ce titre je perçois l’AAH, d’environ 800 euros au début jusqu’à 950 euros environ par mois depuis cette année. Je vivais seul avec ma maladie jusqu’en 2021, année où j’ai rencontré ma compagne. Nous venons d’avoir un bébé. Quand nous nous sommes rencontrés en 2021, c’était le début de notre relation, nous ne savions pas si elle allait durer. Nous avions deux comptes bancaires séparés. Mais avec cette personne, ma vie a changé. Elle m’apporte énormément de courage et d’espoir. J’ai même créé ma micro-entreprise. »

Avec l’activité de sa micro-entreprise, Thierry gagne aujourd’hui en moyenne quelques centaines d’euros de chiffre d’affaires par mois, desquels 25% sont prélevés pour les cotisations de l’Urssaf. « Et on m’enlève une partie de l’AAH en fonction du chiffre d’affaires mensuel de mon entreprise. Financièrement, cette activité ne m’apporte donc pas grand chose. Mais je travaille quand même car ça me fait du bien. Cela permet de rencontrer des gens, de me resocialiser. Même si je trouve qu’en termes financiers, ce système de prélèvement sur de si petits revenus n’encourage pas la reprise du travail, ni notre réinsertion. »

En octobre 2023 entre enfin en vigueur la loi sur la « déconjugalisation », débattue depuis de longues années. Cette loi change le mode de calcul de l’allocation pour les bénéficiaires de l’AAH qui sont en couple. Dorénavant, seul le bénéficiaire et ses ressources personnelles sont prises en compte dans le calcul de la prestation, pas celle du ou de la partenaire.

« Il ne s’agit pas d’une déconjugalisation complète, tient à souligner Thierry, dont la partenaire est en activité. J’avais auparavant la couverture maladie universelle, je n’y ai ai plus droit, puisque c’est calculé sur les revenus du couple. Je n’ai pas non plus droit à une aide juridictionnelle. »

La Caf réclame plus de 30 000 euros

Au printemps 2024, le couple se pacse. Le premier courrier de réclamation de la Caf arrive peu après. « En mars 2024, la Caf nous a demandé un trop perçu d’AAH sur la période de fin 2021 à octobre 2023. » La Caf demande alors à Thierry de rembourser plus de 20 000 euros.

Face à ce courrier, « nous sommes sous le choc et en stress », se souvient Thierry. La nouvelle arrive alors que sa compagne est enceinte. Puis, « au mois d’avril 2024, nous recevons un deuxième courrier nous qualifiant de “fraudeurs” ». Ce deuxième document demande plusieurs milliers d’euros supplémentaires à rembourser. Puis un troisième courrier réclame encore près de 3000 euros de pénalité pour le « préjudice » subi par la Caf. « Il auraient pu mettre deux fois moins, deux fois plus, on ne sait pas comment ils calculent », ajoute Thierry. Le couple, qui vient d’avoir son bébé, se retrouve aujourd’hui avec plus de 30 000 euros à payer à la Caf.

« Je me retrouve dans une situation qui génère tellement de stress que je me sens découragé et ai cessé de travailler. Cela a aussi généré des dissensions dans notre couple », regrette l’homme. « On était abasourdis. À chaque fois que le facteur arrivait, on se demandait si on n’allait pas avoir un nouveau recommandé. On n’arrive pas à avoir quelqu’un au téléphone à la Caf, on avait des rendez-vous téléphoniques qui n’étaient pas honorés. »

Pas d’interlocuteur à la Caf

L’homme a vu une avocate et un délégué du défenseur des droits. « Mais d’après les infos que j’ai eu, il y a peu de chances que la Caf réduise le montant qu’elle me demande. Ils vont peut être proposer un échéancier pour payer. Mais on n’arrive pas à savoir. On a jamais les mêmes informations quand on appelle. Ils enlèvent des sommes, nous en rajoutent, on ne sait pas pourquoi. La médiatrice de la Caf, elle, nous a vraiment compris et a essayé de nous aider. Mais malheureusement, elle n’a pas de pouvoir. Et quand on va là-bas, on ne peut voir personne. Il y a seulement des vacataires, qui font ce qu’ils peuvent, mais qui ne sont au courant de rien. »

Face à ce stress, la santé de Thierry s’est dégradée. « Pour moi, c’est une énorme somme. Je n’ai jamais eu de démêlés avec la justice et d’un seul coup, je suis qualifié de fraudeur, c’est très violent. Ma compagne est vraiment chagrinée d’être elle aussi pointée du doigt. Elle est accusée de fraude alors qu’elle n’a jamais touché un centime de la Caf. J’aurais préféré travailler et payer mes impôts comme tout à chacun. J’aimerais me battre pour que cela ne se produise plus pour des personnes vulnérables, et que la société ne s’en prenne plus aux “fragiles”, dans un pays qui compte beaucoup de riches et d’ultra-riches. On préfère s’en prendre aux faibles qui ne peuvent pas se défendre, aux personnes handicapées qui ne bénéficient toujours pas assez de structures adaptées. »

Recueillis par Rachel Knaebel

Photo : à Lille, en 2022/©Nicolas Lee/Encrage.