Menacés d’une amende de 3000 euros par mois à cause de leur habitat précaire en milieu agricole

ÉcologieAgriculture

Dans les monts du Lyonnais, le Collectif du Rantonnet propose des activités socioculturelles et agricoles pour dynamiser le territoire. Mais ils encourent une lourde amende. Les freins à la construction d’habitat léger sont au cœur du litige.

par Sophie Chapelle

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Cent euros par jour à compter du mardi 30 septembre. C’est le montant de l’astreinte qui menace le Collectif du Rantonnet, une association dans les monts du Lyonnais, s’ils n’évacuent pas leur mobil-home et caravane. Le 24 juin dernier, le maire de la commune leur a envoyé un courrier préalable d’arrêté de mise en demeure. La menace de l’astreinte compromet fortement la pérennité de l’association qui, depuis 2022, propose des activités agricoles et socioculturelles en pleine zone rurale.

Dans le village de Rontalon, dans le Rhône, le collectif organise chaque jeudi un marché sur sa ferme avec d’autres producteurs locaux. La vingtaine d’hectares mis à disposition de l’association par un propriétaire leur a permis de développer depuis quatre ans du maraîchage sur sol vivant, de l’agroforesterie, des vergers, de la culture de céréales...

un stand de marché de fruits et légumes
Fred, derrière l’étal de fruits et légumes proposés par le Collectif du Rantonnet lors d’un marché hebdomadaire, au printemps 2025.
© collectif du Rantonnet

Des concerts et débats ont été organisés ces derniers mois autour de thèmes comme le soin ou le féminisme. « On propose des événements culturels au sein du village, on se sent acteurs ici », résume Barbara, qui projette de créer un rucher collectif. « Le lieu accueille des marchés, des concerts, des associations se réunissent là, ajoute Fred. C’est un lieu qui est devenu très politique malgré lui. »

Une caravane et un mobil-home

Comment en sommes-nous arrivés à cette mise en demeure par le maire de la commune ? Les terrains du collectif se situent en zone agricole protégée, dite de « protection des espaces agricoles et naturels périurbains » (Penap). La zone n’est donc plus constructible depuis 2015 et l’habitat, qu’il soit mobile ou léger de type yourte, n’y est pas toléré.

« Ce n’est pas une mauvaise idée au départ de définir un périmètre pour protéger les zones agricoles et éviter le mitage de constructions dans les espaces ruraux, réagit Fred, du collectif. Mais à l’époque de cette décision sur la zone agricole protégée, il n’y a pas eu de consultation des fermes sans activité à l’époque, comme là où l’on se trouve. Et aujourd’hui, toutes les constructions sont gelées jusqu’en 2050, ça bloque toute initiative. »

« Le bâtiment qui sert de dortoir aujourd’hui était alors une ruine, ajoute Max, qui fait partie des membres fondateurs du collectif et vit de la construction d’habitats légers. Même si on était armés d’utopie et de nos petits bras, on avait besoin d’une base de vie commune. » C’est ce qui explique, selon le collectif, la présence de caravanes et mobil-homes.

Les projets d’habitat léger démontable rendus quasi impossibles

Face à ces blocages, le Collectif du Rantonnet réfléchit depuis quatre ans à la création d’un « Stecal » (secteur de taille et de capacité d’accueil limitées), une zone d’exception prévue dans les plans locaux d’urbanisme qui autorise, de manière limitée, des constructions en zones naturelles, agricoles, ou forestières. Cela leur permettrait d’installer des habitats légers démontables. « Pendant trois ans, on a eu des concertations avec la commune pour définir des zones sur le lieu qui seraient propices à l’habitat léger », souligne Fred.

Jusqu’en 2014, les conseils municipaux pouvaient décider librement de créer des Stecal dans leur document d’urbanisme. Leur ouverture était de « plein droit » sous réserve d’être motivée. Mais la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (loi Alur) de 2014, a restreint cette pratique. La création des Stecal est désormais placée sous le contrôle du préfet et soumise à l’avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.

« Le collectif a bien parlé au conseil municipal de, son projet de création de Stecal, on s’est rencontrés plusieurs fois, confirme Christian Fromont, le maire de Rontalon, joint par téléphone. On a eu une réunion avec la sous-préfète qui a confirmé qu’aucune construction n’était possible dans cette zone. »

Des maisons et serres agricoles en plastique se dessinent depuis une prairie
Vue sur le hameau du Rantonnet. Si l’installation de serres en plastique est autorisée pour les cultures agricoles en zone Penap, ce n’est pas le cas de l’habitat léger.
©Sophie Chapelle

Fred regrette que le Collectif du Rantonnet n’ait jamais pu rencontrer la préfecture et les services de la direction départementale des territoires pour présenter ses arguments. « L’habitat léger n’a pas d’empreinte au sol, il est sobre en énergie, et il n’empêche pas de cultiver autour. La protection de l’espace naturel et agricole, c’est aussi ce que le collectif fait au quotidien, par la reproduction de semences, en limitant les usages en eau... » énumère Fred.

Animer les communes

Élu municipal dans une commune voisine, Pierre-Yves Ducrest est également venu apporter son soutien au collectif. « Je suis intervenu au conseil municipal de Rontalon pour dire qu’en tant qu’élus, nous sommes là pour animer les communes et que nous avons besoin que des jeunes s’installent, explique-t-il au téléphone. Les jeunes de ce collectif veulent juste travailler et habiter ici. Nous devons tout faire pour les aider, même si leurs projets bousculent les modèles habituels. Il faut évidemment protéger les terres agricoles, mais l’impact de l’habitat léger, démontable, dans une démarche agroécologique, respectueuse de la nature, ne peut être que positif. C’est le rôle des élus d’aider à faire évoluer les choses et les textes réglementaires s’il le faut. »

Nicolas Aymard, maraîcher bio dans une autre commune voisine et membre de la Confédération paysanne du Rhône, déplore également cette situation. « Dans le département du Rhône, la préfecture est hyper à cheval sur les zones de protection, observe-t-il. Elle refuse les Stecal dans ces zones alors que ça s’est fait dans d’autres départements. » La commune de Saint-Barthélemy-Lestra, dans la Loire, a par exemple modifié son plan local d’urbanisme et créé un Stecal, en accord avec les services de la préfecture, pour accueillir des yourtes.

Difficultés à se loger en milieu rural

La situation est d’autant plus dommageable que tout le monde s’accorde sur la difficulté à se loger dans ce territoire rural situé en périphérie de Lyon. « On a hébergé sur le lieu cinq saisonniers agricoles qui bossent sur les villages environnants en maraîchage et arboriculture », souligne Laurie, du collectif du Rantonnet. « Il faut être blindé financièrement dans le secteur », confirme Nicolas Aymard, qui a lui-même été confronté à des difficultés pour se loger quand il a décidé de lancer son activité. « L’année de mon installation, la commune a créé des logements sociaux et on a pu en profiter. Sans ça, je ne sais pas comment on aurait fait », se souvient-il.

Un échaffaudage se dresse devant un bâtiment en pierres. Deux personnes du collectif du Rantonnet échangent devant la façade.
Un bâtiment en pierres, qui servait autrefois selon le collectif de logement pour les ouvriers agricoles, a été mis à disposition par un propriétaire. Il accueille aujourd’hui un dortoir. Le Collectif du Rantonnet souhaite le rénover, mais pour la mairie, ce bâtiment est considéré comme un local agricole et n’a pas vocation à changer de destination pour être habité.
©Sophie Chapelle

Le maire de Rontalon constate également ce problème. « Il faut essayer de trouver des solutions. On a la volonté, mais ce n’est pas simple avec les textes actuels, dit l’édile. Il faudrait les faire changer pour créer des habitats légers. La communauté de communes travaille d’ailleurs sur ce sujet. » Contactée, l’élue en charge de l’agriculture à la communauté de communes n’a pas donné suite à nos demandes de précisions.

une roulotte en bois jouxte une serre agricole
Un membre du collectif vit de la construction d’habitats légers. Ici, une roulotte est en cours de fabrication sur une parcelle, avant d’être vendue.
© Sophie Chapelle

Nicolas Aymard espère plus largement la création d’une commission citoyenne à l’échelle de la communauté de communes qui rassemble des habitants, des élus, des associations... « Pour que ça bouge au niveau de la préfecture, il faut créer une culture commune sur le sujet de l’habitat léger, en réunissant autour de la table des gens qui ne sont pas forcément au courant, pour lutter contre les préjugés, défend-il. Il n’y a pas non plus de raison que l’habitat léger soit réservé qu’aux agriculteurs : pourquoi d’autres n’en bénéficieraient pas, surtout si on admet que l’habitat léger est plus écologique ? » Mais cette réflexion s’inscrit sur le temps long, reconnaît-il, alors que le Collectif du Rantonnet est dans l’urgence. 

« On ne rentre pas dans les cases »

une cabane en bois avec un toit en tôles rouges
Cette cabane en bois d’environ 14 mètres carrés est dans le viseur de la mairie. « Il s’agit d’un poulailler », selon le collectif du Rantonnet.
©Sophie Chapelle

Pour le Collectif du Rantonnet, le choix du statut associatif complique la donne. « C’est un choix que nous avons fait pour intégrer tout le monde. Mais cela pose problème aux services instructeurs, souligne Max. On nous demande combien on gagne alors même qu’on est une association sans but lucratif. On ne rentre pas dans les cases. »

Ces dernières années, le collectif a pourtant permis à plusieurs personnes de s’essayer à l’agriculture avant de se lancer sur leur propre ferme. C’est le cas de Nolwenn. « J’avais envie de m’installer en brebis. Je voulais d’abord avoir des bêtes pour me tester et il y a deux ans, j’ai pris des agneaux à engraisser, retrace-t-elle. Grâce au collectif, j’ai pu avoir des terrains, un peu de matos. C’était la liberté totale et j’ai pu mesurer ma capacité à faire de la gestion de parcelles, à soigner les animaux, à vendre... Aujourd’hui, je suis en cours d’installation sur une ferme en brebis laitières. »

Hugo a quant à lui moissonné le blé sur les parcelles du Collectif du Rantonnet il y a deux mois. « J’ai des copains qui ont fait leur saison dans les monts du Lyonnais et qui ont pu se loger dans le bâtiment collectif en 2024. C’est à cette occasion que j’ai rencontré le collectif », se remémore-t-il. S’il disposait déjà d’un brevet professionnel en maraîchage, Hugo avait aussi envie de s’autoformer comme paysan boulanger.

« Je n’avais pas de terrain et peu de contact au niveau agricole. Le collectif m’a proposé de tester sur leurs parcelles : j’ai pu semer pour la première fois en 2024 du blé sur 3500 m2. Les semences venaient du collectif qui les avait sélectionnées l’année précédente. Ils m’ont prêté un tracteur et des outils. C’était une grande chance d’être accompagné alors que j’avais très peu d’expérience. » Une partie de la récolte a servi à produire de la farine pour le collectif, une autre partie a été conservée par Hugo pour la saison à venir. Aujourd’hui, Hugo a une « une ferme en vue dans le Puy-de-Dôme » pour devenir paysan-boulanger.

une cinquantaine de personnes dans une salle participent à une discussion publique
Le 10 mai 2025, le Collectif du Rantonnet a organisé une journée festive et une discussion publique à la salle des fêtes de Rontalon pour présenter ses projets aux habitants du village. L’accès au logement et l’habitat léger ont été largement évoqués.
©Collectif du Rantonnet

« Se battre pour ce lieu »

Fred, qui coordonne la partie agricole du lieu, se réjouit de ces installations. « On souhaite prendre soin de la terre et la rendre accessible, mais ça crée du clivage en ruralité. On met des bâtons dans les roues des gens qui veulent faire autrement et qui proposent des solutions. C’est dommage de ne pas se sentir soutenus alors que tout le monde se plaint que les gens ne peuvent pas s’installer ici. »

« Les gens n’ont pas l’habitude de ce type de modèle, collectif, appuie Nicolas Aymard. Si cela peut générer une émulation agricole, culturelle, artisanale, pourquoi s’en priver ? » Les élus de la commune indiquent dans un récent compte-rendu municipal trouver « leur projet agri socio-culturel louable ». Pourtant, le maire assume la mise en demeure auprès de Basta!, ainsi que les astreintes à partir du 30 septembre. « Ils ont mis des caravanes et mobil-homes sur des zones non constructibles. J’ai contacté les services de la préfecture qui m’ont dit que c’était illégal. J’ai établi un procès-verbal, c’est la procédure s’ils ne veulent pas s’installer ailleurs. »

« On a envie de transmettre, de se battre pour ce lieu. C’est aussi un lieu de partage », réagit Laurie. Un festival de soutien s’est tenu fin septembre. Une adhésion, à prix libre, au Collectif du Rantonnet est également possible. L’argent récolté servira à la rénovation, et si besoin pour le tribunal.