Promesse du candidat Macron, l’instauration d’un chèque alimentaire visant à permettre aux personnes en situation de précarité l’accès à une alimentation durable n’est toujours pas effective. Différents travaux ministériels se sont penchés sur la question, sans réussir à construire un dispositif adéquat.
Et on ne peut que regretter le manque de concertation avec les acteurs engagés dans la transformation de notre système de production et contre la précarité alimentaire, comme le révèle cette tribune. Pourtant, l’inflation court, la planète se réchauffe. L’accès à une alimentation durable relève tout autant d’une urgence climatique et écologique que d’une urgence de justice sociale et sanitaire. Même dans ses versions les plus édulcorées, dans lesquelles il est à peine fait mention de flécher l’utilisation de ce chèque vers des produits durables, celui-ci constituait une avancée majeure dans la façon de traiter la précarité alimentaire en France : donner aux plus démunis la possibilité de choisir, une partie au moins, de leur alimentation. Cela marquait un frein dans le recours à un dispositif, l’aide alimentaire, dont les effets néfastes ne sont plus à démontrer – humiliation, de frustration, ou culpabilité des bénéficiaires. Cela aurait atténué les violences alimentaires en place dans un pays qui refuse d’instaurer le droit à l’alimentation et laisse le complexe agro-industriel récupérer l’aide alimentaire.
Malgré les efforts des 200 000 bénévoles qui œuvrent pour faire en sorte que personne ne meurt de faim en France, l’aide alimentaire sert aujourd’hui de tri des poubelles de supermarchés, de légitimation de la surproduction – 500 millions d’euros de chèque en blanc par défiscalisation en 2020 de la part de l’état pour du gaspillage contre lequel il faut soi-disant lutter – et de maintien d’une population captive pour manger des produits très peu durables, loin de là. Sortir de ce dispositif en permettant à chacun, chacune de choisir son alimentation, comme c’est le cas dans la plupart des pays européens pour les aides aux plus démunis, aurait été un pas non négligeable, que malheureusement le gouvernement ne franchit pas.
Limites de la consomm’action
Dans ses versions plus avancées, comprenant un fléchage ou une bonification de ces chèques vers des produits durables, c’est certainement l’ampleur de la tâche qui a freiné le gouvernement. L’offre actuelle ne suffit pas… Et ce n’est pas l’orientation des politiques agricoles qui va inverser la tendance ! Offrir à tous l’accès à une alimentation durable nécessite de la produire, et ce n’est pas dans les objectifs actuels. Pourtant, à l’heure ou l’ensemble des filières biologiques et locales sont en crise, il semblerait pertinent de soutenir cette consommation.
Pour autant, l’horizon d’un chèque « alimentation durable », même avec un montant conséquent (minimum 150 euros par mois et par personne) et une bonification pour des aliments durables ne peut être qu’une étape.
Premièrement, rien ne garantit qu’une fois ce chèque mis en place, la transition de production agricole et alimentaire sera possible. L’idée du chèque alimentaire prolonge l’illusion libérale que la consomm’action pourra transformer le système de production, en permettant à tous et toutes de devenir consomm’acteur. Foutaises. Jamais la consomm’action ne permettra de donner un poids suffisant à des dossiers en Safer pour permettre l’installation de celles et ceux qui souhaitent produire une autre alimentation. Alors qu’un million de paysans seraient nécessaires pour généraliser une agriculture durable, le terme AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) montre bien les limites de la consomm’action : maintenir l’existant, à 400 000 producteurs, quand il faudrait le multiplier.
Transformer notre système de production agricole et alimentaire
Le projet de Sécurité sociale de l’alimentation, a contrario de l’idée de chèque alimentaire, s’attaque à cet objectif. Il propose de coupler à une allocation alimentaire la mise en place de caisses locales de Sécurité sociale de l’alimentation visant à organiser le débat démocratique sur l’orientation de notre système de production, et d’en assurer la mise en œuvre. De se doter ainsi d’un pouvoir d’agir collectif pour transformer notre système de production agricole et alimentaire.
Deuxièmement, le droit à l’alimentation ne peut s’appliquer que dans une perspective universelle, sans discrimination dans l’accès au droit. Si personne ne se sent discriminé parce qu’il utilise sa carte vitale pour payer le médecin ou la pharmacie, il en va tout autrement pour l’utilisation d’autres droits, comme le chômage ou les minimas sociaux. Quand bien même les discours critiquant la logique « d’assistanat » sont à combattre de toutes nos forces, l’idée reste présente dans la société. Elle empêche d’assurer le droit à l’alimentation, qui promet de la « dignité » dans l’accès, autrement que dans une perspective universelle. Quelle dignité dans son alimentation avec une étiquette d’assisté, de personne « coûtant un pognon de dingue » en recevant un chèque alimentaire parce que l’on est pauvre ?
La perspective d’instituer le droit à l’alimentation que porte le projet de Sécurité sociale de l’alimentation ne peut se faire que dans la mise en place d’un mécanisme universel pour l’ensemble des habitants. Et cela, certains ont du mal à le comprendre…
Inscrire le droit à l’alimentation dans le régime de Sécurité sociale
Enfin, l’idée d’un chèque alimentation durable laisse à penser que l’on peut s’attaquer à la précarité par des politiques sectorielles, cloisonnées. Ici un chèque alimentation, là un chèque énergie, puis un autre pour le transport… Alors que les situations de précarités sont multiples et interpénétrées. Seule une politique large d’accès aux droits fondamentaux peut y répondre, d’où l’inscription des réflexions sur l’institutionnalisation de droit à l’alimentation au sein du régime de Sécurité sociale, socle de la protection sociale et de l’accès aux droits dans notre pays. Un socle à se réapproprier, sur les bases du fonctionnement démocratique de la Sécurité sociale entre 1946 et 1967 ! Et à étendre à l’ensemble des droits fondamentaux. Le projet de Sécurité sociale écologique et universelle poursuit cet objectif et préfigure un horizon souhaitable d’un socle de communs au service des droits fondamentaux de chacun.
Un chèque alimentation durable ambitieux doit être mis en place d’urgence - tout comme la transition de notre système de production agricole et alimentaire –, de façon provisoire, le temps de mettre en place une Sécurité sociale de l’alimentation ! Le Conseil national de l’alimentation (CNA) s’est exprimé pour la mise en place d’expérimentations… Qu’attend encore le gouvernement ?
Mathieu Dalmais
Photo de une : crédit AlterConso / centre social de Gerland (reportage sur cette coopérative réalisé en 2013)