Logement

Pour calmer la spéculation immobilière, Granville cible les multi-propriétaires et Airbnb

Logement

par Guy Pichard

Granville subit une profonde crise du logement qui pousse ses habitants à quitter la ville. La commune normande commence à mettre en place une réglementation pour limiter les locations de courte durée tout en construisant des logements sociaux.

« Si je souhaitais rester dans mon appartement pendant l’été, la nuit passait alors à 120 euros, soit un loyer d’environ 3600 euros mensuels au lieu de 850 euros le reste de l’année. » Nadja n’a passé que quelques mois à Granville, dans la Manche. Assez pour se retrouver à la merci de propriétaires peu scrupuleux, en quête d’une rentabilité maximale pendant la saison touristique, aux dépens des habitants.

Arrivée en avril 2023 dans la cité normande, cette cadre supérieure dans le privé a dû trouver un logement rapidement. Elle s’est vu proposer un « contrat saisonnier à l’année » par une conciergerie. Uniquement stipulé oralement, ce type de bail exige que la jeune femme déserte sa location pendant les deux mois d’été. Si elle voulait rester pendant la saison touristique, elle devait payer le prix fort, soit le tarif à la nuit proposé aux touristes.

« J’ai trouvé cet appartement en plein centre via une conciergerie qui m’a d’abord envoyé un lien Airbnb pour me montrer le logement, nous explique-t-elle. Avant cette offre, lors de plusieurs visites, on m’avait aussi proposé des contrats soi-disant à l’année via des particuliers. Cela n’a jamais été notifié à l’écrit, mais décrit oralement comme un bail à l’année d’octobre à mai. » Si elle reste difficile à quantifier, cette pratique est aux limites de la légalité – un contrat de location saisonnière « n’est pas obligatoirement un contrat écrit » s’il n’excède pas six mois. Elle illustre l’énorme pression qui pèse sur le marché immobilier de Granville, et qui fait le bonheur des agences immobilières et des conciergeries qui se multiplient dans la commune.

Les gens qui travaillent à Granville ne peuvent plus y loger

Dans le département de la Manche, les prix de l’immobilier ont grimpé d’environ 40 % en dix ans. La hausse est tout particulièrement sensible dans les villes côtières, comme Coutainville, Barneville-Carteret et Granville. Cette dernière fait même partie des 154 nouvelles communes françaises classées en octobre 2023 en « zone tendue » sur l’immobilier, par décret ministériel.

« Environ 20 % des logements de la commune sont des résidences secondaires, situe Nils Hédouin, adjoint (élu sur une liste de gauche) au maire de Granville en charge de la citoyenneté et de la communication. Nous avons besoin de résidences secondaires à Granville, et d’hôtellerie sous une forme ou sous une autre pour accueillir les touristes, cela fait partie de l’économie de la commune. Toutefois, cela ne doit pas la détruire ou rendre la ville invivable. Si les gens qui travaillent à Granville ne peuvent pas y loger, ça ne marchera pas. »

Avec environ 13 000 habitants, la commune natale de Christian Dior – un musée lui est dédié – a tout de la carte postale chic, au premier abord en tous cas : plages, baie du Mont-Saint-Michel, et même un petit archipel avec les îles Chausey. Le revers de la médaille, c’est l’effet sur le marché de l’immobilier pour les Granvillais. « Ces dernières années, il a davantage été prévu des bâtiments pour les retraités ou des résidences secondaires, qui ont été construits dans le parc privé et ont ainsi participé à la forte augmentation des prix de l’immobilier », confirme Jean-René Ledoyen, adjoint à la solidarité et à la santé à la mairie.

Les habitants modestes poussés en périphérie

L’augmentation des prix et la raréfaction des logements à louer poussent progressivement les habitants vers la périphérie, loin des transports en commun et des services. « Ici, environ 80 % des Airbnb appartiennent à des locaux, nous assure le gérant d’une conciergerie d’une commune voisine. Le mythe du Parisien qui investit et enquiquine les Granvillais avec sa location saisonnière, ce n’est pas vrai. Même si je m’occupe parfois de clients qui habitent très loin via mon activité de conciergerie, il y a des habitants ici qui cumulent quatre, cinq voire six appartements en Airbnb et qui ne font plus que ça comme activité professionnelle. C’est devenu un véritable business d’autant qu’ici, il y a très peu d’offres hôtelières. »

Une petite minorité de Granvillais profiterait donc de cet emballement des locations de courte durée. En revanche, les habitants à l’année au pouvoir d’achat modéré en sont les premières victimes. « Je souhaite déménager, car ma fille a quitté la maison, mais je ne trouve pas plus petit à prix correct », regrette Sabine, retraitée Granvillaise. « Avec mes revenus, je ne peux pas aller en HLM, et dans le privé c’est trop cher. À côté de chez moi, un immeuble vient d’être acheté et a été transformé en cinq logements Airbnb. Les volets sont clos la majorité de l’année », déplore cette ancienne employée du secteur social.

Avec plus d’habitations en locations de courte durée que de chambres d’hôtel classiques disponibles, le déséquilibre imputé au phénomène Airbnb a fait réagir la municipalité. La ville de Granville met progressivement en place sa propre réglementation pour enrayer cette dynamique. « L’État nous a facilité la chose en reconnaissant Granville comme une zone tendue, explique Nils Hédouin. À partir de fin mars, il ne sera plus possible de mettre un bien à louer à Granville sur aucune plateforme sans un numéro d’immatriculation. Et en fin d’année, toutes les plateformes seront obligées de nous transmettre un rapport d’activité sur le numéro en question. »

Avec cette nouvelle réglementation, la ville pourra mesurer le nombre de locations de courte durée sur la commune (hormis les logements non déclarés). Ensuite, un deuxième règlement doit « contraindre chaque propriétaire à ne pouvoir louer qu’un seul bien », précise l’adjoint. Il sera toujours possible de louer de multiples appartements, mais uniquement en longue durée. « C’est une question d’intérêt général. Le droit à avoir un logement est plus important que le droit d’en avoir plusieurs », justifie l’élu.

Censée calmer les spéculateurs immobiliers, cette réglementation sera sans doute contestée devant les tribunaux. « Avec la rentabilité du meublé de courte durée, je ne vois pas quel propriétaire voudrait actuellement repasser sur de la location longue durée, estime le gérant de la conciergerie. Nous parlons d’une rentabilité de location qui passe de un à dix entre la longue et la courte durée... Même si de nouvelles mesures sont en train de se mettre en place, le fossé est encore très grand. »

Nous avons questionné Airbnb France au sujet de ces prochaines dispositions légales pour contrer son activité localement. « Notre société est en faveur du cadre réglementaire actuel et souhaite aider toutes les communes qui, à l’image de Granville, s’en saisissent pour garantir un juste équilibre entre offre de logements disponibles et soutien aux familles locales qui louent occasionnellement leur logement », a répondu par mail Clément Eulry, directeur France d’Airbnb. « Nous avons pris contact avec la mairie (de Granville, ndlr) afin de permettre une mise en œuvre rapide de nos outils dédiés à la bonne application de la réglementation », assure aussi le responsable.

Davantage de logements sociaux

Outre le futur règlement granvillais, l’autre réponse à la crise du logement va se jouer sur le logement social. Avec environ 14 % de logements sociaux et près de 1 000 dossiers en attente, la municipalité entreprend, depuis l’arrivée aux manettes d’une majorité plutôt de gauche, une politique pour tenter de ramener une mixité sociale qui tend à disparaître depuis quelques années. Parmi les 300 logements sociaux qui doivent être construits d’ici 2026 se trouve une résidence « inclusive et intergénérationnelle ».

L’ensemble sera composé de 67 logements sociaux pour un coût d’environ 19 millions d’euros. « Il y aura 31 logements réservés aux jeunes, 30 pour les seniors et cinq logements pour des personnes en situation de handicap », décrit le maire adjoint Jean-René Ledoyen. « C’est un projet avec un lieu de vie partagé composé de différents espaces tels qu’un atelier de bricolage par exemple, une salle de sport et même une crèche. Ce projet est novateur dans le sens où il sera inclusif et accompagné. C’est un bailleur social qui le porte sur le plan financier de l’encaissement des loyers et la ville de Granville sera en soutien pour l’animation et l’accompagnement, notamment des séniors », ajoute-t-il.

Compte tenu du grand nombre de dossiers en attente pour obtenir un logement social, une commission d’admission serait même mise en place pour sélectionner les profils des futurs habitants et les associer au projet, selon la mairie. « Sans être une réponse directe à la crise du logement, cette opération permettra à des personnes âgées d’intégrer la résidence et ainsi de libérer des logements à Granville », défend Jean-René Ledoyen. Et cette mesure risque moins d’être attaquée en justice par des multipropriétaires en recherche de profits rapides, alors que d’autres villes du littoral normand et breton envisagent des mesures encore plus radicales.

Guy Pichard

Photo de une : Vue d’ensemble de Granville/©Guy Pichard.