Près du portail d’entrée, la présence du squat n’est signalée que par la petite affiche qui annonçait sa cantine solidaire du 17 mars. Il s’agit d’alerter contre un risque d’expulsion après la fin de la trêve hivernale, soit au 1er avril. Comme dans les différents squats d’Île-de-France, l’heure est ici, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), à la crainte de la reprise des expulsions massives, comme l’été dernier.
Dans le même temps, l’hiver 2023-2024 a été marqué par une augmentation du nombre de personnes sans-abri à Paris et en région parisienne. La période n’a pas permis de trouver de solutions durables pour la quasi-totalité des personnes occupant des lieux de vie informels, squats, campements ou bidonvilles, en Île-de-France.
Pour le moment à l’abri dans un lieu désaffecté, composé d’anciens bureaux et d’appartements, les occupants du squat de Montreuil, originaires d’Afrique de l’Ouest, se demandent bien ce qu’ils feront si on les remet à la rue. « On veut un hébergement durable », clame Émilie, 45 ans, l’une des habitantes du squat. Comme les autres, elle aspire à libérer ce bâtiment en échange d’une véritable solution d’hébergement ou un logement.
Le 115 ne répond pas
Presque tous racontent la même histoire : le 115 qui ne répond pas ou qui annonce ne pas pouvoir les héberger. Régulièrement, sur son compte X (anciennement Twitter), l’association Interlogement 93 fait le décompte des sollicitations au 115 dans le département. Le constat est toujours le même : la majorité des demandes ne débouchent sur aucune solution. Pour la journée du 18 mars par exemple, sur les 576 personnes ayant eu le service d’hébergement d’urgence au téléphone, seules sept ont été mises à l’abri, à peine 0,01%.
Parmi les 569 autres personnes restées à la rue malgré leur demande au 115, l’association a comptabilisé 52 femmes enceintes et 203 enfants, dont 61 âgés de moins de 3 ans. En outre, plus des deux tiers des appels vers le 115 restent sans réponse : sur les 1026 appels reçus le 18 mars, seuls 330 ont abouti à un échange.
Il y a près de deux ans, quand une centaine de femmes et d’enfants se sont installés dans ce squat, las de dormir à la rue, la propriétaire du bâtiment a lancé une procédure judiciaire pour les en expulser. Les occupants ont obtenu des délais pour y rester.
Désormais, y vivent « une quarantaine d’adultes », dont quelques femmes enceintes, « et une quinzaine d’enfants », certains scolarisés à Montreuil, explique Émilie. Elle est arrivée en France en 2021. « Avec mon conjoint, on appelait le 115 ou on était aidé par l’association Utopia 56. Parfois ils trouvaient une solution, sinon on dormait dehors, relate-t-elle. Mais dehors, on n’est pas en sécurité. »
Un squat de femmes
Ce squat a un statut particulier dans la ville en raison de la grande proportion de femmes qui y résident, témoigne Thomas, soutien des habitants, vivant lui-même dans le squat des Roseaux à quelques pas, également menacé d’expulsion.
« À Montreuil, il y a toute une histoire du squat militant et du squat de personnes sans-papiers, où vivaient majoritairement des hommes seuls parce que c’est une population qui a plus de difficultés à se voir proposer des solutions, observe-t-il. Mais maintenant, on en vient à une situation où même des femmes enceintes ou avec des enfants en bas âge se retrouvent à squatter, alors qu’avant, elles arrivaient à être prises en charge. »
Une partie des occupantes du squat ont été prises en charge ou ont trouvé seules des solutions pérennes. Mais d’autres, comme Émilie, sont encore là. « La mairie fait comme si on n’existait pas », s’attriste-t-elle. Aux occupantes devenues permanentes s’ajoutent des personnes parfois de passage.
« On est solidaires entre nous. On aide comme on peut, car nous aussi on a connu la rue », précise la femme. Ainsi, quand une chambre se libère, cela permet à une famille ou à une personne seule de s’installer. Quand toutes les chambres sont prises, la salle de réunion ou les parties communes peuvent également servir de dortoir.
« Quand je suis arrivée ici, j’ai bien dormi », confie Mariame, 40 ans. Arrivée il y a quelques mois en France, où elle est venue rejoindre son mari, l’Ivoirienne s’est rapidement retrouvée dans une situation très précaire. Le logement qu’occupait son époux ne lui permettait pas d’y accueillir sa famille. « Le 115 ne m’a jamais donné d’hébergement, raconte-t-elle. Même en les appelant tous les jours. »
Alors, elle a passé ses premiers mois dans l’Hexagone à la rue, notamment aux abords des stations de métro Croix de Chavaux et Mairie de Montreuil. Et elle en a gardé des séquelles. La quadragénaire montre sa main droite où l’on peut voir des cicatrices. En décembre, un individu lui a violemment arraché son sac à main. C’est donc avec beaucoup de peur qu’elle envisage un éventuel retour à la rue.
La trajectoire de Mariame et de son conjoint fait écho de celle de Sidi et de sa femme. L’homme né en 1984 est arrivé en France en 2003. « Avant, je vivais chez ma mère », déclare-t-il. Mais avec l’arrivée de son épouse, le tout petit appartement est devenu trop étroit. Ouvrier dans le BTP, il n’a pas trouvé de quoi se loger avec sa femme et son fils Lamine, âgé de deux ans.
Après des mois à la rue, parfois « dans le froid », ils ont donc eux aussi trouvé refuge au squat montreuillois, il y a sept mois . « Ma femme appelle le 115, mais on ne nous propose aucune nuitée », témoigne-t-il. Enceinte de six mois, l’épouse de Sidi est aujourd’hui hospitalisée en raison de difficultés liées à sa grossesse.
Même histoire pour Sira, 43 ans, et son mari Diara, 54 ans. « On appelle tout le temps le 115, mais ils ne nous répondent jamais », déplore Diara. En un an, il n’a réussi à obtenir que deux nuitées en composant le numéro d’urgence social. Vivre dans la rue, « c’est fatigant », résume-t-il.
Il vit depuis plus de 20 ans en France. L’arrivée de sa femme en 2021 et l’impossibilité de l’accueillir là où il habitait ont précipité le couple dans l’errance. Près de la chambre qu’occupe le couple, Diara montre une partie du mur qu’il a montée lui-même pour séparer les espaces, notamment avec celui de la cuisine. C’est son métier, lui aussi travaille dans le BTP.
À 26 ans, Satou vit au squat après avoir subi « une situation très précaire ». « Avec mon mari, avant, on était dans le 95 (Val-d’Oise), relate la jeune femme, également originaire de Côte-d’Ivoire. Quand j’appelais le 115, on ne me donnait qu’une nuit par-ci par-là. Sinon on dormait dehors. » Le squat représente alors pour elle une avancée en termes de qualité de vie : « Ici, je me sens en sécurité, confie Satou. Au moins j’ai un toit sur la tête, mais j’ai peur de me retrouver dans la même situation qu’avant. »
Dormir dans des parcs, sous une tente
Mawa, elle, est seulement de passage. Elle est venue rendre visite à ses anciens co-occupants. Elle est logée par le 115, avec son mari et son enfant âgée de 4 ans, grâce à l’aide de son médecin. « Maintenant, on veut des solutions pour les gens qui sont ici », dit-elle. La vie avec ses compagnes d’infortune devenues ses amies lui manque un peu, avoue-t-elle. « Ici, je me plais plus que par rapport à là-bas », car elle n’a pas droit aux visites dans son lieu d’hébergement. Ce qui est difficile, surtout en cette période de Ramadan.
Dans les deux bâtiments du squat de Montreuil, plusieurs femmes s’affairent à la préparation du repas de rupture du jeûne. « Un jour, je me suis retrouvée avec ma fille sous une tente », se souvient Mawa. Elle a aussi dormi dans la rue, dans des parcs, ajoute-t-elle.
Elle évoque le premier lieu qu’elle a occupé avec d’autres femmes, un ancien restaurant désaffecté de Montreuil, insalubre. Elles y sont restées environ un mois avant d’arriver ici. « Le jour où on est entrées ici, c’était comme si on était arrivées chez nous. »
Selon Thomas, « plusieurs squats sont aujourd’hui menacés » dans la région, notamment en raison de la loi Kasbarian, qui criminalise les occupants sans droit ni titre.
Cette loi pourrait aussi aggraver la situation des occupants montreuillois, dont une partie est en voie de régularisation ou bien a vu au contraire sa demande d’asile rejetée. « J’ai vraiment peur pour les occupantes, parce que je ne sais pas ce qui va leur arriver si elles sont expulsées. Les squats où elles pourraient rebondir sont en train de tomber eux aussi petit à petit », s’alarme le jeune homme.
Margaret Oheneba
Photo de une : ©Anne Paq