Sécheresse

Cultiver et jardiner « malgré cinq semaines sans goutte d’eau et 40° à l’ombre » : l’agriculture sur sol vivant

Sécheresse

par Sophie Chapelle

Après un été historiquement chaud et sec, une majorité du territoire français subit encore des restrictions d’eau. Face à des sols desséchés, jardiniers et agriculteurs travaillent à des pratiques pour retenir l’eau et maintenir la production.

La France vient de subir le deuxième été le plus chaud depuis au moins 1900 – l’été 2003 et sa dramatique canicule reste pour l’instant le plus chaud jamais mesuré en France. Des records de température ont été pulvérisés par endroit, avec par exemple 40 degrés atteints dans le nord du Finistère. Le mois de juillet a également été le plus sec... depuis au moins 1959 !

Ces conditions météorologiques ont favorisé la survenue de feux majeurs du sud-ouest à la Bretagne, jusque dans les Alpes du Nord. Vingt-deux départements ont connus des incendies conséquents. Loin d’être exceptionnel, l’été 2022 « pourrait correspondre à un été normal en France en milieu de siècle, sauf en cas de réduction massive et immédiate des émissions de gaz à effet de serre », a prévenu Météo France.

Les précipitations localisées de ces derniers jours n’ont pas mis un terme à la sécheresse. Selon la carte des arrêtés de restrictions d’eau publiée le 12 septembre, un tiers de l’Hexagone est encore placé en zone de crise. « Les précipitations orageuses de forte intensité et non homogènes n’ont permis que d’humidifier les premiers centimètres du sol, soulignait le 31 août Serge Zaka, docteur en agroclimatologie. Pour que les sols retrouvent un taux d’humidité normal, il faut à peu près 50 à 200 mm de pluies efficaces qui tombent dans les semaines à venir. »

Rendre le sol « comme une éponge »

Pour recharger les nappes phréatiques, il faudrait des pluies conséquentes pendant plusieurs semaines. Or, l’eau pénètre difficilement dans les sols secs, comme le montre cette vidéo publiée par l’université de Reading, au Royaume-Uni. Elle vise à comprendre « pourquoi de fortes pluies après une sécheresse peuvent être dangereuses et entraîner des crues éclair », à l’exemple des innondations qui ont frappé Nîmes le 6 septembre.

Comment résister aux sécheresses qui s’annoncent de plus en plus fréquentes ? Pour entraver le dessèchement des sols, des jardiniers amateurs et des agriculteurs travaillent sur la matière vivante qu’ils contiennent. « La clé pour économiser l’eau et limiter l’arrosage, c’est le sol vivant et les apports de matière organique sous forme d’amendements et de paillage », insiste Maud Roulot, connue pour ses vidéos YouTube sur les thèmes de l’autoproduction alimentaire (chaîne Le jardin d’Alekil). Elle revient notamment sur les pratiques de Pascal Poot, semencier dans l’Hérault, qui sélectionne des graines de tomates résistantes à la sécheresse.

Carte des records de chaleur battus en France en 2022.
Records de chaleur battus en 2022
Outre les 40 °C atteint dans le nord du Finistère, on a également enregistré plus de 30 °C sur l’île d’Ouessant. Le seuil des 40 °C a aussi été atteint en juin, juillet et août à Nîmes, ce qui constitue une série inédite.
Météo France

Ce dernier travaille huit mois par an à faire du compost à base de bois mort et de fumier, de l’ordre de 1000 à 1500 tonnes, qu’il épand sur ses dix hectares. « Il augmente la capacité de rétention d’eau de ses sols en ajoutant énormément de matière organique, et favorise grâce à ses apports le développement d’un sol vivant. C’est de l’agriculture sur sol vivant », souligne-t-elle dans une récente vidéo. Un sol « vivant » en opposition aux pratiques agro-industrielles qui recourent massivement à l’épandage de pesticides, aux engrais chimiques de synthèse, au labour et aux monocultures.

« On va apporter de la porosité pour avoir un effet éponge qui retient de l’eau », appuie Olivier Puech, à l’origine de la chaîne YouTube Le potager d’Olivier. Au fil de ses vidéos, il rappelle l’importance de comprendre le sol, de le nourrir pour le rendre fertile, de le pailler pour le protéger. « Le compost, souvent appelé l’or noir du jardinier, est un formidable atout pour améliorer significativement votre terre, explique-t-il. Cette matière organique va engendrer une meilleure oxygénation de votre sol. Elle va permettre une meilleure rétention d’eau, comme une éponge capable de se gorger d’humidité. »

« Il faut arrêter de labourer et garder les couverts »

Parmi les agronomes ayant « bifurqué » il y a plus de 40 ans, pour prendre une autre voie que celle du productivisme à tout prix, figurent Lydia et Claude Bourguignon. Fondateurs de leur propre laboratoire de recherche et d’expertise en biologie des sols (LAMS 21), ils ont réalisé des milliers de profils de sol dans le monde pour déterminer les problèmes de dégradation.

« Le sol, c’est la base de tout, c’est la pyramide de la qualité de notre vie », rappelaient-ils aux Rencontres internationales de l’agriculture du vivant en 2019. Labour profond, fertilisation, engrais ont contribué ces dernières décennies à ce que le sol se compacte et à un enracinement moins profond. La perte de matière organique est ainsi la première dégradation, ont-ils pu constater, conduisant à la perte de la porosité du sol.

À leurs yeux, « la puissance de la faune, du sol et des champignons a été totalement négligée par l’agronomie moderne. Les champignons et la faune sont pourtant fondamentaux pour le fonctionnement des sols. Il faut arrêter de labourer et garder les couverts. Quand vous avez de la matière organique, vous allez avoir des vers de terre, mais aussi une faune, une microfaune – collemboles, acariens, myriapodes comme les mille-pattes par exemple – qui vont être des brasseurs de sols, qui vont faire une porosité du sol. Vous allez avoir un sol qui est comme une éponge, qui va avoir de l’oxygène et une perméabilité beaucoup plus importante. »

Benoit Le Baube, maraîcher et fondateur du projet agrobiologique La Ferme de Cagnolle, préconise lui aussi une agriculture mettant le focus sur la qualité des sols. Malgré cinq semaines sans goutte d’eau et des 40° à l’ombre, il a livré fin août sur sa chaîne YouTube un premier bilan concernant ses productions.

Grâce au paillage, à l’apport de matière organique, ainsi qu’à des bâches, ses plants ont globalement bien résisté, avec de bons rendements. « Dès qu’on arrête de travailler les sols, qu’on commence à apporter de la matière organique, qu’on fait remonter les taux de matière organique des sols, on va créer de l’humus. On va augmenter la capacité de rétention d’eau des sols, on va avoir des sols qui vont héberger beaucoup d’activités biologiques, qui vont permettre de les structurer : s’il pleut beaucoup, l’eau va s’infiltrer et il n’y a pas d’érosion, résume-t-il. Même avec des sécheresses record, on arrive à maintenir la production et à créer des systèmes résilients à des événements climatiques extrêmes ».

Sophie Chapelle