En Suède, des recycleries sportives où tout est gratuit, pour tout le monde

par Emma Bougerol

Des « banques du temps libre » avec une ambition écologique et sociale rencontrent un franc succès chez les Suédois et Suédoises. On peut emprunter sans payer des skis, des rollers, une tente… ou simplement s’y retrouver pour un match de ping-pong.

À première vue, c’est un magasin comme les autres dans un centre commercial de Malmö, au sud de la Suède. Une boutique avec des articles de seconde main destinés aux activités de plein air, bien rangés sur les étagères réparties sur 500 mètres carrés. Mais ici, rien n’est à vendre. Pour repartir avec un objet, il suffit de laisser son nom et numéro de téléphone.

« Quand on a emménagé dans le centre commercial, les premiers mois, beaucoup de gens pensaient que l’on vendait tout ce qu’on avait sur les étagères, se rappelle Susanne Helgesson Falck. Alors on leur a expliqué le concept. L’une des choses agréables lorsqu’on travaille ici, c’est que tout le monde trouve que ce que l’on fait est une bonne idée. » La co-responsable du magasin fait le tour du lieu, montre tout à tour les espaces pour le ski, le hockey, les sports de ballon, le patinage ou le roller.

Un mur avec plusieurs raquettes de tennis, à côté d'une benne verte avec marqué "Fritidsbanken"
Dans la benne verte, les personnes peuvent déposer du matériel sportif qu’ils n’utilisent plus. Ils seront ensuite classés et prêtés par la Fritidsbanken.
© Emma Bougerol

Elle pointe du doigt la section dédiée au camping : « Il y a normalement des tentes ici, mais elles sont toutes empruntées. » En été, cette boutique appelée « Fritidsbanken » en suédois prête environ 150 objets par jour. En hiver, c’est le double.

Faire confiance

En Suédois, « Fritidsbanken » signifie littéralement « banque du temps libre ». L’association à but non lucratif « ressemble à une bibliothèque, mais avec des équipements de sport et de plein air », lit-on sur son site. L’organisation est née en 2013 à l’initiative d’une femme diacre, Carina Haak, qui a décidé de récupérer des équipements sportifs pour les prêter aux habitants du village où elle officie.

« Depuis, beaucoup de choses se sont passées pour les Fritidsbanken, mais les fondements restent les mêmes : une organisation qui donne une nouvelle vie à des équipements inutilisés, qui promeut les loisirs sportifs, où tout est toujours gratuit et pour tout le monde », écrit l’association. Désormais, quatre municipalités sur dix du pays possèdent une « banque du temps libre », le plus souvent financée par leur commune d’accueil. Des associations de promotion du sport, des fondations et des régions participent également au financement des Fritidsbanken.

À Malmö, trois filles entrent en courant dans la Fritidsbanken, direction les rollers. Susanne Helgesson Falck les aide à trouver la paire à la bonne taille, les enfants s’empressent d’essayer les rollers donnés par d’autres. Elles s’apprêtent à repartir pour jouer sur la petite place devant le local. Si elles le veulent, en laissant leurs coordonnées ou celles de leurs parents, elles pourront même emprunter le matériel pour deux semaines.

Un tas de casques de hockey sur glace, avec des rollers dans le fond.
Des casques de hockey en passant par des raquettes de tennis ou des duvets de camping, tout s’emprunte gratuitement.
© Emma Bougerol

Et si jamais les rollers ou autres équipements ne sont jamais ramenés ? « Ça n’arrive que très peu, balaye Susanne Helgesson Falck. Je pense que c’est le fait que nous leur fassions confiance qui les incite à prendre soin des objets et à les ramener. Je dirais que 90 % des choses nous reviennent en bon état. » Il arrive qu’un objet soit rendu cassé ou abîmé. Mais cela n’est jamais un souci. « Il n’y a ni frais supplémentaires, ni rancune. Ça arrive », sourit la responsable.

Un lieu de vie

Ici, les deux responsables et les cinq employés en insertion – à temps partiel – s’occupent aussi bien de l’accueil du public que de la réparation. Aucune des personnes n’est experte en réparation, elles font avec les moyens du bord. « On regarde beaucoup de vidéos YouTube », rit la gérante, également responsable du développement de la structure.

Une femme avec un pull floqué "Fritidsbanken" est assise sur un vélo cargo rempli de matériel de sport
Tout l’été, la Fritidsbanken propose des « emprunts express » sur la place devant le local. Enfants et plus grands peuvent utiliser des accessoires sportifs gratuitement.
© Emma Bougerol

L’organisation nationale Fritidsbanken fournit également des formations pour ses employées. Susanne Helgesson Falck illustre en pointant du doigt la section de sports d’hiver : « Quand on a commencé ici, aucun d’entre nous n’avait jamais fait de ski, on n’y connaissait rien du tout. Alors, on s’est renseigné. »

La Fritidsbanken de Malmö n’est pas seulement un lieu d’emprunt. C’est aussi un lieu de vie. Ce mardi 25 juin, aux alentours du déjeuner, le magasin est peu fréquenté. Les échanges réguliers de balles de ping-pong rythment le travail des employés au t-shirt vert. Mahmoud et Abo Zaid font partie des pongistes, ils s’agitent autour des tables disposées au milieu des rangées d’équipement.

Mahmoud, la trentaine, a été ramené ici par Abo Zaid, de quarante ans son aîné. « Il m’a dit qu’on pouvait venir jouer ici gratuitement et rencontrer d’autres gens », raconte le jeune homme. Arrivé en Suède en 2015, le Syrien vit seul. Il attend depuis des années des papiers qui ne semblent jamais venir.

« Maintenant, je suis en forme ! »

« C’est un quartier mixte socialement, avec des espaces populaires, explique Susanne Helgesson Falck. Il y a un vrai manque d’infrastructures sportives. » Les gens des environs sont donc forcés de se déplacer plus loin dans la ville pour accéder à des activités physiques. La Fritidsbanken locale veut tenter de pallier ce manque.

En septembre dernier, l’association a quitté un local de 50 mètres carrés pour cet espace dix fois plus grand dans le centre commercial. « Vu qu’on a plus d’espace que d’autres Fritidsbanken, on peut se permettre d’organiser des activités », affirme-t-elle. L’espace central du local a par exemple été utilisé pour une initiation au curling. Les deux tables de ping-pong, une fois installées à cet endroit, ont rencontré un vif succès. Elles sont donc là depuis plusieurs mois.

Deux tables de ping-pong au milieu d'une pièce, avec un comptoir. Sur les murs, l'inscription "Fritidsbanken"
Tous les jours, des personnes se retrouvent ici pour jouer au ping-pong, sous l’œil bienveillant des employés de la Fritidsbanken. Tout à gauche, Mahmoud joue. Abo Zaid le regarde depuis le canapé.
© Emma Bougerol

Abo Zaid, 70 ans, vient ici tous les jours depuis un mois. Il se lève de son fauteuil, mime de marcher lentement. « Avant, je fonctionnais comme ça, tout doucement. » Puis il prend un pas assuré et relève la tête. « Et maintenant, je suis en forme ! », s’exclame le septuagénaire. Avant de venir ici, il n’avait plus joué au ping-pong depuis 40 ans, affirme-t-il. C’est l’une des ambitions fortes de Fritidsbanken : n’importe qui doit pouvoir accéder à une activité physique. Quel que soit son âge, ses moyens ou son origine.

Mais l’organisation porte aussi un message écologique, affirme la co-gérante du lieu. « On veut transmettre le message qu’il n’est pas toujours nécessaire d’acheter des choses neuves », complète-t-elle.

Plutôt que de consommer, mieux vaut emprunter. Désormais, Susanne Helgesson Falck veut nouer des partenariats avec les associations sportives locales, pour leur permettre à la fois d’avoir un espace où se retrouver, mais aussi pour organiser plus d’activités dans ce quartier défavorisé de la troisième plus grande ville du pays.

Emma Bougerol

Photo de une : La Fritidsbanken de Malmö, dans le centre commercial Mobilia, le 25 juin 2024/©Emma Bougerol