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« On va déclencher des vocations » : les filles en force au tournoi de rugby des quartiers

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par Paul Boyer

La finale du Tournoi national des quartiers en rugby s’est déroulée vendredi 27 octobre à Marcoussis. 6000 jeunes de 8 à 14 ans y ont participé, dont de nombreuses filles, de plus en plus attirées par le rugby à travers la France. Reportage.

Des dizaines d’adolescentes et d’adolescents courent sur le terrain semi-couvert de Marcoussis (Essonne), au centre d’entraînement national de la Fédération française de rugby. Échauffements, mêlées, jeux au pied, plaquages, c’est une première pour ces enfants.

À 13 h, le coup de sifflet retentit. C’est le début des matchs. Chaque équipe porte fièrement le maillot de sa ville ou le nom de son quartier, dessiné au feutre sur des t-shirts. « Je ne connaissais pas du tout le rugby il y a quelques semaines. Je pensais que les règles étaient trop compliquées. Finalement, non », dit timidement Julie, neuf ans, joueuse de l’équipe niçoise.

Après un essai, Samira cherche l’approbation de son entraîneur. « J’adore ce sport, j’aime surtout l’esprit d’équipe », jubile la jeune fille. La réputation de sport brutal du rugby a longtemps été un frein pour filles. Mais le cliché qui commence doucement à s’estomper. « C’est aussi de la technique et il faut courir vite. Je cours plus rapidement que certains garçons », lance Lucie, 11 ans.

Des équipes mixtes

Vendredi 27 octobre, c’était le jour de la finale du Tournoi nationale des quartiers, créé par le comité d’organisation de la Coupe du monde de rugby 2023. L’événement a réuni cette année 6000 jeunes âgés de 8 à 14 ans, tous issus des quartiers prioritaires entourant les neuf villes françaises hôtes de la compétition internationale.

Toute la journée, deux poules s’affrontent, l’équipe gagnante de cette finale des quartiers sera celle qui aura le plus de victoires au compteur. Les équipes sont mixtes. De nombreuses filles participent à ce tournoi. Elles représentent un peu plus d’un tiers des effectifs. L’effet Coupe du monde est ici indéniable, tout comme le nombre croissant de femmes et de filles qui pratiquent ce sport. Entre 2019 et 2021, le nombre de jeunes filles âgées de 5 à 12 ans inscrites dans les écoles de rugby a progressé de 45 %.

Ces jeunes de Nantes viennent des quartiers de La Halvêque, de Bellevue ou encore du Clos-Toreau. « Notre objectif, c’est de ramener le rugby dans les quartiers populaires. Cette Coupe du monde était l’occasion. On leur fait découvrir le ballon ovale et on les sort de leur quotidien », précise Pierre, éducateur sportif de l’équipe nantaise. Lors des premiers matchs de la Coupe du monde, Pierre les a amenées à la fan zone de Nantes.

Le jeu d’équipe et le partage

« Va jouer au centre, Abdoulaye ! » « Bien joué Mélanie, allez, on lâche rien ! » encourage André Ait-Saidi, entraîneur et responsable de la maison de quartier d’Athis-Mons, en Essonne. Pour l’entraîneur, également responsable de l’équipe adulte féminine de l’Union sportive olympique d’Athis-Mons, le rugby dans les quartiers est avant tout un outil de sociabilisation. « On leur apprend les valeurs de ce sport, le jeu d’équipe et le partage. Les voir se surpasser, ça me touche », dit-il.

Un entraineur de dos penché en avant parle à un groupe de jeunes joueuses et joueurs de rugby
©Paul Boyer

Cheveux ébouriffés, maillot plein de terre, Lise ne cesse pas de courir sur le terrain. « Il n’y a pas que les garçons qui sont forts, avec mes copines on marque encore plus d’essais qu’eux », lance la jeune demi de mêlée d’Athis-Mons. En milieu de journée, l’équipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) affronte Marseille. Sur le terrain, Nano, le pilier de l’équipe marseillaise s’illustre brillamment. À tout juste dix ans, cet enfant de Port-de-Bouc n’avait jamais pris le TGV pour sortir des Bouches-du-Rhône. « J’ai pris le train pour la première fois ! Aujourd’hui j’ai juste envie de m’amuser, j’adore tout ce qui est contact », raconte-t-il avant de retourner jouer avec son binôme Marwan.

Benoit Bachkou, entraîneur sportif au rugby club Port-de-Bouc, est fier de représenter Marseille et le Sud-Est. « Regardez, j’ai créé un groupe WhatsApp avec les parents des gamins, j’envoie des photos tous les jours. Ils adorent », sourit-il. Sa mission selon lui dépasse le seul aspect sportif. « On a les mêmes problématiques dans tous les quartiers de France. Ces enfants ont parfois des situations familiales extrêmement compliquées, explique-t-il. En tant qu’éducateur sportif, on fait entre autres face à des enjeux de mixité, d’intégration des filles. Moi j’accepte tout le monde, j’ai ramené deux filles et quatre garçons âgés de dix à douze ans pour cette finale. »

En plus des entraînements et les matchs, Benoit Bachkou réalise des interventions dans les différents quartiers de Marseille. Une manière de faire sortir certains adolescents en leur mettant un ballon ovale entre les mains. « Ce n’est pas facile quand tous nos jeunes ne regardent que du foot ! Nous ne sommes pas une terre de rugby, l’OM c’est une religion chez nous, rit l’entraîneur. Pourtant, il assure : Je ne suis pas inquiet, on va déclencher quelques vocations. »

« Encore beaucoup de travail »

À 16h, c’est le coup de sifflet final. L’équipe lilloise remporte le tournoi. Les jeunes du nord de la France explosent de joie. « On va soulever la Coupe », exulte Marie, onze ans. L’ambassadrice de l’événement, Comba Diallo, également joueuse internationale française du XV de France, remet fièrement la coupe. La troisième ligne du Stade français est extrêmement émue. Elle a participé depuis le début à l’organisation de ce tournoi.

Originaire de Clichy-sous-Bois, Comba Diallo a touché ses premiers ballons de rugby à l’AC Bobigny 93. « Je suis aussi issue d’un quartier populaire. Je sais ce qu’ils et elles vivent et ressentent. Voir ces petites filles me fait très plaisir, confie-t-elle. Moi je fais partie des premières filles à jouer. La Fédération française a mis beaucoup de moyens pour développer le rugby féminin. Mais il reste encore beaucoup de travail. »

Depuis plusieurs années, Comba Diallo va dans différents quartiers de France pour sensibiliser les jeunes filles au rugby et leur dire que ce sport est aussi fait pour elles. « Elles ont besoin de pouvoir s’identifier. C’est extrêmement important. Comme elles, je dormais enfant dans un lit superposé avec mes sœurs. Vous avez sous vos yeux la nouvelle génération de rugby women. »

Présente à Marcoussis pour la remise du trophée, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra déclare à basta! que cet événement « reflète les valeurs de solidarité et de partage chères au rugby ». En fin de journée, toutes et tous les jeunes filent au vestiaire pour se changer. Un car part en direction du Stade de France pour assister au match Angleterre-Argentine.

La soirée se termine par une victoire du XV de la Rose, l’équipe anglaise. Le lendemain, samedi 28 octobre, c’est l’Afrique du Sud qui a remporté le titre de champion du monde de rugby en finale. Sur le terrain de Marcoussis, Comba Diallo se dit « la plus heureuse des femmes quand je vois cette nouvelle génération » de joueurs et de joueuses.

Paul Boyer