Pollutions

Traitements aux pesticides, sols asséchés, invendus incinérés : faut-il encore acheter un sapin de Noël ?

Pollutions

par Muriel André-Petident

Plus d’un million de sapins sont produits chaque année dans le Morvan. Avec son lot de pesticides. « Oui il faut garder et créer des emplois, mais pas à n’importe quel prix », alerte Muriel André-Petident, du collectif d’habitants du Morvan.

En achetant un sapin de Noël, vous détruisez un peu de prairies, un peu de forêts, un peu d’eau, un peu du Morvan. Depuis le début de l’industrialisation, il y a plus d’un siècle, le Morvan subit un pillage de ses ressources.

Muriel André-Petident
Muriel André-Petident
Membre du collectif d’habitants du Morvan

Aujourd’hui, la pression sur ses richesses s’affole : coupes rases de forêts, de feuillus, enrésinement massif, monocultures, suppression progressive de l’élevage et de parcelles agricoles au profit de panneaux photovoltaïques, méthanisation à grande échelle, monoculture intensive et polluante de sapins de Noël... Les seuls arguments, perpétuant de facto la surexploitation et donc la destruction du territoire, restent l’emploi et le sempiternel « on ne sait pas faire autrement ».

La monoculture intensive détruit les sols

Le Morvan est à cheval sur les quatre départements bourguignons. C’est un massif granitique vallonné avec très peu de terre arable et pas, ou très peu, de nappes phréatiques. 1,2 million de sapins sont produits par an dans le Morvan. On déterre un sapin, on en plante un autre, on arrose d’engrais chimiques et autres pesticides, on épuise les sols, pour toujours davantage de rendements.

Imaginez des cultures de sapins sur sol pentu sans un brin d’herbe, avec des passages d’engins répétés pour les sept à dix traitements chimiques de synthèse annuels (fongicides, insecticides, herbicides...). Sur la terre à nu, l’eau ravine, le sol est lessivé et les produits s’écoulent dans les sources, dans les ruisseaux et les rivières. Les systèmes racinaires des sapins de Noël, affaiblis par les traitements, ne sont pas suffisamment denses et solides pour jouer leur rôle. Les sources sont polluées. Certains villages n’ont plus d’eau potable.

Mais la production de sapins de Noël rapporte gros aux agriculteurs et aux pépiniéristes. Le Morvan est d’abord une terre d’élevage, avec des prairies naturelles, et aujourd’hui des éleveurs vendent leur cheptel pour cultiver des sapins de Noël, moins contraignants et plus rémunérateurs. Le labour des prairies naturelles implique un déstockage de carbone.

Le sapin de Noël n’est donc pas un arbre que l’on va couper en forêt, il est cultivé en rangs d’oignons, comme des carottes ou des poireaux, sur des centaines d’hectares dédiés [1]. Après les fêtes, il est ensuite jeté comme un kleenex, en rejetant le peu de carbone qu’il a stocké, les invendus encore sous filets plastiques sont incinérés par le producteur, au grand air du Morvan. Il y a aussi ceux qui sont vendus en pot, et là ce sont des tonnes de terre si précieuse qui quittent les collines du Morvan. Les producteurs de sapins de Noël se tirent une balle dans le pied avec cette vision court-termiste fondée sur le profit immédiat. C’est « après moi le déluge ! »

Des emplois oui, mais des emplois dignes

Une sapinière dans le Morvan
Une sapinière dans le Morvan
© collectif d’habitants du Morvan

Oui il faut garder et créer des emplois, mais pas à n’importe quel prix. Pas au détriment de l’environnement, de la qualité de l’eau et de l’air ; pas au détriment des sols déjà si fragiles ; pas au détriment de la biodiversité, pas au détriment du vivant. Des emplois oui, mais des emplois dignes. Les employés saisonniers sont exposés aux produits au moment de la culture et à la récolte, et c’est sans compter les produits de conservation et autre « floconnage » juste avant la vente.

Pour se donner bonne conscience, les producteurs visent le label européen (IGP : indication géographique protégée), mais ça ne changera rien au saccage du Morvan par la culture du sapin de Noël ! Ça ne fera qu’ajouter une structure complice à cette destruction en règle.

Nous devons exiger des cultures propres

Quel sens a l’achat d’un sapin de Noël aujourd’hui quand on sait tout cela ? Les producteurs doivent se remettre en question et les consommateurs les aider à modifier leur mode de production. La transition écologique est possible en passant d’abord par l’agriculture biologique [2]. Nous devons exiger des cultures propres, proposer des alternatives aux producteurs et aux consommateurs. Quelles activités et quelle économie aurons-nous quand le tourisme déclinera faute d’endroits préservés, tant convoités ? Des rivières exsangues, des forêts coupées à blanc [3]. À l’heure du réchauffement climatique, de la transition énergétique et alors que nos ressources en eau ne cessent de s’amoindrir, nous devons renoncer au principe de monoculture.

Notre collectif d’habitants du Morvan demande que ces biens communs, l’eau et la biodiversité, soient protégés et ne soient pas détruits en toute impunité.

Il faut diversifier l’agriculture, exiger une agriculture sans pesticides ni intrants chimiques, faciliter l’installation de jeunes agriculteurs en petites productions. Faciliter l’accès au foncier plutôt que privilégier l’agrandissement. Il faut rouvrir les commerces de proximité dans les villages, dynamiser le tourisme, proposer des offres d’hébergement, accueillir des petites entreprises créatrices d’emplois vertueux, etc.

L’écologie n’est pas une devise politique, mais des savoir-être et des savoir-faire collectifs. L’écologie nous concerne toutes et tous. Les Morvandiaux ne peuvent accepter que leur territoire soit détruit encore et encore, même pour un label européen.

Muriel André-Petident, du collectif d’habitants du Morvan

Photo de une : Une sapinière dans le Morvan/©Collectif d’habitants du Morvan

Notes

[1La culture du sapin de Noël dépend du ministère de l’Agriculture.

[2Voir par exemple ce site.

[3La gestion de la forêt avec les monocultures de résineux qui remplacent les forêts de feuillus est une autre problématique. Des associations (SOS Forêts, Canopée...) alertent et mobilisent actuellement pour raisonner la filière bois et le gouvernement et essayer de stopper la déforestation en cours.