L’affaire Joël Guerriau est symptomatique du niveau d’impunité sur les violences sexistes et sexuelles en politique. Un sénateur drogue une députée et se dit que ça va passer tranquille. C’est fou de se dire qu’on en est là, que certains hommes sont dans cet état d’esprit là. Ces hommes qui considèrent que plus c’est gros, plus ça passe, que de toute manière il ne peut rien leur arriver. Ce n’est pas rien, ça montre l’étendue et la gravité des violences auxquelles on doit faire face.
Je pense que pour les Français, cette affaire a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Tout le monde s’est dit : « Encore ? C’est pas possible… ». Il y en a tout le temps des violences faites aux femmes qui viennent d’hommes politiques. Les gens commencent à se rendre compte qu’on a un problème avec la classe dirigeante. Comment est-ce possible d’entendre tous les mois parler d’un politique qui soit frappe sa femme, soit agresse sexuellement ? En plus, ce ne sont que les affaires qui sortent dans la presse, c’est donc la face émergée de l’iceberg. Pour une femme qui parle publiquement, on imagine le nombre de violences qui restent silencieuses.
Pas de sanctions, pas de « carrières brisées »
Ce que j’ai tiré de mon expérience à l’Assemblée nationale, comme collaboratrice parlementaire, et en voyant les partis recruter des gens, c’est que sont recrutés les mecs les plus agressifs possibles. Au début, ce sont des « petits connards » qui sont recrutés pour faire les services d’ordre, faire les petites fiches, participer aux organisations de jeunesse… Et, à la fin, ça devient de grands cons. Au début, ils sont valorisés pour des qualités de prise de parole, d’avoir « la niaque », le genre de mec de qui on dit « il en veut », qui est là à 5 heures du matin. Il y a un problème structurel de ce qui est valorisé dans les partis. On valorise la capacité à dominer.
Avec l’affaire Hulot et d’autres, on a eu des histoires absolument sordides. Mais qui ne donnent lieu à rien. Ces histoires ont marqué profondément l’idée qu’il est quasiment impossible d’avoir des sanctions. Il n’y a pas d’exemples de sanctions. Il y a eu un retrait pour Adrien Quatennens, mais il est resté à l’Assemblée nationale. Tout le monde a considéré que cela était suffisant, alors même qu’il a été sanctionné pénalement. C’est fou. Il n’y a pas de sanctions, pas de « carrières brisées ». Ça n’existe pas. On a l’impression que tout le monde s’en fout.
Au sein des partis, en tout cas à gauche, il y a des eu modifications. À droite, c’est en train d’arriver. À gauche, il y a la création de cellules de veille, de dispositifs efficaces – on l’a vu par exemple avec Taha Bouhafs, où il y a eu une réaction assez rapide. À droite, certaines élues essayent de mettre ça en place, mais ce n’est vraiment pas la même culture. Elles galèrent, elles sont très seules. Mais elles ont l’air d’être déterminées. À chaque fois qu’il y a une affaire, les partis politiques se disent qu’il faut qu’ils avancent. Alors, ça peut arriver. À chaque fois, ils se rendent compte un peu plus de l’étendue du phénomène et de la nécessité de croire les femmes. La culture change un peu à chaque fois.
La majorité présidentielle est extrêmement fournie en personnes accusées d’agressions. Ça donne le « la » à tout un groupe politique : un ministre de l’Intérieur est accusé de viol, mais reste en place ; un ministre de la Justice a été suspendu parce qu’il a touché son sexe devant une magistrate, mais reste en place ; une secrétaire d’État est accusée de viol, mais reste en place… Ils sont assez nombreux à être accusés, mais rien ne bouge. Cela renvoie le message à la société qu’on s’en fout. Alors, les femmes continuent à se taire. C’est très difficile de faire avancer les choses dans ce contexte-là.
Mettre la pression sur les partis
Ça reste difficile pour les femmes de parler, y compris dans le monde politique, et ça reste difficile de faire comprendre que ce sont des faits graves. C’est comme dans les partis politiques où, si les cellules de veille n’étaient pas tenues par des militantes féministes, tout le monde s’en foutrait. Heureusement que des féministes travaillent d’arrache-pied, en plus de leurs horaires, pour faire en sorte que ce sujet soit pris à bras le corps, parce que personne d’autre ne s’y intéresse.
Il n’y a que la pression qui marche. Tant qu’on arrive à mettre la pression sur les partis politiques, je pense qu’on pourra avancer. L’étape supplémentaire serait de pouvoir engager leur responsabilité pour défaut de respect de l’obligation de sécurité, comme dans les entreprises. Quand on fera cela pour des partis politiques qui ont laissé prospérer les agresseurs en leur sein, ça pourra les contraindre à bouger. Sans contrainte, il ne se passera rien. Ce que l’on fait, nous, c’est de les afficher dans les médias. On n’oublie rien, on fait une veille très précise, pour qu’ils ne puissent pas croire qu’il y a une impunité.
Nous proposons la création d’une haute autorité nationale qui gérerait ces questions, de sorte qu’elles ne soient pas laissées aux partis politiques, qui n’ont pas fait la démonstration de leur grande valeur. Par ailleurs, cela pose une question démocratique quand, en tant que femme, on n’est pas en sécurité lorsque l’on milite. Toutes les femmes devraient avoir la possibilité de militer en sécurité dans tous les partis ou organisations.
Cette nouvelle autorité nationale prendrait des décisions décidées par toutes et tous et pas seulement par les partis ou par le président de la République. Avoir une discussion « d’homme à homme » et absoudre un gars ne doit plus exister. Cette autorité permettrait d’établir des sanctions, d’éviter le copinage. Ce sont des choses qu’on a réussi à faire en matière de malversations financières, mais qu’on ne met pas en place sur les violences. Il est grand temps de le faire.
Mathilde Viot, militante féministe, autrice de L’homme politique, moi j’en fais du compost - où elle raconte son expérience du sexisme en tant que collaboratrice parlementaire - et cofondatrice de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique.
Propos recueillis par Emma Bougerol
Photo de une : Marche « Nous Toutes » en 2021/CC BY-NC 2.0 Deed Oliver Kornblihtt / Mídia NINJA via Flikr