Les droits trans subissent aujourd’hui une offensive mondiale. Aux États-Unis, le Parti républicain a interdit la transition pour les personnes mineures dans 13 États sous son contrôle. Dans certains États, des enquêtes sont menées contre les parents pour des « abus » contre les mineurs, les mettant ainsi au même niveau que des pédocriminels ou agresseurs sexuels parce qu’ils soutiennent la transition de leurs enfants.
Ces attaques arrivent aussi en Russie, où le gouvernement de Poutine souhaite interdire toute transition médicale et administrative pour les personnes trans.
En France, la droite et l’extrême droite institutionnelles ont créé des groupes d’enquêtes parlementaires sur les mineurs trans. Il est évident que ces attaques, de la même manière qu’elles se produisent dans le monde, sont en train d’arriver en France. L’extrême droite française commence à se saisir de plus en plus de paniques morales qui ont d’abord été testées et éprouvées dans le contexte de la politique étasunienne. On le voit déjà dans les discours de réactionnaires français comme Éric Zemmour, Michel Onfray ou Éric Naulleau.
Ces attaques arrivent au même moment et avec les mêmes arguments que celles contre les droits reproductifs. La principale raison pour laquelle on doit se saisir de ces questions, c’est qu’il ne s’agit pas juste d’une attaque contre les droits des personnes trans. On a l’habitude de voir, à gauche, les gens penser que cela ne concerne qu’une infime minorité de personnes.
En réalité, les attaques contre les droits des personnes trans pavent la voie, ou sont conjointes, aux attaques contre les droits reproductifs. Toutes deux concernent le droit à disposer de son corps, fondamentalement défendu par les mouvements LGBT et féministe.
Pénuries d’hormones et de pilules abortives
Si le mouvement social porte véritablement un projet d’émancipation de l’exploitation et des oppressions – raciales, genrées, etc. –, alors il doit épouser la bataille pour les droits trans puisqu’elle est liée de manière indissociable à la lutte contre l’extrême droite, ainsi qu’à notre projet de société. Un projet qui doit porter l’autodétermination des personnes trans, y compris des personnes trans mineures, qui permettrait aux femmes et à toutes les personnes qui ont des capacités reproductives de porter un enfant ou d’avorter si elles le souhaitent. Et créer des infrastructures, des services publics, qui permettent de prendre cela en charge de manière collective.
C’est pour ce projet politique que le mouvement social tout entier doit se battre. En combattant par exemple les pénuries de pilules abortives que l’on voit aujourd’hui, qui sont une conséquence de la gestion désastreuse de l’industrie pharmaceutique. De même, on observe des pénuries d’Androtardyl, une testostérone injectable utilisée par les personnes trans masculines. Cela montre les profonds dysfonctionnements de notre système de santé sous le capitalisme. Ce sont des luttes que le mouvement social doit prendre à bras le corps.
Un mouvement social comme celui de la réforme des retraites est parti des questions liées au travail, plus précisément au départ à la retraite. Malheureusement, sous la direction de l’intersyndicale – CGT, CFDT, Solidaires – cette grève n’a pas porté de revendications féministes, LGBT, et encore moins trans. Le périmètre des revendications était circonscrit à la réforme des retraites.
Même plus : il était circonscrit au seul report de l’âge légal. On ne posait pas la question des annuités, alors qu’elle est essentielle pour les personnes LGBT et pour les femmes, qui ont des pauses dans leur carrière.
Mettre les outils du mouvement social au service des personnes opprimées
La communauté trans ne dispose pas aujourd’hui d’un levier pour engager un rapport de force suffisant avec l’État pour acheminer ses revendications seule.
Si on regarde aujourd’hui l’ExisTransInter, la marche annuelle des personnes trans et intersexes, elle réunit tous les ans autour de 10 000 personnes de toute la France – ce sont globalement les forces dont on dispose actuellement. C’est insuffisant face aux contingents de l’extrême droite aujourd’hui. Nos combats doivent donc être menés ensemble avec le mouvement ouvrier, le mouvement écologiste et tous les mouvements contre les oppressions. C’est ce que beaucoup de gens disent en parlant de « convergences des luttes ». C’est une question purement mathématique de rapport de force.
Mais la question est aussi : qu’est-ce que la direction du mouvement social souhaite mettre au service des luttes des personnes opprimées, face à une extrême droite qui essaye de pousser un rouleau compresseur sur nos existences partout dans le monde ? Et mettre ses forces au service de ce combat, ce n’est pas juste venir à la Pride une fois par an, mais c’est utiliser l’outil du blocage économique, de la grève générale, au service des revendications des personnes opprimées.
Il ne faut pas oublier que les femmes, les personnes LGBT, les immigré
es, font partie de la classe ouvrière. Les questions qui les concernent sont donc essentielles au mouvement ouvrier parce qu’on en fait partie. Se battre à la fois sur le terrain économique et contre les oppressions permet aussi de faire bloc contre l’extrême droite.C’est en construisant des mouvements massifs, avec des millions de personnes, que l’on pourra cesser de se battre en mode défensif et conquérir même de nouveaux droits. Je pense qu’on peut largement dépasser les 3,5 millions de personnes dans la rue en s’organisant à la base et en portant véritablement des revendications qui concernent tout le monde, tous les opprimés, tous les exploités.
Sasha Yaropolskaya, journaliste et militante dans le collectif féministe révolutionnaire Du Pain et Des Roses.