Trois lieux, trois évènements de nature différente, mais un même sentiment d’inquiétude. Au Québec d’abord : après trois mois de contestation étudiante, contre l’augmentation des droits de scolarité de 82 % sur sept ans, le vote par la majorité conservatrice d’une « loi spéciale ». Cette loi restreint le droit de manifester, interdit les rassemblements à proximité des établissements scolaires et universitaires, punit de très lourdes amendes les individus ou associations y contrevenant. Et oui, nous sommes bien au Québec, province francophone du Canada.
En Espagne ensuite, à Madrid même. Trois télévisions associatives locales sont menacées de fermeture par le gouvernement régional, dirigé par le Parti populaire, la droite espagnole. Là encore, de lourdes menaces d’amendes planent sur les propriétaires du bâtiment qui abritent les studios des trois télévisions. Leur ton critique et leur soutien affiché au mouvement des Indignés déplaisent au pouvoir en place. Pire : l’audimat des trois chaînes non commerciales progresse depuis le début du mouvement, le 15 mai 2011. Il était bien temps d’éteindre ces canaux dissidents, capables potentiellement d’insuffler un peu de subversion dans les esprits de 6 millions de Madrilènes (lire ici). Les chaînes qui s’en tiennent à fournir « du temps de cerveau humain disponible » [1] pour le marketing ne sont pas inquiétées.
Médias libres
En France, enfin. Alors que les élections législatives pour les « Français de l’étranger » commencent aujourd’hui. 700 000 émigrés de l’Hexagone sont appelés à élire 11 députés grâce au vote électronique par Internet. Un vote en ligne dont ni la confidentialité ni la sécurité ne semblent garanties, comme le montre notre enquête. Toutes les manipulations sont possibles, alors que l’ensemble du processus est géré par des entreprises privées. Imaginez un bureau de vote où s’afficherait l’avertissement « fraude possible » et « secret de l’isoloir non assuré » – c’est pourtant bien ce que dit le gouvernement lui-même ! [2]. Et un bureau de vote dont les assesseurs seraient les employés d’une filiale de la Société générale ou de Dassault System… Cela provoquerait un tollé ! Eh bien non. Rares sont les médias qui, à l’instar de Basta! (ou de Numerama), s’en sont fait l’écho (mis à part… Le Figaro, qui, huit jours après la publication de notre enquête, s’en est largement inspiré).
Cela dans un contexte où, après l’effervescence présidentielle, le ronronnement uniforme d’une grande partie des médias traditionnels a repris de plus belle. Leurs éditorialistes conseillent sans vergogne à François Hollande de ne pas appliquer son programme s’il veut « réussir », espérant implicitement que ses (rares) engagements de campagne ne soient finalement que mensonges, hypocrisies et cynisme [3]. Légitimés au nom de l’austérité pour tous.
Sentiment d’inquiétude, alors qu’au sein des « démocraties » les atteintes aux libertés fondamentales se banalisent au nom de la nécessaire austérité, que l’intégrité du bulletin de vote n’est plus garantie au nom de la modernité, et que l’émergence d’une presse dissidente commence à sérieusement indisposer. Ces médias libres, dont Basta! fait partie, vont avoir encore plus besoin de vous. Alors n’oubliez pas, si notre travail vous est cher, que nos moyens ne tombent pas du ciel !
Ivan du Roy