Outre-Mer

« Ça va défoncer les coraux » : mobilisation à Tahiti contre la tour de surf des JO

Outre-Mer

par Mathilde Picard

Associations et communautés locales de Tahiti craignent les impacts environnementaux d’une nouvelle tour des juges depuis laquelle sera arbitrée, filmée et diffusée l’épreuve de surf des Jeux olympiques de Paris 2024.

Mise à jour le 17 novembre 2023 : À l’issue d’une réunion qui s’est déroulée le 15 novembre à Tahiti, le gouvernement polynésien, les représentantes de l’État et les organisateurstrices ont fait savoir qu’ils remodelaient le projet, en réduisant la surface et le poids de la tour, de 14 à 9 tonnes, pour répondre aux contestations locales.


« Cette nouvelle construction va détruire une grande partie du récif », alerte dans une vidéo postée sur Instagram le surfeur polynésien Matahi Drollet. Il appelle à se joindre à une pétition lancée le 17 octobre et qui a déjà recueilli plus 100 000 signatures. Celle-ci demande à renoncer au projet d’une nouvelle tour d’arbitrage qui doit être construite pour les épreuves de surf des Jeux olympiques de Paris 2024, qui vont se dérouler à plus de 15 000 kilomètres de la capitale française, à Tahiti. « Nous demandons au gouvernement du pays de renoncer à la nouvelle tour d’arbitrage des JO 2024, aux forages du platier, aux canalisations sous-marines », revendique le texte des « résidents et visiteurs de Teahupoo et de Māòhi nui ».

Au sud-est de l’île de Tahiti, l’entreprise Boyer chargée de la maîtrise d’ouvrage, attend une houle plus favorable pour commencer les travaux sur le célèbre spot de surf. En attendant, la mobilisation des habitants de Teahupoo ne faiblit pas. Depuis qu’ils ont appris les détails du projet de la nouvelle tour, lors d’une réunion publique le 15 septembre dernier, ils s’organisent pour faire connaître les risques de cette installation sur le lagon.

La tour actuelle en bois destinée à arbitrer les compétitions de surf sur la mythique vague Hava’e ainsi que ses fondations « ne répondent pas aux normes de sécurité en vigueur selon la loi de la Polynésie française », affirme le comité olympique. Il en faudrait donc une nouvelle. À quel prix ? Le nouvel édifice de 14 mètres de hauteur, une envergure assez similaire à la précédente tour, nécessite 12 plots en béton, plantés dans le platier corallien à l’aide de plusieurs dizaines de micro-pieux de deux mètres de profondeur, pour un bâtiment tout en aluminium.

« Ça va défoncer les coraux »

Celui-ci doit être relié à la terre par une canalisation en fonte d’environ 800 mètres afin de faire passer la fibre pour la retransmission de l’épreuve, ainsi que l’arrivée et l’évacuation d’eau pour les toilettes. Contacté par Basta!, le comité olympique tente de rassurer : « Le tracé du câble a été étudié de façon à contourner les coraux et ne pas les endommager, il n’est pas rigide et peut adopter des rayons de courbure importants. »

Le bureau d’étude Creocean, mandaté par le gouvernement polynésien, a dessiné un tracé pour installer la conduite dans les zones où l’enjeu écologique serait moindre. Mais c’est impossible, dit Tahurai Henry, surfeur professionnel de Teahupoo : « La zone est sensible partout, qu’il y ait moins de coraux d’un côté ou d’un autre, dans tous les cas on a 800 mètres de tuyau à tirer, ça va défoncer les coraux ».

Astrid Drollet, secrétaire de l’association locale de protection de l’environnement Vai ara o Teahupoo, renchérit : « Il n’y a pas eu d’étude géologique [mais une étude géotechnique, ndlr] pour assurer que ce forage ne va pas impacter la faille à l’origine de la vague, qui est juste en face de la tour des juges, tout comme il n’y a pas eu d’étude d’impact réalisée pour le projet, car elle n’était pas obligatoire. Le travail de Creocean, c’est une notice d’impact donc sans inventaire de la faune et de la flore. »

Image virtuelle de la tour de surf plantée dans un lagon
Voilà à quoi devrait ressembler la nouvelle tour des juges.
©Paris 2024

Depuis une semaine, les habitués du lagon ont donc décidé de documenter la vie marine à l’endroit exact où sera construite la tour. Étoile de mer bleue, porcelaine tigrée (un mollusque) et autres gastéropodes marins sont photographiés et publiés sur les réseaux pour mettre en lumière les écosystèmes en péril.

À cet emplacement précis flotte un unu, un long totem en bois gravé, apporté par les surfeurs expérimentés de Teahupoo pour symboliser leur volonté de protéger la mer et les êtres vivants qui la peuplent. Ils l’ont déposé à la suite de la marche pacifique du 15 octobre dernier, qui a réuni plus de 400 personnes pour un défilé depuis la mairie jusqu’au fameux spot.

Manque de transparence et de concertation

Les manifestants ne rejettent pas les Jeux, certains accueillent même chez eux de futurs compétiteurs, mais ils dénoncent le manque de transparence et de concertation dans leur organisation. « On a découvert que la Direction de l’environnement n’était pas pleinement associée dans le suivi des travaux jusqu’à récemment, elle n’avait pas reçu la notice d’impact de Creocean par exemple », relève Astrid Drollet.

« La marche a vraiment mobilisé du monde alors qu’ici, il n’y a pas de culture de l’activisme, mais on observe un ras-le-bol général des travaux », poursuit celle qui aurait aimé que le gouvernement polynésien organise une enquête publique. D’autres chantiers liés aux JO ont effectivement commencé il y a plusieurs mois, notamment la réfection de la passerelle pour accéder à la commune et l’aplanissement du terrain pour accueillir le village olympique.

« La tour existante a fait ses preuves pendant plus de vingt ans de compétition », rappelle quant à lui Matehau Tetopata, membre de la Fédération française de surf. Utilisée pour les grandes épreuves internationales, elle a résisté à des houles de plus dix mètres de haut.

Risque d’intoxication

Outre la tour elle-même, ce sont les travaux pour la bâtir qui inquiètent l’association Vai ara o Teahupoo. Ses membres craignent l’arrivée de la ciguatera en même temps que celle des engins de chantier. Cette intoxication alimentaire se produit lorsque l’homme mange des poissons contaminés par la toxine d’une microalgue qui se développe dans les récifs coralliens détériorés. Une menace que ne peuvent supporter les nombreux pêcheurs de la presqu’île. Une étude sera commandée à l’institut de veille sanitaire de Polynésie française, l’Institut Louis-Malardé, afin de contrôler sa présence, répondent le comité olympique et le gouvernement polynésien.

Crainte d’intoxication mais aussi de coraux détruits : le chenal étroit existant, d’à peine un mètre de tirant d’eau, suffira-t-il à transporter les engins pour forer les nouvelles fondations ? Les membres de l’association redoutent que l’entreprise Boyer ne doive casser une partie des coraux pour dégager un passage plus large jusqu’au lieu de l’implantation de la tour. Lorsqu’il s’agissait de monter l’ancien édifice en bois, les hommes en charge slalomaient en bateau entre les « patates » de corail.

Le week-end dernier du 21 et 22 octobre, l’entreprise a présenté ses méthodes de forage en présence du président de la Polynésie française Moetai Brotherson et de plusieurs associations. Parmi elles, Atihau dont le vice-président Milton Parker n’était pas complètement convaincu, a rapporté la Dépêche de Tahiti. Vai ara o Teahupoo, elle, a décliné l’invitation, refusant de cautionner le projet de la nouvelle tour.

L’association a proposé plusieurs alternatives à la collectivité et au comité olympique : construire une tour sur terre avec des caméras ou des drones pour arbitrer l’épreuve, utiliser des panneaux photovoltaïques ou des toilettes sèches. Certaines demandes ne peuvent être réalisées, répond Paris 2024. Selon l’organisation des JO, les panneaux photovoltaïques n’offrent pas de production d’électricité suffisamment stable et la tour sur terre sera à trop longue distance des sportifs pour être efficace.

Le président du comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 Tony Estanguet a toutefois tenté de se montrer rassurant lors d’une conférence de presse : « On est évidemment prêts à étudier des propositions concrètes pour améliorer encore et réduire l’impact si c’est possible. S’il y a la recommandation de dire qu’il faut des toilettes sèches qui ne soient pas raccordées, on est évidemment à l’écoute et on travaille avec le gouvernement dans les prochains jours pour adapter encore le projet. »

Au-delà de l’impact environnemental, le coût de la tour a également du mal à passer auprès des habitants : 4,4 millions d’euros, pour moitié payée par la collectivité, et donc par les contribuables, pour seulement quatre jours de compétition. Le comité olympique et le ministère des Sports polynésien rappellent que la tour pourra accueillir les juges de futures compétitions comme la Tahiti World Surf League (WSL). En attendant, malgré ses profondes fondations, le projet continue de faire des vagues.

Mathilde Picard

Photo de une : CC BY-NC 2.0 Duncan Rawlinson via flickr.

Suivi

Mise à jour du 3 novembre 2023 : Nous avons corrigé le nombre de plots de béton et de micro-pieux nécessaires pour la nouvelle tour de surf.

Mise à jour du 17 novembre 2023 : À l’issue d’une réunion qui s’est déroulée le 15 novembre à Tahiti, le gouvernement polynésien, les représentantes de l’État et les organisateurstrices ont fait savoir qu’ils remodelaient le projet, en réduisant la surface et le poids de la tour, de 14 à 9 tonnes, pour répondre aux contestations locales.