Ce que la pétition contre la loi Duplomb peut changer

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Avec plus d’un million de signatures, la pétition contre la loi Duplomb pourrait conduire à un débat parlementaire à la rentrée et peut-être pousser le président de la République à ne pas promulguer la loi.

par Sophie Chapelle

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La pétition contre la loi Duplomb a franchi le 20 juillet la barre du million de signatures sur le site de l’Assemblée nationale. Du jamais-vu. Il est possible de déposer des pétitions sur le site internet de l’Assemblée depuis 2019. Mais il s’agit ici « de loin de la pétition la plus signée sur ce site officiel », signale l’ONG Générations futures.

Lancée par une étudiante le 10 juillet, deux jours après l’adoption du texte du sénateur Les Républicains (LR) Laurent Duplomb, cette pétition demande l’abrogation de la loi sur « les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Cette loi prévoit notamment une réintroduction de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, dont l’usage est interdit en France depuis 2020 en raison de ses impacts sur l’environnement et de ses risques pour la santé. La loi Duplomb assouplit également les règles d’évaluation environnementale pour les plus gros élevages industriels et facilite les ouvrages de stockage de l’eau comme les très controversées mégabassines.

Un débat à l’Assemblée nationale à la rentrée

Que peut-il se passer maintenant ? À partir du seuil des 500 000 signatures, atteint le 19 juillet, et à condition qu’elles soient issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, la conférence des présidents de l’Assemblée nationale – qui réunit les présidents des groupes parlementaires et des commissions – peut décider d’organiser un débat en séance publique sur le sujet de la pétition.

Plusieurs groupes parlementaires de gauche ont déjà annoncé qu’ils en feraient la demande dès la rentrée du Parlement, sachant que les travaux parlementaires sont suspendus depuis le 10 juillet et reprennent le 25 septembre. « On ne peut pas imaginer qu’un membre de la conférence s’oppose à ce débat demandé par un million de personnes. Et sans doute plus d’ici à septembre », estime Aurélie Trouvé, députée (LFI) de la Seine-Saint-Denis et présidente de la commission des affaires économiques, auprès du quotidien Le Monde.

La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet [s’est dite, le 20 juillet sur France Info « favorable » à cette hypothèse. La conférence des présidents pourrait ainsi siéger en session extraordinaire en septembre. Un débat devrait se tenir en commission des affaires économiques avec nomination d’une ou d’un rapporteur, suivi d’un débat dans l’hémicycle qui ne se tiendra pas avant fin septembre ou début octobre.

Cependant, ce débat « ne pourra en aucun cas revenir sur la loi votée » ni aboutir à une abrogation du texte, insiste Yaël Braun-Pivet. Cette mobilisation inédite et la tenue de ce débat pourraient néanmoins conduire à ce que certains parlementaires changent d’avis sur la loi Duplomb.

Celle-ci n’avait d’ailleurs pas fait l’objet d’un débat en séance publique, ses partisans ayant fait en sorte que le texte soit négocié en commission mixte paritaire, avant d’être voté par le Rassemblement national et ses alliés, Les Républicains, Ensemble pour la République, Horizons et le Modem.

Décision du Conseil constitutionnel en août

« Maintenant, c’est au Conseil constitutionnel de statuer sur la loi et sur sa régularité », selon Yaël Braun-Pivet. Un premier recours, déposé le 11 juillet, a été signé par les insoumis, les écologistes et les communistes. « Outre l’irrégularité de la procédure ayant conduit à son adoption, cette loi méconnaît plusieurs principes à valeur constitutionnelle », estiment-ils dans leur courrier au président du Conseil, Richard Ferrand. Ils listent « le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, le devoir de préservation de l’environnement, les principes de prévention, de précaution, de participation du public aux décisions environnementales, ainsi que le principe de non-régression ».

Dans le mémoire qui accompagne ce recours, ils reviennent, en 75 pages, sur la procédure parlementaire, mais aussi sur les articles qui, à leurs yeux, « violent » la Charte de l’environnement, la Constitution ou encore la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Un autre recours a été déposé par le groupe Socialistes et apparentés, le 15 juillet. Les élus signataires « estiment que cette loi est manifestement contraire à plusieurs principes de valeur constitutionnelle puisqu’elle a été adoptée au mépris du principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire et parce qu’elle porte atteinte au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Le groupe développe ensuite, sur douze pages, les différentes dispositions décriées.

Suite à ces recours, l’institution dispose d’un mois pour se prononcer et devrait donc rendre sa décision d’ici le 10 août. Laurent Duplomb estime auprès du Figaro que cette pétition est « instrumentalisée » et destinée à « mettre la pression sur le Conseil constitutionnel ». Même réaction pour le patron de la FNSEA Arnaud Rousseau, fervent défenseur du texte. Pour ce dernier, l’agriculture française « disparaîtra » si on lui impose « des normes supérieures » à celles de ses voisins européens.

Ne pas promulguer la loi ?

Le succès de la pétition ne devrait pas influencer la décision des membres du Conseil constitutionnel, mais la société civile espère qu’il poussera le président de la République à réclamer une deuxième délibération sur le texte. C’est ce que permet l’article 10 de la Constitution. Emmanuel Macron peut demander, avec l’accord du Premier ministre et dans un délai de quinze jours après adoption définitive d’une loi, ou après l’avis du Conseil constitutionnel s’il est saisi, qu’une partie ou la totalité du texte soit réexaminée.

« Notre association demande solennellement au président de la République de ne pas promulguer la loi Duplomb, qui va à l’encontre des principes de précaution et de promotion d’un modèle agricole durable », écrit ainsi Générations futures. Cette demande est également émise par le groupe Écologiste et social à l’Assemblée. « Ce serait un moyen d’entendre le million de contestataires, analyse le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier dans les colonnes du Monde. On reprendrait alors une procédure législative classique avec le travail de la navette parlementaire. »

Les organisations opposées à la loi Duplomb visent une prochaine étape : atteindre les 2,3 millions de signatures pour dépasser la pétition de « L’affaire du siècle », sur la lutte contre le réchauffement climatique. Une autre option serait d’obtenir un référendum d’initiative partagée sur le sujet. Celui-ci peut être organisé si une proposition de loi, présentée par au moins un cinquième des parlementaires, est soutenue par au moins un dixième des électrices et électeurs, soit 4,8 millions de personnes.