« En cinq ans, le marché locatif traditionnel parisien a perdu au moins 20 000 logements », a calculé la mairie de Paris. En cause : la multiplication des locations meublés touristiques illégales. « Ce phénomène provoque à la fois une diminution de l’offre locative privée traditionnelle et une hausse du coût des logements, tant à la location qu’à l’achat », ajoute la municipalité.
La touristification de Paris n’est pas nouvelle, l’explosion du prix des logements non plus. Mais l’arrivée d’Airbnb dans les grandes villes européennes a fait exploser la location d’appartements à visée touristique, au détriment des locations pérennes pour les personnes qui vivent et travaillent localement. Le phénomène est connu.
Les données Airbnb disponibles pour plusieurs villes
La publication des données des locations réservées sur Airbnb par la plateforme « Inside Airbnb » le donne maintenant à voir en images, ainsi qu’en chiffres. Le site, non commercial, se dit indépendant d’Airbnb et de ses concurrents. Il a récolté les données de locations pour 2016 d’une vingtaine de villes des États-Unis et de 25 grandes villes en Europe, en Australie et en Asie [1].
Les données sur Paris donnent à voir qu’en 2016, 55 720 logements et chambres ont été louées sur Airbnb. C’est plus qu’à Londres, où « seulement » 49 000 appartements et chambres ont été loués la même année. Parmi les locations parisiennes sur Airbnb, plus de 47 700 étaient des logements entiers, loués au prix moyen de 102 euros la nuit, soit plus de 3000 euros par mois. C’est environ trois fois plus que le prix moyen des locations à long terme, déjà très élevé dans la capitale où il faut compter en moyenne 1000 euros par mois pour louer un appartement de 30 m2... Les quartiers du Marais, de Bastille, le Quartier Latin et de Montmartre sont ceux qui concentrent le plus de locations. Mais de nombreux appartements sont également loués dans le 14e, le 15e, le 17e ou le 20e arrondissement.
53% des logements loués une grande partie de l’année
Qui sont les hôtes des dizaines de milliers d’appartements parisiens loués sur Airbnb ? S’agit-il en majorité de Parisiens qui louent leur appartement de temps en temps quand ils partent en vacances, ou quelques jours à l’occasion pour arrondir leur fin de mois ? Non, si on en croit les statistiques sur la disponibilité des logements mis en location sur Airbnb. Plus de 53 % de ces 47 700 logements entiers loués en 2016 étaient « hautement disponibles ». C’est à dire proposés à la location une très grande partie de l’année, et pas seulement quelques jours ou semaines par an.
20 % des hôtes parisiens d’Airbnb qui louent ces appartements, soit plus de 9300 personnes, ont même plusieurs logement mis en location sur la plateforme. Pour ces multi-loueurs, la part des logements qui sont disponibles à la location la plus grande partie de l’année monte à 72 %. Autant de signes qu’il s’agit de locations à visée commerciale et non d’une mise en location à l’occasion d’une absence temporaire.
Des profits potentiels en centaines de milliers d’euros
Le site Inside Airbnb liste aussi les plus gros loueurs parisiens. En tête de liste, on trouve Parisian Home, avec 145 logements à louer sur Airbnb ! Il s’agit là d’une véritable entreprise, spécialisée dans la location d’appartements meublés et inscrite au registre de l’Office de tourisme de Paris. Parmi les plus gros loueurs touristiques sur la plateforme, on trouve aussi un certain « Fabien » (141 logements), un « Olivier » (106 logements) une « Caroline » (64 logements), ou encore un « Pierre », qui loue à l’année 63 logements via Airbnb…
Le dénommé « Fabien », aux 141 appartements, loue ainsi une maison aux Buttes Chaumont. Sa disponibilité en 2016 ? 365 jours par an. Il loue aussi un loft sur le Canal Saint-Martin, disponible 349 jours, un deux-pièces à Voltaire, disponible 363 jours, un studio à Panthéon plus de 350 jours par an, un appartement à Passy 326 jours par an, ou encore un deux-pièces à Montparnasse, 330 jours par an...
Inside Airbnb a estimé le profit moyen lié à la location d’un logements entier à Paris à 722 euros par mois. Multiplié par 141 logements, cela donne 101 800 euros par mois pour le multi-propriétaire dénommé « Fabien », soit plus de 1,2 millions d’euros de profits potentiels chaque année ! Pour un « multi-hôte » plus « modeste » comme Mélissa, avec ses 40 logements, les locations sur Airbnb pourraient rapporter un profit moyen de plus de 345 000 euros par an...
Rien qu’autour de l’Hôtel de Ville, à quelques centaines de mètres à la ronde des bureaux d’Anne Hidalgo et de ses services, selon les données d’Inside Airbnb, on trouve 200 appartements entièrement loués à des touristes, disponibles en moyenne 257 jours par an, au coût moyen de 228 euros la nuit. Parmi les loueurs présents dans ce quartier, un certain « Guillaume » possède par ailleurs 19 appartements disponibles sur Airbnb, « Ludovic » en propose 11, « Jérôme », « Stanley » ou « Sébastien » cinq chacun... Chaque appartement loué dans ce secteur rapporterait à son propriétaire plus de 30 000 euros par an, en moyenne. Vous avez dit crise du logement ?
Toit cela est-il bien légal ? Depuis le 1er décembre 2017, toute personne qui souhaite louer même occasionnellement et pour une courte durée son logement pour des touristes visitant Paris doit le faire enregistrer auprès de la mairie [2]. S’il s’agit de sa résidence principale, la durée maximum légale pendant laquelle le logement peut être loué à des touristes est de 120 jours par an. Si le logement meublé ne constitue pas la résidence principale, et est loué à des touristes pour des courtes durées – des durées inférieures à la durée minimale du bail de location en meublé non touristique, soit un an ou neuf mois pour un étudiant –, une autorisation de changement d’usage du logement – d’habitation à un usage commercial – doit être obtenu [3].
La ville de Paris a mis en place une équipe de 30 à contrôleurs à ce jour pour vérifier si les propriétaires respectent bien ces conditions. Si ce n’est pas le cas, « nous transmettons les cas au parquet, prévient Ian Brossat, adjoint au Logement de la maire de Paris. Et les condamnations se sont multipliées depuis 2016. Pour un montant total d’amende de 1,3 million d’euros en 2017, 500 000 euros pour le seul premier trimestre 2018. » Car les propriétaires qui contreviennent aux règles encourent une amende de 50 000 euros par logement et une astreinte d’un montant maximal de 1000 euros par jour et par m2 jusqu’à régularisation. « Moi, je serais pour que le plafond de l’amende maximale passe à 100 000 euros, dit l’adjoint. Ce sont les loueurs professionnels qui sont condamnés, ceux qui louent de nombreux appartements. Ce sont eux notre cible. »
Encaisser son loyer à Gibraltar et ne pas s’acquitter de l’impôt ?
Aucune sanction ni pénalité ne sont en revanche prévues à l’encontre des propriétaires qui omettent d’enregistrer la location de leur logement auprès de la mairie de Paris, comme c’est devenu pourtant obligatoire depuis décembre. « Nous avons reçu des déclarations de 15 000 personnes. Ce qui est en dessous de ce que l’on aurait voulu, précise Ian Brossat. Mais tant que les plateformes, en particulier Airbnb, refusent de retirer les annonces des loueurs qui n’ont pas de numéro d’enregistrement, nous aurons toujours des gens qui ne s’enregistrent pas… ». La ville de Paris prépare donc une plainte contre Airbnb, auprès du tribunal de grande instance de Paris, pour obliger la plateforme à ne pas publier les annonces qui n’ont pas de numéro de déclaration. « Booking le fait bien », souligne l’élu.
Le problème, c’est que Airbnb, a parfois plutôt tendance à aider les utilisateurs à contourner les règles plutôt qu’à la respecter, en matière de fiscalité par exemple. Ainsi, les hôtes Airbnb à Paris doivent normalement s’assurer du paiement de la taxe de séjour, et évidemment déclarer ces revenus sur leur déclaration d’impôt. Mais Airbnb proposait jusqu’à il y a peu à ses hôtes français de recevoir leurs revenus de location touristique par le biais d’une carte prépayée qui émettait la transaction depuis… Gibraltar, assez loin des agents de contrôle de l’administration fiscale française pour espérer passer inaperçu.
Rachel Knaebel
Photo : Quartier Latin, Paris / CC Luc Mercelis
Cet article a été complété suite à un entretien obtenu le 3 avril avec Ian Brossat, adjoint au Logement de la maire de Paris.
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