On en Agro !

Collusion entre ministère de l’Agriculture et lobby agroalimentaire

On en Agro !

par Sophie Chapelle

La directrice communication du principal lobby de défense des intérêts de l’industrie agroalimentaire est devenue... la nouvelle conseillère communication du ministre de l’Agriculture. Un mauvais signal pour le contenu de nos assiettes.

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Une énième collusion illustre la pénétration croissante des intérêts privés au sein même de l’État. Le 2 mai, la directrice de la communication de l’Ania, principal lobby de défense des intérêts de l’industrie agroalimentaire (Ania), est devenue la nouvelle conseillère communication du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. Un an plus tôt, la cheffe de cabinet du même Marc Fesneau [1] avait été recruté par le lobby de l’agrochimie, Phyteis. Le ministre, lui, ne voit vraiment pas où est le problème. Interrogé à ce sujet sur France Info le 9 mai, il ironise : « Est-ce qu’on prend des gens compétents ? Je peux aussi prendre des gens qui n’y connaissent rien ! Un chanteur d’opérette, comme ça y aura pas de risque de conflit d’intérêt. »

Cette nomination n’est pas un bon signal pour le contenu de nos assiettes. Il suffit de jeter un œil à la récente contribution du Conseil national de l’alimentation, une instance consultative qui formule des propositions liées à la politique de l’alimentation. En creux de ce document jaillissent les tentatives des lobbies agricoles et agroalimentaires d’empêcher toute réglementation pour une alimentation plus saine et durable. L’opposition de l’ANIA à un grand nombre de recommandations est retranscrite noir sur blanc.

Ainsi son opposition à « réglementer la publicité pour les boissons et les produits alimentaires ayant un mauvais profil nutritionnel », préférant « des engagements volontaires » se retrouve dans la recommandation n°60. Elle écarte l’idée d’ « augmenter progressivement le nombre de menus végétariens par semaine proposés en restauration collective », et se joint à la levée de bouclier contre la mise en place d’un affichage environnemental. Au total, 19 recommandations prioritaires sur 39 ont été contestées. Près de la moitié.

« En pleine élaboration de la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat, la directrice de communication de l’ANIA (le lobby de l’agroalimentaire), qui tente de torpiller cette même Stratégie, rejoint le cabinet du ministère de l’Agriculture. On est bien », a réagi le responsable alimentation du Réseau action climat.

Difficile dans ces conditions de se dire que le gouvernement ne cédera pas aux pression des lobbies d’ici le 1er juillet, date prévue de la publication de la « stratégie nationale pour l’alimentation » [2]. Les refus récents d’interdire les nitrites dans la charcuterie, de proposer une option végétarienne dans les cantines scolaires, ou d’interdire la publicité pour les produits trop riches en gras, sel et sucre ne sont pas de bon augure.

Officiellement, Sophie Ionascu, la nouvelle conseillère communication de Marc Fesneau ne devrait pas avoir son mot à dire sur cette stratégie. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a bien rendu le 2 mai « un avis de compatibilité » concernant cette nomination, mais elle l’a assorti de réserves. « L’intéressée devra se déporter de toute discussion ou décision concernant l’ANIA » et « s’abstenir d’intervenir de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, dans toute décision relative à une opération intéressant cette association ». Et ce, « afin de prévenir tout risque d’ordre déontologique ou pénal ».

Elle pourra toujours échanger avec le nouveau conseiller alimentation de Marc Fesneau, nommé le 12 mai, qui était responsable des études économiques au sein de la Coopération agricole. Avec ma collègue Nolwenn Weiler, on vous a déjà parlé de cette fédération dans une enquête sur les coopératives agricoles qui reproduisent la loi de la jungle néolibérale. La Coopération agricole s’est récemment opposée à toute accélération de la transition vers des modes de productions agroécologiques. Bon appétit !

Sophie Chapelle

Notes

[1Alors ministre délégué aux relations avec le Parlement

[2Cette stratégie vise à intégrer les objectifs climatiques dans la politique de l’alimentation