La France est sur le point de débloquer des milliards d’euros pour sauver Air France-KLM, en lien avec l’État néerlandais. Avec seulement 5 % de ses vols encore assurés, la compagnie aérienne perdrait environ un milliard d’euros par mois. Cette dernière se préparerait ainsi à demander un prêt garanti par les États français et néerlandais pour un montant de 6 milliards d’euros, dont 4 milliards pour la France, selon Reuters. Les deux gouvernements auraient promis d’apporter leur aide au groupe, rapporte la directrice générale d’Air France dans une interview publiée le 6 avril. Le gouvernement français n’a pas non plus exclu une nationalisation temporaire de « grandes entreprises françaises » comme Air France mais a assuré qu’il ne prendrait pas de décision sans concertation étroite avec les Pays-Bas.
A l’aune de ce sauvetage massif, plus de 250 syndicats et ONG du monde entier, viennent de publier une lettre ouverte adressée aux gouvernements, intitulée « Non au sauvetage inconditionnel du secteur aérien ! ». Pour elles, tout renflouement des entreprises du secteur aérien doit être conditionné à la reconversion du secteur, avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
« Il n’est pas juste de sauver le secteur aérien avec l’argent des contribuables alors que celui-ci ne paie presque pas de taxes »
« Ces dernières années, les compagnies aériennes se sont fermement opposées à toute tentative de mettre fin à leurs exonérations fiscales inéquitables » rappellent les organisations. Comme nous l’expliquions dans cet article, il n’existe pas de taxe sur le kérosène en France ni de TVA sur les billets internationaux (taux réduit à 10 % pour les vols intérieurs). D’après le Réseau action climat (RAC), les exonérations de TVA et de taxe sur le kérosène représentent pour l’État français un manque à gagner d’environ 7,2 milliard d’euros par an [1].
« Il n’est pas juste de sauver le secteur aérien avec l’argent des contribuables alors que celui-ci ne paie presque pas de taxes, lui donnant ainsi un avantage injustifié sur les modes de transport à faibles émissions » estiment les organisations signataires. « Il faut donc mettre un terme aux exonérations fiscales : obliger les compagnies aériennes à payer une taxe sur le kérosène et remplacer les programmes de fidélité qui incitent à prendre davantage l’avion, par des taxes équitables et progressives qui pénalisent ceux qui le prennent souvent. »
Conscientes que cette crise touche durement des salariés de l’industrie aéronautique, les organisations signataires précisent : « Au lieu de voler au secours des cadres dirigeants et des actionnaires, toute aide financière devrait faire bénéficier les travailleur.euse.s de solides protections en matière de travail et de santé et assurer un revenu de base suffisant au personnel de bord, au sol, dans les services de restauration ainsi qu’aux pilotes et à tou.te.s les autres travailleur.euse.s touché.e.s ».
Modifier les réseaux de transport de façon systémique
L’aviation civile est également le seul secteur avec le transport maritime, qui ne soit pas soumis à un objectif de réduction des émissions (explications ici). Or, selon l’Ademe, l’aviation est le mode de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre : 14 à 40 fois plus de CO2 que le train par kilomètre et personne transportée [2]. Tout soutien public doit s’assurer que l’industrie aéronautique respecte les objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique, qui passe par une réduction des voyages en avion.
Elles en appellent plus globalement à un soutien des gouvernements à une « transition juste ». Cela implique de modifier les réseaux de transport de façon systémique, de garantir l’accès à des alternatives abordables telles que le transport ferroviaire, mais aussi de permettre à celles et ceux travaillant dans ce secteur « de quitter les emplois dépendant des combustibles fossiles pour des emplois décents et compatibles avec le climat » (lire à ce sujet : Ces centaines de milliers d’emplois qui n’attendent qu’une véritable volonté politique pour être créés). Tout l’enjeu est de saisir cette pause involontaire du trafic aérien pour construire un secteur des transports respectueux du climat et résilient face aux crises futures.
Photo de une : CC FlickR