Transports

Faut-il vraiment construire des autoroutes pour dynamiser les campagnes ?

Transports

par Rédaction

« Un mouvement de collectivités osent penser les mobilités autrement que par le ’’tout-voiture’’ », explique Marie Huyghe, consultante en mobilités, alors que le gouvernement vient de réitérer son plein soutien à la construction de l’A69.

La question de développer de nouvelles infrastructures routières, où la vitesse prédomine, ne devrait plus du tout se poser. Plus aucun mètre carré ne devrait être artificialisé pour des infrastructures routières. Tout nouveau projet autoroutier est complètement incompatible avec le double impératif de lutte contre le changement climatique et du zéro artificialisation nette.

Portrait stylisé de Maire Huyghe un micro à la main
Marie Huyghe
est consultante en mobilités et docteure en urbanisme. On peut lire sur le site Forum vies mobiles, l’étude « Sortir de la dépendance à la voiture dans le périurbain et le rural », dont elle est coautrice.

L’autoroute est l’infrastructure routière « tout-voiture » par excellence qui va de pair avec la notion de vitesse. L’argument des promoteurs de ces projets, selon lequel il faut absolument desservir les territoires avec les autoroutes pour assurer leur développement, est une manière de penser inconciliable avec la nécessité de décarboner nos mobilités.

Où est la cohérence aujourd’hui à promouvoir d’une part le covoiturage, le vélo ou la marche, avec des plans et des financements nationaux de plus en plus conséquents, et d’autre part soutenir de manière totale la mobilité en voiture ? Entre le soutien aux projets autoroutiers et les récentes ristournes sur les carburants, le message envoyé par les pouvoirs publics est un soutien à la voiture sur le long terme.

Le gouvernement assure qu’il aide les gens en leur permettant de se déplacer plus vite, ou de continuer à se déplacer. En pratique, il place surtout les citoyennes dans des situations intenables économiquement. Sur le court et le long terme, c’est ne rendre service à personne.

Proposer des alternatives à la voiture individuelle

Pour les collectivités rurales et périurbaines qui s’engagent, proposer des alternatives à la voiture individuelle est une réponse aux objectifs environnementaux et à des enjeux sociaux. Mais c’est aussi une manière de rester attractifs en répondant aux aspirations de leurs habitantes et des nouveaux arrivants (en particulier des ex-urbains), qui refusent de subir une dépendance à la voiture.

Considérer l’impératif écologique implique de décarboner les mobilités et de lutter contre l’artificialisation des sols. Cela suppose de limiter le nombre de kilomètres parcourus en mode carboné (voiture et avion). L’enjeu est de travailler à la fois sur les leviers de report modal – proposer des offres alternatives pour permettre de se déplacer à vélo, à pied, en transport en commun, en covoiturage, en autopartage, etc. – mais aussi sur la réduction de la demande.

Pour y parvenir, il faut renforcer l’offre proposée en proximité, et donc aménager différemment nos territoires de manière à limiter nos besoins de déplacements – quotidiens, mais également touristiques. Concrètement, il s’agit notamment de renforcer la présence des commerces et des services, qui sont par ailleurs vecteurs d’emplois.

La philosophie guidant l’action publique ne doit pas (ou plus) être de permettre aux gens de sortir et de revenir très vite dans les territoires : c’est au contraire de faire que leurs lieux de vie soient plus habitables et répondent à plus de besoins qu’ils ne le font aujourd’hui, dans le cas notamment des villes moyennes et des territoires périurbains ruraux.

Une dynamique locale

De plus en plus de collectivités entament aujourd’hui un travail de planification des mobilités : elles réfléchissent à ce qu’elles vont proposer pour éviter que les gens aient à se déplacer et leur permettre de se déplacer autrement que « seuls dans leur voiture ».

S’il est obligatoire pour les collectivités de plus de 100 000 habitantes de se doter de plans de mobilité, de plus en plus de communautés de communes s’attellent de manière volontaire à des plans de mobilité simplifiés. Ces documents stratégiques fixent des objectifs de réduction de la part modale de la voiture et sont l’occasion de structurer un plan d’action permettant de travailler sur les enjeux de report modal et d’aménagement du territoire.

Cette dynamique locale est révélatrice d’un mouvement de collectivités qui osent penser les mobilités autrement que par le « tout-voiture ».

Travailler sur les déplacements courts

Remettre en question la dépendance à la voiture peut se faire partout. Si la voiture individuelle garde un domaine de pertinence (pour certaines distances, certains motifs, certains individus), il existe tout un tas de déplacements sur lesquels on peut agir. Dans les territoires ruraux, qui avaient jusqu’à récemment tendance à être exclus des réflexions sur la mobilité, 40 % des déplacements font moins de cinq kilomètres [1], et pourraient donc être réalisés autrement qu’en voiture. Des marges de manœuvre existent.

Travailler uniquement sur les déplacements courts aura un impact environnemental limité – ce ne sont pas ces déplacements courts qui sont les plus polluants – mais cela permet de lancer une dynamique. Beaucoup de collectivités commencent par travailler sur les déplacements courts, avant de s’attacher à des déplacements un peu plus longs, pour progressivement faire bouger les choses. Initier un travail sur les courtes distances permet aussi de former les habitantes petit à petit à se déplacer autrement qu’en voiture.

Diverses communautés de communes deviennent des territoires « exemplaires ». Outre la politique vélo emblématique mise en œuvre par la communauté de communes d’Erdre et Gesvres (près de Nantes) [2] , on peut citer la communauté de communes du Clunisois (Saône-et-Loire), qui s’est fixé un objectif de neutralité carbone pour 2040.

La mobilité représentant le poste le plus important de ses émissions, elle s’est dotée d’un plan de mobilités ambitieux reposant notamment sur le vélo et le covoiturage. La communauté de communes a travaillé avec les habitantes pour élaborer sa politique vélo : elle s’est appuyée sur l’expertise d’usage des cyclistes afin de connaître leurs trajets au quotidien et déterminer les axes à aménager .

Mêler offre de transport et aménagement

L’une des difficultés pour les territoires est de travailler sur la mobilité de manière suffisamment longue pour percevoir de véritables changements dans les pratiques. Demander aux habitantes de moins utiliser leur voiture, de se déplacer moins ou de faire évoluer les lieux qu’ils fréquentent, prend du temps. Un projet de deux ou trois ans ne suffit absolument pas. Il s’agit de donner envie aux élues d’agir sur le temps long. À cet égard, inscrire ses actions dans un projet de territoire est un bon levier pour pérenniser le portage des projets.

Aujourd’hui, travailler sur les mobilités pour un territoire est une façon de se rendre plus attractif auprès des habitantes. Ce n’est plus le développement d’infrastructure routière rapide qui attire les populations, mais bien l’assurance de profiter d’une vraie qualité de vie.

À l’heure où les parts modales de la voiture dépassent souvent les 80 % en milieu rural, décarboner totalement nos mobilités suppose d’opérer une véritable révolution des transports.

Marie Huyghe, consultante en mobilités et docteure en urbanisme

Propos recueillis par Sophie Chapelle

Photo de une : Course de bolides lors du rassemblement contre l’A69 les 22 et 23 avril 2023/©Extinction Rébellion