Planter des arbres est un argument assez classique qui monte en résonance depuis plusieurs années. Emmanuel Macron a ainsi réduit la politique forestière au fait de planter un milliard d’arbres d’ici 2030 [1]. Où ces arbres seront-ils plantés et à la place de quoi ? Quand on regarde dans le détail, on constate que pour planter des arbres, des forêts bien portantes sont rasées. En quoi ces jeunes arbres sont-ils vraiment intéressants par rapport au fait de raser des forêts quasiment entières ? C’est un vrai problème.
Ces annonces masquent également les projets qui, dans un certain nombre de villes, se traduisent par la coupe d’arbres parfois assez âgés, pour en planter des nouveaux. L’un des aspects essentiels de l’arbre en ville est sa surface de feuillage. Celle-ci joue directement sur sa capacité d’évapotranspiration. Plus la surface de feuillage est grande, plus l’arbre va vraiment jouer un rôle de régulateur thermique. Dès lors, si l’on remplace un grand arbre qui a une immense surface, par un, cinq, dix arbres ou plus, on ne va pas retrouver le même rôle de régulateur thermique.
Je fais volontairement le lien avec la ville, car c’est au sein des élites urbaines que se pensent, malheureusement, les politiques.
Le mirage de la forêt primaire en ville
Ce type d’annonce agit avant tout sur des ressorts psychologiques. L’image consistant à planter des arbres joue sur la capacité de chacun
e à avoir la main sur quelque chose qu’il ne maîtrise pas. Après des incendies en Amazonie ou dans les Landes, les politiques se précipitent en général pour annoncer des plantations d’arbres. Peu importe que ça n’ait aucun sens. Quand une forêt primaire brûle, comment imaginer que c’est en plantant des arbres que l’on va faire revenir de la forêt primaire ? On s’enferre pourtant dans ce fantasme collectif.Ce mirage est très présent dans les villes avec les plantations inspirées de la méthode Miyawaki qui pullulent partout en France. La promesse : restaurer en un temps record des écosystèmes forestiers en milieu urbain. « Une forêt centenaire créée… en une matinée » par des enfants sur des places de parking dans le bois de Vincennes, affirme ainsi le journal Le Parisien. Ce n’est pas du tout rationnel et pourtant, cela se répand partout. La déclaration de Clément Beaune sur le projet de l’A69 consistant à dire que pour un arbre coupé, cinq arbres seront replantés, s’inscrit dans la même logique.
« 40 % des plantations sont en échec »
L’année 2022 se révèle la plus mauvaise année en termes de réussite des plantations selon les données du Département de la santé des forêts. Près de 40 % des plantations sont en échec. On comptabilise au moins 20 % d’arbres morts ! La cause principale est le stress hydrique, c’est-à-dire le manque d’eau combiné à l’excès de chaleur. De nombreux travaux ont d’ailleurs montré que quand on fait une coupe rase de forêt et qu’on replante derrière, on met les jeunes arbres en situation de stress. En effet, entre un sous-bois forestier et une coupe rase, les écarts de température peuvent aller jusqu’à 15°C au moment des pics de chaleur [2].
La forêt joue un rôle tampon. Si on plante, il est plus intéressant de le faire dans des petites trouées dans lesquelles on garde une ambiance forestière pour conserver au maximum cet effet tampon, plutôt que de planter au sein de grandes coupes rases.
Or, la politique forestière ne prend pas du tout ce virage. Elle encourage au contraire des coupes rases dans des peuplements qui ne sont absolument pas en dépérissement. Adapter la forêt au changement climatique est l’alibi utilisé. En réalité, il y a une volonté d’adapter la forêt aux besoins de l’industrie qui réclame des résineux. L’essentiel des arbres actuellement plantés sont des résineux.
« La première urgence est de faire avec les arbres existants »
De manière générale, il faut arrêter de parler de « plantations ». La première urgence est de faire avec l’existant, de préserver ces arbres. Il est possible dans une forêt constituée de différentes espèces et variétés de faire évoluer la composition d’un peuplement vers plus de diversité et d’adaptation, en intervenant à la marge.
Dans une forêt peu diverse, composée par exemple de plantations d’épicéas, on peut essayer d’ouvrir et de laisser la régénération naturelle revenir. Si cela ne fonctionne pas, il est possible de venir faire des petites plantations sous couvert, d’amener un peu de diversité en évitant les espèces exotiques et en choisissant des essences, locales notamment, qui vont se fondre dans la matrice de l’écosystème et mieux résister à la sécheresse.
Il s’agit de comprendre, de repartir de l’écosystème, de se redonner du temps d’observation, de revenir plus régulièrement. La plantation est l’illusion d’une maîtrise de la nature : je vais passer, je vais raser, je vais replanter, et ça va marcher. Ce n’est pas le cas. On a besoin de beaucoup plus de petites actions plus douces, plus fréquentes, où l’on passe plus régulièrement pour voir comment la forêt évolue.
Nos modes de transports fragilisent les forêts
Les projets d’ouvrages et d’infrastructures de transport, comme dans le cas de l’A69, ont des effets directs sur les forêts à travers les coupes d’arbres qu’ils entraînent [3]. Plutôt que d’être dans une logique de réduire encore plus la place du vivant, le gouvernement devrait être dans une logique de la restaurer.
Mais les effets de ces projets sur les forêts sont aussi et surtout indirects. Leur multiplication participe à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre qui fragilisent les forêts. Les essences d’arbres les plus sensibles à la hausse des températures et au manque d’eau finissent par dépérir.
Alors même que l’on connaît la responsabilité de l’aviation dans le changement climatique, le gouvernement encourage ces mêmes avions à voler avec du biocarburant à base de bois. Une usine de biocarburant de ce type est en ce moment même en construction dans le Sud-Ouest de la France, près de Lacq, et va mobiliser environ 500 000 m3 de bois. Si l’on veut vraiment être rationnel, il s’agit de remettre en cause nos modes de transport et les usages énergétiques sur lesquels ils reposent.
Sylvain Angerand, ingénieur forestier de formation et coordinateur de l’association Canopée.
Recueillis par Sophie Chapelle