Cop30 : les femmes d’Amazonie veulent une place dans les négociations

ÉcologieClimat

La trentième conférence internationale sur le climat, la Cop30, démarre le 10 novembre à Belém, en Amazonie brésilienne. Mais les populations amazoniennes n’ont pas été invitées à la table des négociations, dénoncent les femmes de la région.

par Cecilia Amorim (Agência Pública)

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La trentième conférence internationale sur le climat, la Cop30, approche à grands pas. La ville brésilienne de Belém, en Amazonie, s’est préparée avec des grands travaux et avec des discours contre la crise climatique. La ville va être le théâtre de négociations diplomatiques visant à établir des objectifs de réduction des émissions de carbone et des plans pour freiner le réchauffement de la planète.

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Cet article a été publié par le média indépendant brésilien Agência Pública le 26 septembre 2025. Nous en publions la traduction avec l’autorisation d’Agência Pública, apublica.org.

Pendant ce temps, les femmes autochtones du Brésil mènent une double bataille : contre la crise climatique, qui affecte leur quotidien, et pour une inclusion véritable dans les sphères du pouvoir, qui les ont historiquement réduites au silence.

Elles sont les plus touchées par la crise climatique et en première ligne des actions de protection du territoire, mais les femmes restent minoritaires dans les instances décisionnelles mondiales. Les données du Panel sur le genre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) montrent que la présence des femmes dans les délégations nationales aux conférences sur le climat reste inégale : en moyenne, seuls 30 à 35 % des représentants sont des femmes.

Seulement un tiers de femmes dans les négociations

Les progrès sont lents, ici comme ailleurs. Entre 2008 et 2019, le nombre de femmes chefs de délégation des conférences pour le climat est passé de 12 % à 27 %. En 2022, lors de la Cop27, ce pourcentage a atteint 34 %, ce qui représente certes une augmentation, mais reste encore loin de la parité. Cette inégalité se reflète également dans les postes de direction. Sur 28 éditions des Cop, seules cinq femmes ont présidé l’événement.

Alors que les pays du Nord et ceux de l’Union européenne présentent des délégations plus proches de la parité, d’autres nations continuent d’avoir une participation majoritairement masculine. Ce contraste montre à quel point la représentation des femmes dans les processus décisionnels liés au climat reste un défi, alors même qu’elles sont celles qui supportent de manière disproportionnée les impacts de la crise environnementale dans leurs communautés.

« Pour la vie, pour la forêt, pour notre existence en tant que peuples »

Ce sont elles qui, dans les villages, les quilombos (communautés d’anciens esclaves auto-affranchis au Brésil), au bord des rivières et dans les banlieues des grandes villes, ressentent en premier – et le plus durement – les impacts de la crise climatique : chaleur extrême, pluies destructrices, menaces pour la sécurité alimentaire. Les femmes ne viennent pas à la conférence en simples spectatrices, mais en tant que détentrices de savoirs et de solutions pratiques, défiant un système machiste. Leur lutte révèle le paradoxe central de cette rencontre mondiale : comment discuter de l’avenir de l’Amazonie sans écouter celles qui l’ont toujours maintenue debout ?

Des maisons de bois sur l'eau, en bordure de la forêt.
Une halte sur un sentier, dans une réserve écologique dans l’État d’Acre, en Amazonie brésilienne.
©Anne Paq

À Belém, les voix des femmes d’Amazonie doivent être entendues. Parmi elles, Marinete Tukano, leader autochtone, coordinatrice de l’Union des femmes autochtones de l’Amazonie brésilienne (UMIAB), exprime ce que signifie être une femme en Amazonie à l’heure du changement climatique. « Nous, les femmes, portons le territoire dans notre corps. Notre combat est pour la vie, pour la forêt et pour notre existence en tant que peuples », résume Marinete Tukano. Pour elle, l’idée qui relie la nature à la figure féminine va au-delà de la métaphore : elle se trouve dans la pratique de cultiver la terre, de pêcher, de protéger la rivière, de donner la vie et de prendre soin de la vie.

Pour la dirigeante autochtone, la Cop est à la fois un espace de visibilité et d’exclusion. Elle rappelle les obstacles auxquels les femmes autochtones sont confrontées pour y participer : bureaucratie, difficultés d’accréditation, coût des longs voyages et manque de structures de prises en charge des enfants pour les mères. « Quand on arrive à se rendre dans ces lieux, c’est déjà une bataille immense. Beaucoup abandonnent parce qu’elles n’ont pas les moyens de financer la logistique. Cela limite le nombre de personnes qui peuvent parler au nom de l’Amazonie », explique-t-elle. Aujourd’hui, son organisation se prépare à envoyer neuf femmes à la Cop de Belém.

« La sécurité alimentaire des communautés est menacée »

La leader autochtone rappelle que le changement climatique se vit pour sa communauté au quotidien, avec les rivières qui s’assèchent, les poissons qui disparaissent, l’agriculture qui pâtit des sécheresses ou d’inondations extrêmes. « La sécurité alimentaire des communautés est menacée. Cela provoque des maladies physiques et mentales », rapporte-t-elle.

Les femmes sont traditionnellement responsables de l’alimentation et de la santé des familles dans les communautés d’Amazonie. Aujourd’hui, beaucoup se tournent vers la vente d’artisanat dans les villes comme stratégie de survie, mais elles y sont confrontées au racisme, à l’absence de politiques publiques et à l’invisibilité. « Il y a des femmes autochtones qui vivent dans les banlieues de Belém dans l’oubli. Mais elles existent, elles résistent, et elles aussi font partie de l’Amazonie », souligne Marinete Tukano.

Forêt, fleuve, mer, ville, quilombos, villages

La coordinatrice souligne la pluralité qui caractérise l’Amazonie. « L’Amazonie n’est pas seulement une forêt. C’est un fleuve, une mer, la ville, des banlieues, des quilombos, des villages. Elle est afro-descendante et aussi indigène », énumère-t-elle. Cette vision élargit le débat sur le climat, en montrant que le territoire amazonien est constitué d’une diversité de modes de vie, tous menacés par la crise environnementale et l’avancée des projets extractivistes. Pour Marinete Tukano, la conférence sur le climat n’aura de sens que si elle donne réellement la parole aux communautés autochtones : « Ça ne suffit pas d’utiliser l’Amazonie comme vitrine. Il faut écouter ceux qui vivent ici, en particulier les femmes. »

Alors que le monde discute d’accords visant à freiner l’urgence climatique, un groupe de femmes quilombolas de différentes régions du Pará, un État du Brésil, s’organise aussi pour que leurs voix, leurs corps et leurs expériences soient pris en compte à la conférence. La stratégie consiste à créer un stand collectif, qui servira de point de convergence et de dialogue. Dans cet espace, elles tiendront des sessions collaboratives sur le genre, les droits des femmes, la participation politique, sociale et économique, en associant toujours ces thèmes aux questions spécifiques des populations quilombolas.

« L’objectif est d’assurer la visibilité et de renforcer la voix des femmes quilombolas, en plaçant nos expériences et nos luttes au centre des discussions sur la justice climatique et les droits humains », explique Carlene Pristes, coordinatrice à l’organisation Malungo, la coordination des associations Quilombolas du Pará, qui représente et défend les droits de plus de 600 communautés.

Pour Carlene Pristes, la présence de ces femmes dans les espaces de décision sur le climat est fondamentale. « Nous sommes directement touchées par la crise climatique, et en même temps, nous sommes les gardiennes de pratiques ancestrales de préservation du territoire et de la vie de notre peuple. Nos quilombos prennent soin de la forêt, des rivières et de la terre, et les femmes jouent un rôle central dans ce processus, tant dans le travail collectif que dans la préservation des savoirs. »

Les villes d’Amazonie étouffent

L’organisation prévoit d’emmener une délégation de cent femmes quilombolas à la Cop30. « Être à la Cop signifie que la lutte contre le changement climatique doit tenir compte des voix de celles et ceux qui ressentent au quotidien les effets du changement climatique et qui ont des propositions concrètes pour prendre soin de la terre de manière durable et équitable », insiste Carlene Pristes.

Alors que la chaleur s’intensifie et que les pluies s’abattent avec toujours plus de force sur le Brésil, dans les zones urbaines, ce sont les femmes des banlieues qui subissent les premières les effets de la crise climatique. « Nous avons l’impression que notre hiver a été plus court cette année. Nous ressentons la chaleur tout le temps », rapporte Flávia Ribeiro, journaliste, chercheuse, militante féministe noire et l’une des voix qui émergent des bidonvilles amazoniens.

Dans ces quartiers, quand la pluie arrive, elle ne soulage pas de la chaleur, mais endommage les toitures et provoque des inondations. Ce sont ces communautés qui ont moins accès aux services publics et aux ressources financières qui sont les plus touchées par l’urgence climatique. Elle ont également moins de capacités à se relever et bénéficient moins des politiques publiques – tout cela est le reflet du racisme environnemental.

Les voix des banlieues effacées

Ces voix se heurtent à des obstacles historiques pour occuper des postes de décision. Les obstacles sont les mêmes que dans d’autres sphères : le croisement du racisme, du machisme et de la LGBTphobie. Les femmes des périphéries urbaines des villes d’Amazonie « sont représentées en moins grand nombre dans les instances de décision, et celles qui parviennent à occuper ces espaces subissent des violences quotidiennes, dénonce la journaliste. On leur rappelle constamment que ces espaces ne sont pas pour elles. Elles font face à une structure raciste et machiste qui n’est pas pensée pour elles. »

L’effacement est si profond que même dans les documents officiels élaborés dans la région, le groupe démographique le plus important d’Amazonie, les personnes qui se déclarent noires, est invisible. « Dans la Déclaration de Belém, il n’y a aucune mention aux noirs et aux noires, illustre la chercheuse. Le groupe démographique le plus important de la région n’a tout simplement pas été nommé. Or si nous ne nommons pas, nous ne pouvons élaborer de politiques publiques. »

« Un colonialisme interne au Brésil »

La Déclaration de Belém est un document rédigé lors du Sommet de l’Amazonie qui s’est tenu en 2023. Dans ses plus de cent paragraphes, elle détaille les défis liés à la protection du territoire de l’Amazonie : développement durable, santé, exploitation illégale du bois et des ressources minérales, science et technologie, situation sociale des familles vivant dans la forêt, protection des populations autochtones et protection du biome, dans l’optique de réduire les inégalités et de lutter contre la faim. « Les populations autochtones sont citées près de 200 fois dans cette déclaration. Ce n’est pas une critique à l’égard des peuples autochtones, ils doivent être présents. Mais les noirs et les noires qui vivent dans les banlieues des villes d’Amazonie ne sont pas mentionnés dans ce document », souligne la chercheuse.

La critique principale adressée ici à la Cop30 est qu’elle est organisée par des personnes qui ne connaissent pas la réalité amazonienne. « Qui planifie cet événement ? Ce sont des personnes du sud-est du Brésil, qui nous disent, à nous et au monde entier, ce qu’est l’Amazonie », affirme la journaliste, qui dénonce « un colonialisme interne au Brésil qui traite les voix amazoniennes comme inférieures et réduit au silence leurs connaissances. Mais nous connaissons mieux les problèmes qui se posent ici et nous avons la solution, affirme Flávia Ribeiro. Nous devons être entendus dès la phase de planification, et non pas être invités uniquement pour poser sur une photo. Le Brésil et le monde ont l’Amazonie, parce que nous, les Amazoniens, sommes ici. »