Pour la première fois depuis vingt ans, la culture de plantes transgéniques diminue légèrement dans le monde [1]. Pas de quoi inquiéter pour autant les pro-OGM. L’Isaaa, organisation qui compte parmi ses contributeurs les grandes firmes agrochimiques mondiales (Monsanto, Syngenta, DuPont, Novartis,...), se réjouit de l’arrivée sur le marché de nouvelles biotechnologies végétales, regroupées sous le terme d’« édition du génome » [2]. Sept de ces techniques de modifications génétiques sont actuellement à l’étude par la Commission européenne, qui doit déterminer si les produits qui en sont issus sont ou non des OGM. Et donc s’ils doivent être couverts par la réglementation OGM. Si ce n’est pas le cas, ils échapperont aux procédures d’évaluation des risques, d’autorisation, d’étiquetage ou de suivi [3].
Pas simple pour le grand public de s’emparer de ce débat. Même les acronymes choisis pour qualifier ces techniques sont complexes et opaques : « NPBT » ou « NBT », pour New Plant Breeding Techniques, « Nouvelles techniques de sélection des plantes ». « C’est l’appellation des industriels, relève Daniel Evain de la Fédération nationale de l’agriculture biologique. Mais il ne s’agit en aucun cas de sélection ». Car ces nouvelles techniques vont bien au-delà : elles modifient le génome de la plante.
Les techniques utilisées jusqu’à présent pour fabriquer des OGM consistent généralement à prendre le gène d’une plante pour le mettre dans une autre – c’est la transgénèse [4]. Mais ces nouvelles techniques à l’étude ne font pas intervenir un gène extérieur : il est désormais possible de modifier les gènes à l’intérieur même des cellules des embryons de plantes. Ces techniques peuvent permettre d’éteindre des gènes, de les activer, de les muter ou de les répliquer.
Des enjeux économiques défendus par la FNSEA
Ces nouvelles techniques génèrent-elles ou non des OGM ? Selon la réglementation européenne, qui date de 2001, les OGM sont les organismes « dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » [5]. « Nous avons avec ces nouvelles techniques, des procédés non naturels, ce sont donc des OGM », plaide Guy Kastler de la Confédération paysanne. Une analyse qui est loin d’être partagée par les défenseurs de ces techniques, qui mettent en avant l’absence de traces de manipulations dans le produit final issu des NPBT – ce qui n’est pas scientifiquement prouvé. Mais aussi le fait que ces produits sont obtenus par des techniques, comme la mutagénèse dirigée, d’ores et déjà exclues du champ d’application de la loi [6].
En France, plusieurs organisations dénoncent la « stigmatisation » dont ces nouvelles techniques font l’objet [7]. La FNSEA met ainsi l’accent sur « la précision » et « la rapidité » de ces techniques qui permettraient d’opérer des modifications « limitées » et « ciblées » du génome. Le syndicat insiste en particulier sur les enjeux économiques et agronomiques de ces biotechnologies qui rendent « plus rapide le processus de sélection de nouvelles variétés ». « Cela devrait à terme profiter tant aux agriculteurs qu’aux consommateurs et aux entreprises semencières françaises et européennes, aujourd’hui pénalisées par les exigences règlementaires qui, en Europe, pèsent sur les OGM », souligne la FNSEA. L’Isaaa confirme que sont d’ores et déjà développées des variétés de maïs résistants à la sécheresse, de colza tolérants aux herbicides, de blé et de riz résistants aux maladies, d’arachides sans allergènes... Autant de variétés qui pourraient échapper aux processus d’évaluation et d’étiquetage.
Risques de dissémination
« S’il y a une plus grande précision dans ces techniques, c’est uniquement à l’échelle de la pipette, réagit le chercheur Christian Vélot, docteur en biologie, membre du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen) et de l’association Sciences Citoyennes. « Quelle que soit la nature de la modification et sa précision, on est incapables de prévoir les effets à court, moyen et long terme. Se restreindre à l’échelle de la manipulation elle-même, c’est un déni de connaissance et une vision simpliste du vivant. Il faut prendre en considération l’organisme dans sa complexité, dans ses interactions et dans son environnement. »
Les opposants à ces techniques redoutent leur dissémination dans la nature, d’autant plus que des brevets pourraient être déposés sur les variétés ou les « traits génétiques » issus de ces techniques. « Nous avons besoin d’un étiquetage pour que les consommateurs sachent ce qu’ils ont dans leurs assiettes, et pour être en mesure de retirer la marchandise du marché s’il y a un problème », appuie Guy Kastler.
Modifier l’ADN, une technique « à la portée de tous »
Parmi les différentes techniques de modification du génome, l’association Isaaa juge « prometteuse » la plus récente, dénommée « CRISPR-Cas9 ». Ce mécanisme d’assemblage d’une séquence d’ADN – qui permet de faire des sortes de copier/coller génétiques – est de plus en plus utilisé. Cette technique serait même tellement simple à mettre en œuvre et peu coûteuse qu’elle rendrait la modification de l’ADN « à la portée de tous » [8]. La manipulation du génome figure pourtant dans la liste des menaces jugées les plus importantes aux États-Unis, selon un rapport du renseignement américain [9]. En cause, « le risque de création d’agents ou de produits biologiques dangereux » qui découle de l’utilisation inconsidérée de ces techniques.
Le risque que cette technique soit utilisée sur des cellules reproductrices, et donc que ces modifications soient transmissibles et puissent orienter l’évolution d’une espèce, a conduit le Comité international de bioéthique de l’Unesco à appeler en octobre 2015 à un moratoire sur les modifications touchant à la part héréditaire du génome humain. Pour les organisations paysannes, ce moratoire devrait aussi s’étendre aux plantes et semences. « Les techniques proposées agissent directement sur les cellules reproductrices des semences », insiste Daniel Evain de la Fédération nationale de l’agriculture biologique.
Démissions en série au Haut conseil des biotechnologies
Qu’en dit la Commission européenne ? Elle annonce depuis de nombreux mois un avis juridique sur ces NPBT. Mais sa publication est sans cesse reportée. La Commission attend notamment les positions des gouvernements. En France, l’avis des ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie se fonde sur les travaux du Haut conseil des biotechnologies (HCB), créé en 2009 [10]. Problème : ces dernières semaines, les démissions se sont multipliées au HCB. Les origines de la discorde remontent au 16 décembre 2015. Les membres du comité scientifique sont invités à commenter un rapport sur ces nouvelles techniques reçu cinq jours avant. Celui-ci résulte du travail entamé depuis deux ans par six experts, à la « neutralité relative » selon une enquête menée par le site Inf’Ogm, puisque certains experts sont en situation de conflit d’intérêts [11]. Lors de cette réunion, les membres du comité scientifique ne savent pas à quoi servira leur discussion. Ils apprennent par la suite que les résultats de cette discussion ont le statut d’avis officiel, transmis au gouvernement, relate au journal Le Monde le chercheur Yves Bertheau, membre du comité scientifique.
Yves Bertheau juge que les effets des modifications non intentionnelles du génome des plantes (dits « effets hors cible ») sont insuffisamment abordés dans le texte [12]. En outre, le texte considère que la plupart des variétés issues de ces techniques devraient être « exemptées d’évaluation des risques », car on ne peut les distinguer des variétés dites « conventionnelles ». Une analyse contestée par Yves Bertheau, qui demande la possibilité de publier un avis divergent, en annexe de ce qui est devenu un avis officiel du HCB. Cela lui est refusé, au motif que les divergences en question n’ont pas été discutées en séance. Il dénonce un « détournement de procédure » et donne sa démission mi-février.
Le gouvernement français ne veut pas soumettre ces techniques à la réglementation OGM
C’est pourtant sur ce texte que vont s’appuyer les ministres de l’Environnement et de l’Agriculture. Dans un courrier du 22 février consulté par Basta!, les ministres demandent au Haut conseil des biotechnologies de proposer un nouvel encadrement pour ces techniques. En clair, le gouvernement écarte ces techniques de la réglementation OGM [13]. Et suggère que des « pistes intermédiaires » soient proposées pour encadrer l’usage de ces techniques. « C’est un enfumage total qui va permettre au gouvernement de s’appuyer sur un vrai faux avis scientifique pour défendre cette position à Bruxelles », dénonce Patrick de Kochko, du réseau Semences paysannes.
Cette décision du HCB a pourtant toutes les apparences d’un vrai avis officiel : elle est alors publiée sur son site internet dans la rubrique « avis ». Curieusement, elle n’est plus disponible à cet emplacement et apparaît désormais dans la rubrique « publications ». « Il n’y a pas eu de saisine, et aucun des deux comités n’a été averti qu’il devait rendre un avis, dénonce Patrick de Kochko. « La façon de travailler au HCB est inacceptable ! ». Il décide de démissionner à son tour le 9 avril de la vice-présidence du Comité économique, éthique et social [14]. Il est suivi quatre jours plus tard par sept organisations paysannes et de la société civile [15]. « On a besoin que ce débat soit porté au HCB, car les problèmes posés par ces techniques en termes de risques économiques, environnementaux et sociaux doivent être évalués », souligne Bénédicte Bonzi des Amis de la Terre.
« Nouveaux OGM : non merci ! »
Après huit ans de controverses sur le statut de ces nouveaux OGM, la Commission européenne devrait donc prochainement décider de l’exclusion ou non de ces techniques de la réglementation OGM. Elle aura reçu par la France ce « vrai-faux avis » contesté. « On ne peut pas nous demander d’être consensuels sur ce sujet, ajoute Bénédicte Bonzi. Il y a un choix de société à faire qui aura des conséquences irréversibles. » « Des changements aussi brutaux de rythmes d’évolution doivent s’évaluer globalement et pas au cas par cas », appuie Frédéric Jacquemart, président du groupe international d’études transdisciplinaires. Les organisations démissionnaires du HCB viennent de lancer une pétition européenne intitulée « Nouveaux OGM : non merci ! ». Elles demandent que les ministères français de l’Environnement et de l’Agriculture ainsi que la Commission européenne « ne laissent planer aucun doute sur le fait que les nouveaux OGM issus de techniques d’édition de gènes ou d’autres techniques doivent être soumis à la réglementation européenne sur les OGM. » Pour Bénédicte Bonzi, « la mobilisation contre les OGM, ce n’est pas du tout fini, même si on essaie de les appeler autrement. Il faut se remettre en ordre de bataille. »
Photo de une : action le 6 avril 2016 devant le siège du Haut conseil aux biotechnologies / CC Sophie Chapelle - Basta!