Agriculture

Derrière les promesses des multinationales semencières : 99 % des OGM sont des plantes pesticides

Agriculture

par Sophie Chapelle

Résoudre la faim dans le monde, réduire les herbicides, lutter contre les ravageurs : le débat sur les OGM transgéniques s’est toujours déroulé sur fond de promesses salvatrices. Aucune d’entre elles n’a été tenue. Inventaire.

 Vous lisez le troisième volet de notre enquête sur les nouveaux OGM. Retrouvez le premier volet "Comment l’industrie agroalimentaire tente de nous servir de nouveaux OGM« et le deuxième volet »Brevets sur le vivant : ces six multinationales qui contrôlent l’accès à l’alimentation". Pour ne pas rater nos publications, inscrivez-vous à notre lettre d’info hebdo.

Argument bidon n°1 : Les OGM vont résoudre la faim dans le monde

« Les deux tiers de la planète ne mangent pas à leur faim. Certains OGM [sont] susceptibles de contribuer à la résolution de ce problème. » Nous sommes au sein du Sénat, il y a vingt ans. Un sénateur socialiste, Jean-Marc Pastor, reprend l’une des plus vieilles antiennes des promoteurs d’OGM, à propos du riz génétiquement modifié enrichi en vitamine A et censé davantage résister au manque d’eau [1].

Vingt ans plus tard, seules les Philippines ont autorisé la mise en culture commerciale du riz doré, le riz transgénique. L’autorisation, qui date de 2021, pourrait même être remise en cause : la Cour suprême des Philippines vient d’émettre un recours légal considérant que la culture du riz transgénique menace le droit constitutionnel des citoyennes à un environnement sain. « Alors qu’il existe de nombreuses sources locales abondantes et naturelles de vitamine A, il est facile de comprendre que le riz doré ne vise pas à lutter contre la malnutrition, mais à étendre le contrôle des entreprises sur l’alimentation et l’agriculture », souligne une ONG locale.

Comment expliquer le faible succès de ce riz doré, dont la première version a été mise au point par deux chercheurs en 1999 ? Si pour ses « inventeurs », les réglementations sont « trop exigeantes », ses détracteurs comme Greenpeace estiment que « l’argument de lutte contre la faim n’est qu’un argument marketing pour tenter de faire accepter les OGM », dénonçant les incertitudes en la matière.

Le ministère de l’Environnement bangladais qui a finalement refusé l’autorisation à la culture du riz doré semble partager cet avis : « Nous n’avons aucune idée des caractéristiques et du comportement de ce riz chez l’homme, dans les sols, dans l’eau et dans l’environnement, nous avons donc renvoyé cette proposition pour davantage de recherches », justifiait-il en décembre 2019.

Si l’on regarde les caractéristiques principales des plantes transgéniques actuellement cultivées dans le monde, il ressort que 99 % sont des plantes « pesticides » [2]. Concrètement, ces plantes ont été conçues soit pour tolérer certains herbicides, soit pour produire elles-mêmes une protéine insecticide – parfois les deux caractéristiques à la fois.

Ainsi, aux États-Unis, premier producteur mondial d’OGM avec 75 millions d’hectares, 90 % des maïs, coton, soja, betterave et colza sont tolérants à un herbicide et 80 % des maïs et coton sont, en plus, résistants aux insectes. Bien loin donc des arguments nutritionnels mis en avant par les lobbys OGM.

Argument bidon n°2 : les OGM permettraient de réduire le recours aux pesticides

Dans le cadre de la « mission d’information sur les enjeux des essais et de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés », une table ronde est organisée en janvier 2005 avec les principales entreprises du marché des OGM, dont Monsanto et Pioneer.

L’entreprise Limagrain, par la voix de son directeur général de l’époque, Daniel Chéron, présente les séduisants atouts des OGM : « L’utilisation du soja résistant au Roundup permet, sur un an, une réduction de 10 000 tonnes d’herbicides, soit un gain annuel de 1,2 milliard de dollars pour les agriculteurs », assure-t-il, cité par le site Inf’OGM.

Dans les champs, c’est tout le contraire qui se produit. « Globalement, l’utilisation de glyphosate a été multipliée par quasiment 15 depuis que les cultures de plantes modifiées génétiquement pour tolérer le glyphosate [...] furent introduites en 1996 », souligne une étude américaine publiée en 2016 [3]. Selon l’étude, les cultures de plantes génétiquement modifiées tolérant les herbicides sont responsables de plus de la moitié des quantités de glyphosate utilisé aux États-Unis.

L’Institut d’études géologiques américain évoque, lui, une multiplication par dix de l’usage du glyphosate - d’environ 13 600 à 131 500 tonnes par an entre 1996 et 2016.

Il en va de même au Brésil. Selon une étude publiée en 2017, l’adoption des cultures de plantes génétiquement modifiées à partir de 2003 a conduit à l’augmentation de l’utilisation des herbicides [4]. Les quantités d’herbicides en soja par exemple ont plus que doublé, de 100 000 tonnes en 2003 à plus de 230 000 tonnes en 2012.

Pire, les OGM contaminent d’autres plantes qui deviennent elles-mêmes résistantes à certains herbicides. On connaissait une seule plante résistante au glyphosate en 1998. Dix ans plus tard, on en recense 14 espèces. Pour en venir à bout, les agriculteurs ont donc recours à d’autres herbicides en complément du glyphosate, et ont augmenté les quantités d’herbicides appliquées. Entre 2008 et 2012, les États-Unis ont ainsi concentré sur leur territoire le quart des applications mondiales d’herbicides, selon l’Agence américaine de protection de l’environnement.

En 2011, en France, une expertise menée par l’Inra et le CNRS liste les problèmes environnementaux liés aux variétés végétales tolérantes aux herbicides. Les chercheurs énoncent entre autres des effets sur la biodiversité et une contamination notable des eaux et des sols. Ils soulignent également des lacunes de connaissance en matière de toxicité des herbicides sur la faune ou encore les impacts potentiels sur les insectes pollinisateurs.

Argument bidon n°3 : les insectes ne deviendront pas résistants aux OGM

Retour à la mission d’information sur les OGM en 2005. Maddy Cambolive de l’entreprise Pioneer, prend la parole : « On n’a jamais constaté, dans aucune culture, de phénomène de résistance à la protéine Bt », rapporte Inf’OGM. Elle fait ici référence aux plantes qui ont été génétiquement modifiées pour développer une protéine bactérienne (bacillus thuringiensis, Bt) qui est toxique pour les ravageurs, notamment la pyrale du maïs (papillon). Le représentant de Monsanto, Stéphane Pasteau, affirme lui que « l’insecte cible est systématiquement détruit ».

Ces affirmations vont être contredites quatre ans plus tard. Dès 2009, les premiers insectes résistants sont recensés aux États-Unis. Washington le reconnaît officiellement quelques années plus tard : des insectes ont développé des résistances aux protéines insecticides produites par certaines plantes transgéniques. Ce phénomène de résistance augmente avec la recension en 2016 de seize cas d’insectes ayant développé des résistances, contre un seul en 2002 [5]. Les États-Unis concentrent dix cas de résistance sur les seize décrits dans l’étude.

Argument bidon n°4 : Les insecticides OGM ne concernent que les insectes ciblés

Stéphane Pasteau, représentant de Monsanto, affirme, toujours en 2005 : « La protéine Bt (...) agit seulement sur des familles très spécifiques, sans autre impact sur “l’entomofaune” (les insectes présents dans l’environnement). » La littérature scientifique mentionne pourtant que des insectes non-cibles sont tués. En 2008, une étude montre que le maïs Bt a des impacts négatifs sur les puces d’eau - aptitude physique moindre, mortalité plus élevée, plus faible proportion de femelles atteignant leur maturation sexuelle et production d’œufs globalement plus faible [6].

En 2012, une équipe de l’Institut fédéral suisse de technologie de Zürich observe des effets négatifs de la protéine Bt sur certains organismes non-cibles comme les larves de coccinelle [7].

De nombreux pays européens ont adopté un moratoire sur la culture du maïs OGM « MON810 », notamment en raison de ces impacts sur les insectes non-cibles. La France a ainsi activé une clause de sauvegarde dès janvier 2008.

Argument bidon n°5 : nouvelles techniques OGM, mais toujours les vieilles promesses non tenues

Les mêmes promesses sont aujourd’hui énoncées pour promouvoir les nouvelles techniques de modification génétique. Ainsi, l’organisation professionnelle Croplife affirme que les nouvelles techniques « offrent des bénéfices en termes de sécurité alimentaire, de protection de l’environnement et de durabilité globale de l’agriculture ».

Pour EuropaBio, qui défend les intérêts des multinationales biotech, ces nouvelles techniques contribueraient à lutter « contre les inondations, la salinité et les températures extrêmes ». Et permettraient « d’améliorer les variétés végétales de manière bénéfique pour les agriculteurs (résistance à des maladies, meilleure tolérance au stress…) ou pour les consommateurs (nutrition améliorée, plus longue durée de vie…) » [8].

Le collectif pro-OGM EUSage liste les promesses de meilleurs rendements, de diminution d’intrants chimiques, voire de protection de la biodiversité.

Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, reprend d’ores et déjà le discours de l’industrie semencière. « La France est favorable à ces nouvelles techniques prometteuses afin de faire face au défi climatique, avec des plantes plus résistantes à la sécheresse, et aussi à la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires », a-t-il ainsi déclaré le 27 février dernier. Oubliant au passage que deux décennies d’expérimentation des OGM démontrent le contraire.

Sophie Chapelle

Illustration : © Denys Moreau

Notes

[1Quelle politique des biotechnologies pour la France, Rapport d’information déposé le 15 mai 2003.

[2À l’échelle mondiale, moins de 4 % des terres agricoles sont aujourd’hui cultivées avec des plantes transgéniques – essentiellement du soja, maïs, coton et colza, principalement en Amérique du Nord et au Brésil. Les États-Unis, le Brésil, l’Argentine et le Canada représentaient, en 2019, 84,5% des surfaces mondiales (soit 160,8 millions d’hectares). Source : Isaaa

[3« Trends in glyphosate herbicide use in the United States and globally », Benbrook C., Environ Sci Eur (2016) 28:3.

[4Soares de Almeida et al., « Use of GE crops and pesticides in Brazil : growing hazards » , Scielo, octobre 2017.

[5Surge in insect resistance to transgenic crops and prospects for sustainability », Bruce E. Tabashnik et Yves Carrière, Nature Biotechnology, 2017, vol. 35, n°10, pp. 926-935

[6« Reduced Fitness of Daphnia magna Fed a Bt-Transgenic Maize Variety », Bohn T. et al., Archives of Environmental Contamination and Toxicology, mars 2008

[7« A controversy re-visited : Is the coccinellid Adalia bipunctata adversely affected by Bt toxins ? », Hilbeck A. et al., Environmental Sciences Europe 2012, 24:10