Depuis plusieurs années et plusieurs ouvrages, le journaliste Denis Robert décrit l’intégration croissante du crime organisé dans les mécanismes de la finance internationale. Avec L’affaire des affaires [1], c’est la BD qui devient le vecteur de transmission de ses recherches. « La bande dessinée est un médium qui implique des choix radicaux, explique-t-il. Les premières réactions me montrent à quel point le procédé permet de faire partager, de faire vivre, à ceux qui s’y intéressent un peu, beaucoup, et même pas du tout, la mécanique financière, judiciaire, politique, qui fonctionne et affole la planète en ce moment. »
L’affaire des affaires est publié dans un contexte particulier. En juin dernier, Denis Robert avait annoncé qu’il ne parlerait plus publiquement de l’affaire Clearstream. Il venait d’être condamné à 12 000 euros pour des propos tenus deux ans plus tôt. Clearstream, l’enquête, publié en 2006 aux Arènes avait été retiré de la vente. Gros moment de blues... On est donc heureux de découvrir cette bande dessinée, qui est une autobiographie courant de 1995 (année où il quitte le quotidien Libération) à 2006, quand éclate l’affaire Clearstream 2, qui met notamment en scène un premier ministre, un informaticien et son supérieur hiérarchique chez EADS, un juge, un ministre de l’intérieur et un général officiant pour les services secrets. Une affaire qui bien sûr agit comme diversion de la véritable affaire, celle qu’ont dénoncée Denis Robert et Ernest Backes [2] et qui accuse la chambre de compensation internationale Clearstream d’être une véritable autoroute virtuelle de la finance occulte, gérant des transactions, via des comptes non officiels, pour les opérations de blanchiment d’argent sale et d’évasion fiscale au niveau mondial.
« Si on se place sur le plan européen, on se rend compte que la plupart des pouvoirs politiques ont eu recours à des paradis fiscaux pour se financer voire pour des enrichissements personnels. Pourquoi voulez-vous que les dirigeants de cette Europe politique mettent de la bonne volonté pour supprimer ces réseaux d’argent sale dont ils se sont servis pour assoir leur pouvoir ? », lance le juge Renaud Van Ruymbeke, un des personnages de la bande dessinée. On y retrouve aussi les magistrats anti corruption européens à l’initiative de l’appel de Genève (le juge suisse, Bernard Bertossa, les Espagnols, Baltazar Garzon et Carlos Jimenez Villajero, les Italiens, Gherardo Colombo et Edmondo Bruti Liberati et le Belge, Benoit Dejemeppe).
Si une multitude de personnages peuplent cette BD, Denis Robert en est le principal protagoniste. Il raconte comment ses enquêtes ont eu des effets assez dévastateurs sur ses relations familiales. Comment le monde de la finance internationale et celui des sans-domiciles fixes sont liés par un pacte de mort. La critique est vive aussi sur le fonctionnement de la presse française. Constat d’impuissance et de frilosité, un de ses personnages déclare : « Pour nous, à la télé, ça devient délicat de parler des affaires. Tant qu’il s’agit de contribuer à un coup tordu par tel ou tel ministre, ça va... Mais si on veut faire notre boulot en toute impartialité, on a rapidement des soucis. Je pense que pour bien parler des affaires, le mieux est d’avoir recours à la fiction... »