87 % du territoire français est un désert médical, c’est-à-dire une zone où il est très difficile, de se faire soigner en raison de l’absence de médecins à proximité. C’est le chiffre préoccupant mis en avant par le député de la majorité Frédéric Valletoux en préambule de sa proposition de loi pour « améliorer l’accès aux soins ». Le texte est discuté depuis cette semaine à l’Assemblée nationale. Le député y souligne encore qu’un adulte sur dix n’a pas de médecin traitant en France, et que 1,6 million de personnes renoncent chaque année à des soins médicaux.
Depuis des années, les déserts médicaux s’étendent en France. Depuis des années, l’accès à un médecin généraliste et surtout aux spécialistes devient de plus en plus compliqué, en particulier dans les campagnes et les quartiers populaires. Et depuis des années, des parlementaires déposent des propositions de loi pour essayer de changer les choses.
Des médecins craignent la coercition
Cette nouvelle initiative législative sera-t-elle la bonne ? À peine déposée, elle a déjà suscité l’opposition de syndicats de médecins libéraux. Ceux-ci craignent que le Parlement finisse par vouloir réguler leur installation sur le territoire pour garantir l’accès aux soins.
MG France, le syndicat majoritaire de médecins libéraux, craint ainsi que « les élus locaux, sollicités par une population inquiète à juste raison de son accès aux soins, n’ont plus en tête que la coercition à l’installation des médecins généralistes ». Le groupement Jeunes médecins s’alarme également « du risque que la situation empire si des mesures coercitives sont adoptées par l’Assemblée nationale ».
En l’état, la proposition du député ne prévoit rien de tel. Elle envisage seulement de soumettre les médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes à un préavis de six mois avant de quitter leur lieu d’exercice, et d’interdire l’intérim médical aux médecins en début de carrière. Le texte veut aussi faciliter l’exercice des médecins étrangers.
Il semble cependant possible qu’un amendement allant dans le sens de la « coercition » tant décriée par une partie de la profession soit adopté. Il est porté par le député socialiste de Mayenne Guillaume Garot avec un groupe transpartisan de 205 députés. Le socialiste propose que l’installation des médecins soit soumise à l’autorisation des agences régionales de santé. Cette autorisation serait délivrée automatiquement en zone sous-dotée en médecins. Mais elle serait conditionnée à la cessation d’activité d’un autre praticien en zone jugée suffisamment dotée.
Parlementaires de gauche et de droite
Guillaume Garot avait déjà déposé une position de loi similaire en 2019. Elle demandait à ce que « l’installation des médecins libéraux [soit] soumise à conditions dans les zones où l’offre de soins est déjà à un niveau particulièrement élevé ». En 2021, le sénateur LR Stéphane Sauterel a à son tour déposé une proposition de loi similaire. Puis le député communiste Sébastien Jumel a préconisé de rendre obligatoire pour les jeunes médecins un « contrat d’engagement de service public » dans les territoires sous-dotés.
Le député UDI d’Ille-et-Vilaine Thierry Benoît a de son côté demandé un système de « conventionnement sélectif » ainsi qu’une obligation d’exercice dans les zones sous-dotées durant les trois ans qui suivent l’obtention du diplôme de médecine. Plusieurs dizaines de députés LREM avaient également adressé une lettre ouverte au ministre de la Santé en 2021 pour demander d’« accepter l’instauration d’une relative contrainte dans l’installation des médecins libéraux généralistes et spécialistes sur les territoires ».
Même la Cour des comptes écrivait déjà en 2017 que « la régulation des installations est une nécessité pour obtenir un rééquilibrage des effectifs libéraux en fonction des besoins de santé des populations sur le territoire » (dans un rapport sur « L’Avenir de l’Assurance maladie »).
Une régulation de l’installation est aussi revendiquée par certains médecins, comme nous le racontions sur basta! l’année dernière (lire notre article Déserts médicaux : la liberté d’installation des médecins accusée de « nuire à la santé des gens ». Ces praticiens sont arrivés à défendre la contrainte, car ils et elles ne trouvent personne pour leur succéder une fois la retraite arrivée, ou voient des patients qui ne peuvent tout simplement plus se faire soigner faute de médecin traitant.
Des élus locaux créent des centres de santé
Des praticiens renvoient aux cas des pharmaciens, kinésithérapeutes, sages-femmes et infirmières libérales, dont l’installation est déjà régulée. Ces professionnels de santé ne peuvent pas s’implanter dans des zones qui sont déjà trop dotées. Rien de tel n’existe aujourd’hui pour les médecins libéraux.
Localement, des élus, encore une fois de gauche comme de droite, misent aussi de plus en plus sur la création de centres de santé pour permettre l’accès aux soins sur leurs territoires. Dans ces structures, les médecins sont salariés, pas libéraux. Depuis cinq ans, les centres de santé de médecine générale se multiplient sur tout le territoire. On vous le racontait sur basta! il y a quelques mois (lire notre article « Médecins salariés, sans dépassement d’honoraires : les centres de santé, solution aux déserts médicaux ? ». « Auparavant, les projets étaient surtout portés par des collectivités marquées à gauche. Aujourd’hui, tous les groupes politiques montent des centres de santé », constatait la médecin et présidente de la Fédération des centres de santé Hélène Colombani.
Rachel Knaebel
Photo de une : Une médecin en consultation au centre de santé communautaire de Saint-Denis/©Anne Paq.