En France, les Ehpad s’enfoncent dans une crise financière. Dans les hôpitaux, les urgences sont saturées, les soignants manquent. Malheureusement, la crise du soin dépasse les frontières françaises. « Économies à tout prix, intimidations, manque de contrôles », c’est ce qu’a constaté le média d’investigation autrichien Dossier dans les établissements du plus grands groupes d’Ehpad privés d’Autriche, Senecura.
Or, le groupe autrichien Senecura a été racheté par l’entreprise française Orpea en 2015. Orpea qui a changé de nom pour « Emeis » il y a quelques mois à la suite d’une série de scandales, en partie révélés par le livre du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs.
Les effets d’une reprise par Orpea en Autriche
Dans les maison de retraites de Senecura en Autriche aussi, les « dysfonctionnements sont structurels », écrit Dossier. Le média a consacré une série d’enquêtes à ce grand groupe. Il a par exemple suivi trois fils qui demandent justice après avoir vu leur père d’après eux maltraité, « affamé » pendant trois mois das un Ehpad de cette entreprise. Et aussi le procès de soignants d’Ehpad de Senecura mis en cause pour des mauvais traitements.
« Depuis la vente à Orpea, Senecura fait parler d’elle en Autriche. Soupçons de maltraitance, de soins insuffisants, d’agressions et de négligence - la liste des cas connus dans les foyers Senecura est longue. Est-ce que l’on économise sur les soins par souci de rentabilité au détriment des personnes ayant besoin d’aide ? S’accommode-t-on sciemment d’abus ? » demande Dossier.
Les scandales de négligences dans les Ehpad se ressemblent d’un pays à l’autre. « Les images d’une résidente d’une maison de retraite de Barcelone entourée de fourmis, se promenant dans son pyjama et se scarifiant, ont une fois de plus mis en lumière les conditions dans lesquelles se trouvent les résidents et les travailleurs des Ehpad », écrivait aussi le journal espagnol El Diario début septembre.
Besoin d’investissements
« Bien qu’il s’agisse d’un incident ponctuel, le manque de personnel et les mauvaises conditions de travail sont des phénomènes courant dans un secteur dominé par le privé en Catalogne », pointe El Diario. Chez nos voisin espagnols aussi, syndicats de la santé et associations engagées sur le sujet « réclament des investissements plus importants pour améliorer le bien-être des usagers et des soignants ».
Partout, les conditions de travail sont dégradées dans le secteur de la santé. En conséquence, les établissements de santé peinent à recruter. Et avec moins de personnels, les conditions d’accueil ne peuvent que se détériorer.
En Allemagne, des hôpitaux et cliniques en viennent à recruter directement à l’étranger pour tenter d’inverser la tendance. Le journal La Taz a rencontré un couple d’infirmiers tunisiens arrivé dans le pays il y a deux ans pour travailler dans un hôpital allemand.« En juillet 2022, Marouane Essoussi, 40 ans, a quitté la Tunisie, pour s’installer à Brême afin d’y travailler comme infirmier. Il ne connaissait personne, il avait appris l’allemand tout seul l’année précédente. Un an après lui, son épouse Wala Zouaghi, également infirmière, est arrivée, suivie par leurs deux fils de huit et dix ans. Ils étaient tous en Allemagne pour la première fois, ne parlaient et ne comprenaient que peu ou pas du tout l’allemand. »
Ici, dans le nord-ouest de l’Allemagne comme ailleurs dans le pays, « les hôpitaux et les maisons de retraite manquent de personnel soignant. Les professionnels étrangers doivent aider à combler le fossé grandissant entre les besoins et l’offre ». L’hôpital où travaille le couple tunisien emploie 80 infirmières et infirmiers de 22 nationalités différentes.
Regarder le travail
N’est-ce pas la perception des soignantes et soignants dans la société qu’il faut changer ? Dans les colonnes du journal suédois Dagens Arena, une éditorialiste s’interroge sur la faible valorisation des métiers du soin dans l’opinion publique. « Pourquoi y a-t-il plus de films sur l’espace que sur les maisons de retraite ? » demande-t-elle. Les personnels du soin « sont peu mis en avant dans la société, mais aussi à l’écran ».
Un documentaire doit sortir cet automne dans les salles de cinéma suédoises. Il s’appelle « Le non mesurable » et s’intéresse justement au travail de soin dans la Suède des années 2020. Le cinéaste, fils de deux soignants professionnels, décrit à quoi peut ressembler la journée de travail du million de Suédoises et Suédoise qui travaillent dans les soins aux personnes âgées et les soins à domicile, avant et après la pandémie. « Qui voudrait regarder ça ? » lui dit son père au début du film. C’est peut-être là une partie de la réponse à la crise du soin en Europe. Il faut bel et bien regarder ce qui se passe dans nos hôpitaux et maisons de retraite.
Rachel Knaebel
Photo : CC0 Domaine public