Pour qui se promène à Athènes ces jours-ci, le printemps ensoleillé offre de débordants étalages de fruits. Et, en premier lieu, de belles fraises rouges et juteuses à quelques euros le kilo. Elles viennent toutes d’une même région du Péloponnèse, Nea Manolada, où elles sont cultivées sous serre. Ces fraises sont désormais tachées de sang.
Plus d’une trentaine d’ouvriers agricoles, tous immigrés, ont été blessés lors d’incidents survenus le 17 avril au soir. N’en pouvant plus, après plus de 6 mois sans être payés, 200 Bangladais sont venus réclamer leur argent au propriétaire des champs de fraises qui les emploie au noir.
Reçus par trois contremaîtres, ceux-ci les ont d’abord rembarrés, les menaçant de prendre d’autres travailleurs à leur place. Puis, devant le refus des travailleurs migrants de battre en retraite, les contremaitres ont ouvert le feu : à la carabine, ils ont tiré, poursuivant leurs cibles à travers champs. Bilan de la fusillade : une trentaine de blessés admis en urgence dans les hôpitaux de la région, certains dans un état critique. Un des trois hommes, ainsi que le propriétaire, ont depuis été arrêtés.
Logés dans des serres rapiécées, battues par le vent et aspergées de pesticides
La fusillade de Nea Manolada vient violemment rappeler ce qui se joue dans cette région de Grèce. Plus de 2000 personnes, pour la plupart sans-papiers, travaillent dans les propriétés agricoles toute l’année, en dehors de toute légalité : quatre mois pour la saison des fraises, puis les patates, ensuite les vendanges… Plus de 10 heures par jour, 7 jours sur 7, pour une promesse de 20 euros par jour.
Corvéables à merci, sans protection sociale, invisibles aux yeux des autorités locales, ils vivent dans des conditions d’un autre siècle. Entassés à plus de trente dans de vieilles serres rapiécées, battues par le vent, ils sont à la merci du froid en hiver et de la chaleur en été. Ils dorment à même la terre battue, se lavent au jet d’eau froide et boivent l’eau des citernes.
Ces « logements » au milieu des champs, aspergés régulièrement d’engrais et de pesticides, sont loués aux travailleurs migrants au prix fort par leur employeur. Quant aux denrées qu’ils cuisinent sur des feux de fortune, ils sont forcés de les acheter dans une petite épicerie où tout est cher, et de moindre qualité.
Les Albanais sont partis
C’est un aspect nouveau de la crise en Grèce. Les migrants originaires des Balkans, installés depuis vingt ans, Albanais pour la plupart, sont repartis, faute de pouvoir régulariser leur situation en Grèce. Les nouvelles lois conditionnent les permis de séjour à un certain nombre de jours de travail déclarés. Très vite, ils ont été remplacés par un flux continu de clandestins venant cette fois d’Asie ou d’Afrique, via la Turquie. Soit par la frontière terrestre de l’Evros, soit par les îles proches.
Dans la région, ces exploitations agricoles sont de véritables zones de non droit. Toutes les autorités locales ou gouvernementales ferment les yeux. Et les quelques incursions de journalistes se sont terminées, elles aussi, à l’hôpital. Une véritable économie souterraine et mafieuse s’est installée. A la manœuvre, des patrons grecs qui ressemblent de plus en plus à des latifundiaires, escortés de « bravoi » ou de « pistoleroi » chargés de surveiller, souvent fusil au poing, cette masse de quasi-esclaves.
« Fraises de sang »
En Grèce, d’autres régions ou secteurs économiques sont devenus totalement dépendants de ce dumping social poussé à l’extrême, au détriment d’une cohorte de pauvres hères : la plaine de Marathon et ses cultures maraichères cultivées par les Pakistanais, les fermes marines et leurs employés indiens, la pêche et ses marins égyptiens,… Ce n’est pas sans rappeler ce qui se passe d’autres régions d’Europe du Sud, en Italie ou en Espagne. Mais quand plus un sou ne rentre, la colère finit par éclater.
Cet énième épisode, plus dramatique que les précédents, a été relayé par les médias étrangers, obligeant la presse grecque à ne pas le minimiser, comme elle le fait d’habitude. Les autorités ont réagi par les mêmes promesses récurrentes, jamais tenues par le passé. La société civile a été plus prompte à s’indigner. Un appel au boycott des fraises de Manolada a ainsi été lancé sur les réseaux sociaux, via les hashtags #bloodstrawberries ("les fraises de sang") et #Manolada, sur Twitter.
Déjà dûment tancé par le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, dans son récent rapport, pour son laxisme vis-à-vis du parti néo-nazi de l’Aube dorée et ses ratonnades anti-immigrés menées en toute impunité, le gouvernement grec pourra-t-il continuer à laisser aller à vau-l’eau une politique migratoire incohérente, devenue une véritable bombe à retardement ?
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Article initialement publié par MyEurop, le 18 avril 2013.