Le régime de terreur de Bachar al-Assad est tombé le 8 décembre 2024, mais l’ombre de la guerre civile plane toujours sur la Syrie. Les tensions et affrontements persistent entre reliquats de groupes armés djihadistes, État central et communautés (Druzes et Bédouins au sud, Alaouites à l’ouest, Kurdes au nord-est). Et les ingérences militaires israéliennes et turques profitent de la fragilité du pouvoir en place.
Malgré cela, la société civile tente de reconstruire. À Qamishli, une ville du nord-est de la Syrie située à la frontière avec la Turquie et administrée par les Forces démocratiques syriennes (FDS, à dominante kurde), une partie des travailleurs ont repris et remis en activité un gros four à pain pour alimenter la ville et les villages avoisinants. L’ancien lieu autrefois géré par le régime Assad a ainsi été transformé en coopérative.
La première équipe, composée de huit hommes, arrive la nuit, à 2h30, pour faire tourner le four à pain. Ils sont chargés de la préparation de la pâte. Cela fait plus de 20 ans que certains d’entre eux travaillent ici. Depuis la reprise en coopérative, ils sont devenus co-gérants. Certains viennent d’autres régions de la Syrie, comme la ville d’Afrin, qu’ils ont dû fuir à cause de la guerre ou de l’occupation turque.
Un travailleur supervise l’étalement des pâtons. En arrière-plan, l’ancien drapeau du régime syrien et celui du parti Baas (le parti anciennement au pouvoir) restent visibles dans l’usine. Les machines, vétustes, datent de l’époque d’Hafez al-Assad – le père de Bachar, au pouvoir de 1971 à 2000 – et nécessitent une surveillance constante. Grâce au fonctionnement en coopérative et au réinvestissement de 10 % des bénéfices, les ouvriers prévoient de remplacer progressivement les équipements les plus usés.
Tajeddin, d’origine arabe, fait partie des plus anciens employés et a choisi de rester sur place après la chute du régime et la fuite des anciens responsables de l’usine. Avec le soutien de ses collègues et de l’Administration autonome (sous direction kurde), il a contribué a transformer le four en une coopérative autogérée. Lorsque le pain sort chaud des fours, il est acheminé dans une autre pièce, où la seconde équipe, essentiellement composée de femmes, s’attelle à le mettre en sachet.

Alors que le pain est emballé, pour être ensuite chargé sur des camions, un travailleur se sert un thé avant de regagner son poste. Depuis la mise en place du nouveau modèle de gestion, la pression hiérarchique s’est estompée, offrant aux ouvriers un environnement plus serein.
La farine utilisée par le four provient du silo central de Qamishli, le plus grand du nord-est syrien. Chaque canton dispose de son propre silo, où les agriculteurs livrent leur blé pour qu’il soit transformé, puis redistribué aux fours et boulangeries locales. Le prix de la tonne de farine est fixé annuellement à l’échelle régionale, en concertation avec les céréaliers, et reste stable toute l’année. En 2025, il s’élève à 1 285 000 livres syriennes – environ 85 euros –, un montant qui illustre l’inflation extrêmement élevée que le pays a subie depuis le début de la guerre civile en 2011. Le tarif négocié est maintenu malgré les fluctuations du dollar.
Les attaques de drones turques visent sciemment les infrastructures pétrolières et agricoles de la région. Épisodiquement, des frappes endommagent les silos. Le nouveau dépôt de farine de Qamishli a ainsi été détruit en octobre 2024. Une partie de la ressource a alors été brûlée, tandis qu’une autre a été endommagée par l’eau utilisée pour maîtriser l’incendie. Cinq personnes ont été blessées lors de l’attaque.

Vers 8 heures, les premières camionnettes arrivent pour charger les sacs de pain destinés à la distribution dans les communes environnantes. Chaque matin, avant de commencer sa journée de travail, Ahmed, l’un des chauffeurs, assure cette tournée. Il n’est pas rémunéré, mais reçoit en échange dix sacs de pain pour sa famille – le pain est un aliment de base pour les habitants de la région. À leur arrivée au four central, les chauffeurs achètent le pain grâce à l’argent issu de la distribution de la veille. La gestion des fonds est assurée par un comptable.


Nafia et sa famille sont chargés de la vente du pain pour leur commune proche de Qamishli. L’endroit est protégé par des tôles pour ne pas être vu des drones turcs qui survolent la zone régulièrement. Le sachet est vendu 2500 livres syriennes, ce qui représente moins de 20 centimes. Une carte de membre permet à chaque habitant d’une commune d’acheter du pain à un tarif subventionné. Mise en place par l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, cette mesure vise à garantir un accès abordable au pain pour l’ensemble de la population.
Muxafa et son fils viennent de récupérer leur ration quotidienne de pain, qu’ils laissent refroidir sur un tapis avant de le ranger. Touchée de plein fouet par l’inflation, la famille vit dans une grande précarité et dépend de cette distribution pour subvenir à ses besoins.