Famine à Gaza : « La plupart du temps, nous restons silencieux. Parler consomme trop d’énergie »

Débats

La faim est omniprésente à Gaza. Elle tue. Aller chercher de la nourriture aussi. Les médias indés internationaux, via des témoignages de personnes dans l’enclave et des récits sur les morts lors de distributions, dépeignent une situation d’urgence absolue.

par Emma Bougerol

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Portrait dessiné de la journaliste Emma Bougerol
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« Chaque matin, nous nous réveillons en ne pensant qu’à une chose : trouver quelque chose à manger », écrit la journaliste Ruwida Amer dans +972. Depuis le camp de réfugiés de Khan Younis, à Gaza, elle raconte à la première personne la famine qui touche l’enclave.

« Notre corps s’affaiblit. Nous nous sentons constamment faibles, déconcentrés et déséquilibrés. Nous devenons facilement irritables, mais la plupart du temps, nous restons silencieux. Parler consomme trop d’énergie. » Elle parle de sa mère malade, incapable de se remettre car elle n’a pas assez de nutriments. Des enfants qui supplient leur parent pour un peu de pain. De son cousin qui a perdu 40 kilos en l’espace de quelques mois. De ses propres doutes sur sa capacité à continuer son travail. Par son histoire, elle raconte celle de dizaine de milliers de personnes dans la bande de Gaza.

875 personnes tuées alors qu’elles allaient chercher de la nourriture

Le 20 juillet, veille de la publication de l’article, 18 personnes sont mortes de faim au cours de cette seule journée. Selon les chiffres du ministère de la Santé de Gaza, partagés par le média israélo-palestinien, 86 personnes sont décédées de malnutrition depuis le 7 octobre 2023 – 76 d’entre elles étaient des enfants. Les distributions humanitaires de nourriture, insuffisantes, sont également très dangereuses pour les populations. « Nous avons vu les soldats israéliens en uniforme militaire se tenir à côté de leurs véhicules blindés. Nous sommes arrivés en sachant que l’endroit était dangereux. Mais il n’y a pas eu d’affrontement, pas de menace pour eux », raconte Khalil d’une distribution où il était, cité par The Intercept.

Alors qu’il s’approchait du but, quelques denrées alimentaires pour lui et ses proches, « ils ont commencé à tirer directement sur des civils non armés », explique-t-il. « Les balles nous poursuivaient comme si nous étions des cibles dans un stand de tir, et non de simples personnes affamées. Nous nous sommes dispersés sous une pluie de balles. » Il a survécu de peu, mais d’autres n’ont pas eu cette chance. Selon le média, depuis la rupture par Israël du cessez-le-feu en mars dernier, 875 personnes ont été tuées alors qu’elles allaient chercher de la nourriture.

C’est le cas de Karam et Lulu al-Gussain. Les frères et sœurs avaient 9 et 10 ans. The Guardian les montre le pouce levé, assis sur un canapé bordeaux, les yeux droits sur la caméra. « Ils étaient les porteurs d’eau désignés par leur famille, car cela semblait moins dangereux que de chercher de la nourriture », lit la légende. Le 13 juillet, alors qu’ils attendaient pour récupérer de l’eau pour leur famille, sceaux et jerricans dans les mains, ils ont été tués par une frappe israélienne. Avec eux, quatre enfants et quatre adultes sont décédés.

« Une famine de masse minutieusement conçue »

Le 20 juillet, au nord de la bande de Gaza, près de 80 personnes ont été tués par l’armée israélienne « alors qu’ils attendaient près d’un convoi d’aide envoyé par le Programme alimentaire mondial des Nations unies, avec l’espoir de récupérer de la farine », écrit Democracy Now !.

À l’occasion de la sortie prochaine du rapport « L’architecture de la famine génocidaire à Gaza » de Forensic Architecture, Alex de Waal, analyste pour l’ONG, témoigne auprès de la web-télé américaine : « Je travaille dans le domaine de la famine, de la crise alimentaire et de l’action humanitaire depuis plus de 40 ans, et je n’ai jamais vu, au cours de ces quatre décennies, une famine de masse d’une population aussi minutieusement conçue, étroitement surveillée et précisément élaborée que celle qui se produit aujourd’hui à Gaza. »

« Des preuves démontrent l’utilisation persistante de la famine par Israël comme arme de génocide contre la population palestinienne », accuse Amnesty International. « Ce n’est que lorsque la guerre sera terminée que le monde se rendra compte de l’ampleur des dégâts, dit Omar, un docteur et enseignant gazaoui, dans le média australien Crickey. Les Israéliens ne se battent pas, ils tuent des civils, détruisent tout. Il n’y a pas de lignes rouges. »