Dans les locaux des médecins internes du CHU de Rennes, une vingtaine de fresques recouvrent les murs. Celui sur lequel s’appuie la machine a café est particulièrement fourni. Ce ne sont pas des scènes de soins. Loin s’en faut. On y voit un bouc s’accoupler avec une chèvre, un homme avec une vache, une femme en train de se masturber avec un poireau ou encore un coq doté d’un immense pénis d’humain. Au milieu trône un arbre dont les feuilles sont remplacées par des seins de femmes en train de se faire peloter… Plus loin, une fresque élégamment intitulée « Pornolympique » représente plusieurs hommes au sexe nu et en érection. L’un a le sien logé entre les seins énormes d’une femme, le second court vers une athlète, le troisième s’apprête à rentrer son sexe dans la bouche d’une femme à genou devant lui. Au dessus, trois femmes sont pliées en deux, nues, et leurs fesses servent de cibles à un archer. Le reste des murs – une vingtaine de fresques en tout – est à l’avenant [1].
Peindre des scènes pornographiques puis ... aller soigner des femmes ?
« Il n’y a plus un mètre carré de libre, explique Bertrand Audiger, cosecrétaire de la section du syndicat Sud du CHU. Ils ont même attaqué le plafond. » Ils ? Ce sont des étudiants en médecine qui chaque année tiennent à marquer les lieux de l’empreinte de leur promotion. Une tradition héritée de l’univers dit « carabin » et très masculin des « salles de garde » ; ces lieux de repos où les médecins mangent et dorment quand ils sont de garde. Celle de l’hôpital Saint-Louis de Paris, en plus d’être recouverte de fresques obscènes représentant des scènes d’orgies, des corps nus et des phallus géants… est dotée d’une roue qui invite à embrasser son voisin, à montrer ses fesses ou ses seins, à mimer une position sexuelle ou à chanter une chanson paillarde [2]. « Les médecins qui peignent tout cela vont ensuite aller dans les services pour s’occuper des femmes, souligne Bertrand Audiger. C’est quand même inquiétant quand on voit la façon dont ils les considèrent… »
Avertie en novembre dernier de la présence de ces fresques, la maire de Rennes (socialiste) Nathalie Appéré s’en est offusquée. « C’était pendant un conseil de surveillance du CHU, dont elle est présidente, raconte Bertrand Audiger Elle était d’autant plus choquée que nous venions de passer une heure à parler de lutte contre le sexisme. Elle a exigé que ces peintures soient effacées. » Mais deux mois plus tard, rien n’a changé. Contacté, le CHU ne nous a pas répondu. Quant à la mairie, elle nous a renvoyé vers le CHU.
Du harcèlement sexuel caractérisé
« Ces fresques sont une forme de harcèlement sexuel : il s’agit en effet de propos humiliants et dégradants auxquels les personnels médicaux et non médicaux sont confronté-e-s de façon quotidienne lorsqu’ils prennent leur poste de travail pour les uns et la restauration pour les autres », note le syndicat Sud dans un courrier adressé en juin 2021 à la direction de l’hôpital, à la maire de Rennes et à la médecine du travail [3]. « De plus, ces fresques entretiennent des stéréotypes sexistes et banalisent les situations de violences sexuelles, en opposition complète avec la charte contre le sexisme qui a été validée dans différentes instances », proteste le syndicat Sud.
« Cela fait des années que cela dure, reprend Bertrand Audiger. Nous avons évoqué le sujet pour la première fois en 2016, suite à la signature de la charte sur l’égalité. Effacer ces fresques aurait été un premier acte symbolique assez fort. Mais rien ne s’est passé. » Deux ans plus tard, en 2018, lors d’un CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), la suppression des fresques à de nouveau été évoquée. Trois ans plus tard, rien n’a changé. Les soignants de Rennes ne sont pas les seuls à batailler pour avoir le droit de travailler dans des lieux protégés de toute forme de harcèlement sexuel. À Toulouse, associations féministes, soignants et syndicaliste ont fait front commun pour obtenir le décrochage d’une peinture pornographique qui trônait dans le réfectoire de l’internat de l’hôpital.
Lassés par l’inaction de la direction, ils avaient saisi la justice qui leur a donné raison tout début décembre, en ordonnant le décrochage de la peinture. Le magistrat a déclaré que cette fresque « représentant des agents du service public, hommes comme femmes, se livrant à des actes sexuels dans des situations humiliantes, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit, au respect de la dignité humaine de la femme et au demeurant à celle de l’homme ».
Les personnes en lutte contre les fresques ostracisées par l’association des internes
Tout le monde n’a pas été satisfait de cette décision. Les salles de garde aux murs obscènes plaisent en effet à une partie des médecins qui évoquent un « sas de décompression ». Les personnes qui ont bataillé pour le retrait de la fresque toulousaine ont subi « intimidations, discréditations, insultes, et exclusions de la part de membre de l’association des internes », déplore la fédération nationale Sud Santé Sociaux. « Nous ne lâcherons rien jusqu’à la disparition de toutes ces fresques sexistes qui ont des conséquences graves en termes de risques psychosociaux et constituent un harcèlement d’ambiance dont les effets délétères sont avérés », ajoute la fédération qui entend « poursuivre la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à l’hôpital ».
Et il y a du travail. Une enquête menée en 2018 par deux doctorantes en médecine révélait que les deux tiers de leurs collègues avaient subi des violences sexuelles dans le cadre de leurs études. L’étude avait mis en lumière un risque majeur de subir des violences en particulier à la fin des études de médecine, lorsque étudiantes et étudiants partagent leur temps entre université et hôpital, où elles et ils enchaînent des stages dans plusieurs spécialités.
Nolwenn Weiler
Photo : CC-BY-SA-4.0 Lektz via Wikimedia Commons.