Liberté d’expression

Greenpeace USA joue sa survie face à une poursuite-bâillon et à l’industrie pétrolière

Liberté d’expression

par Rédaction

Dix ans après les manifestations contre l’oléoduc Dakota Access, la multinationale Energy Transfer réclame des centaines de millions de dollars à Greenpeace aux États-Unis. L’ONG vient d’activer la directive européenne contre les procédures-bâillons.

300 millions de dollars de dommages et intérêts (275 millions d’euros). C’est le montant réclamé par l’entreprise américaine Energy Transfer spécialisée dans la construction d’oléoducs auprès de Greenpeace USA. L’entreprise accuse l’ONG de dégradations lors des manifestations contre le Dakota Access Pipeline, en 2016 et 2017. Basta! a largement documenté cette mobilisation où des tribus amérindiennes se sont alliées à des dizaines de milliers de militants de tous les pays pour empêcher la construction d’un immense oléoduc.

Suspendue par le président Barack Obama puis relancée par son successeur, Donald Trump, l’infrastructure a finalement été construite et est entrée en fonction en juin 2017. Enterrée, elle transporte tous les jours 750 000 barils de pétrole de schiste depuis le Dakota du Nord jusqu’à l’Illinois, sur près de 1900 kilomètres.

L’affaire n’est pas close d’un point de vue juridique. Un procès s’est ouvert ce 24 février et pour cinq semaines à Mandan, dans le Dakota du Nord. « Energy Transfer nous réclame 300 millions de dollars, simplement parce que Greenpeace International a signé une lettre ouverte aux côtés de plus de 500 autres organisations. Nous sommes là face à un cas d’école de procédure-bâillon » explique l’ONG dans un communiqué (la traduction de l’assignation est disponible sur ce lien). Le montant réclamé menace l’existence de Greenpeace aux États-Unis où l’ONG compte 205 employés.

« Après plus de 50 années d’activisme en faveur de l’environnement, Greenpeace USA voit son existence menacée par cette procédure-bâillon. Le procès démarre dans un contexte politique alarmant, qui souligne d’autant plus le rôle-clé de la société civile et des organisations environnementales face à l’industrie fossile et ses soutiens climatosceptiques. Alors que l’urgence climatique s’accélère, imagine-t-on les États-Unis avec Trump, et sans Greenpeace ? » alerte Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France.

« Un précédent juridique dangereux »

En 2017, Energy Transfer a déposé une première plainte devant un tribunal fédéral américain en vertu de la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act), une loi fédérale destinée à combattre la mafia et le crime organisé. Le juge a classé l’affaire, déclarant que les preuves étaient « loin d’être suffisantes » pour établir l’existence d’une activité criminelle de ce type.

En 2019, sur la base d’arguments similaires, l’entreprise a engagé de nouvelles poursuites devant un tribunal de l’État du Dakota pour de nombreux chefs d’accusation : violation de propriété, nuisances, diffamation ou encore interférences causant des torts dans les relations d’affaires. Selon l’ONG, seule l’une des deux entités de Greenpeace USA, Greenpeace Inc., aurait financé, à leur demande, la formation des tribus amérindiennes à la mobilisation non violente, et aurait fourni des couvertures ou des vans équipés de panneaux solaires pour recharger les équipements électriques, rapporte Le Monde.

« Au-delà de l’impact que cette affaire pourrait avoir sur les entités de Greenpeace, ce qui est encore plus inquiétant est qu’elle pourrait établir un précédent juridique dangereux en considérant que les personnes qui participent à des manifestations sont responsables des actes d’autres participants » estime Deepa Padmanabha, conseillère juridique principale de Greenpeace USA. « Cela pourrait avoir un sérieux effet dissuasif sur toutes celles et ceux qui voudraient participer à des manifestations. »

Le plaignant est un soutien financier de Trump

Le verdict sera livré par un jury citoyen dans un comté où l’industrie pétrolière est un important pourvoyeur d’emplois, et qui a voté majoritairement pour Donald Trump à l’élection présidentielle de 2020. Le président exécutif d’Energy Transfer, Kelcy Warren, l’une des cinq cents plus grosses fortunes du pays, a financé les campagnes de Donald Trump.

En parallèle de ce procès, Greenpeace a initié une procédure judiciaire aux Pays-Bas pour demander une indemnisation des frais liés aux poursuites-bâillons lancées par Energy Transfer. C’est la première fois qu’est activée la directive européenne contre les procédures-bâillons dite « anti-SLAPP » ( Strategic Lawsuit Against Public Participation, qui signifie littéralement « gifle »). Adoptée en avril 2024, cette directive vise à protéger les personnes morales et physiques établies dans l’Union européenne qui s’expriment sur des questions d’intérêt public, contre les poursuites-bâillons en dehors de l’UE.

Un rapport de la Coalition Against SLAPPs in Europe (CASE) fait état de 1049 procédures-bâillons en Europe pour la période 2010-2023, dont 166 en 2023. Les compagnies pétrolières Shell, TotalEnergies et ENI ont déjà lancé ce type de procédures contre des entités de Greenpeace ces dernières années. À ce jour, ni Shell au Royaume-Uni, ni TotalEnergies en France n’ont obtenu gain de cause.