La grosse averse est passée. Les enfants courent dehors et touillent les flaques d’eau avec des pelles en plastique. Un week-end tranquille à Beaumont-sur-Lèze, une commune de 1 500 habitants en « périurbain », à une trentaine de kilomètres au sud de Toulouse. A l’intérieur, la coopérative d’habitants Mas Coop tient sa réunion de travail bimensuelle. Autour de la longue table rectangulaire, l’ambiance est détendue mais studieuse. Les huit participants ont le nez collé à leurs écrans d’ordinateurs. Ils préparent leur futur cadre de vie commun. Et celui-ci laisse rêveur. Pour le bon déroulé de la réunion, Françoise joue le rôle d’animatrice, Eric de facilitateur, Cécile de secrétaire.
Depuis neuf mois, Nora et Benoît, jeune couple de 28 et 34 ans, participent aux travaux de cette SAS (Société par actions simplifiée) coopérative dont les statuts juridiques ont été déposés le 31 mars (voir leur site). Benoît est travailleur intérimaire dans la restauration. Nora, graphiste, est au chômage et impliquée dans un collectif artistique. Si tout se passe comme prévu, dès cette rentrée de septembre, Mas Coop sera officiellement propriétaire d’un grand terrain de 11 000 m2, comprenant une vaste demeure de 600 m2. A laquelle devraient s’ajouter début 2018, onze appartements allant du T2 au T5.
8 euros de loyer par m2
S’ils vont au bout de l’aventure à Beaumont, Benoît et Nora devraient y intégrer un T3 avec mezzanine. Un appartement privatif d’une surface avoisinant les 80 m2 et l’accès au vaste parc et au bâtiment collectif pour environ 650 euros de « redevance » mensuelle. La redevance, somme versée chaque mois à la coopérative par tous les habitants, cumule les frais de fonctionnement de la coopérative, les intérêts à la banque et le remboursement du capital. Au final, le tout ne doit pas excéder un coût de 8 euros du m2 par foyer et par mois.
A Beaumont-sur-Lèze, en juin 2016, le prix immobilier moyen au m2 est estimé à 1 790 euros. A Toulouse, 2 500 euros. « Nous n’avons pas trop les moyens d’acheter un grand appartement et nous n’avons pas envie de nous mettre la corde au cou pour trente ans... Alors, bien sûr, l’intérêt économique est déterminant, assure Benoît, mais pas seulement. Pour nous, ce projet permet de croiser nos possibilités économiques et nos aspirations de vie. » Nora développe : « Apprendre à vivre ensemble dans un lieu commun, défendre l’idée d’une organisation alternative, lutter contre la spéculation immobilière... et puis, avoir un lieu de vie qui ressemble à nos lieux de vacances, ça nous plaît ! »
Solidarité financière, entraide et partage des tâches collectives
A l’origine de Mas Coop, il y a Cécile, Ahmed et leurs deux filles, venus de Seine-et-Marne ; Stéphanie, Eric, leur fils et leur fille, du Sud-Ouest ; et Raymond, belge et pyrénéen. Tous ont convergé au début des années 2010, via l’association Alter-Habitat Midi-Pyrénées, sur une initiative du même type dans le Gers. Dont ils ont fini par s’éloigner pour monter leur propre projet d’habitat participatif. « A L’Isle Jourdain, c’était parti sur la voie de l’autoconstruction, ce qui ne nous dérange pas en soi mais n’est pas central dans notre démarche. Nous, nous voulions une copropriété d’habitants qui permette de bloquer la spéculation », explique Cécile, 42 ans, présidente de la coopérative. Isabelle, qui travaille à Airbus, a vite rejoint le projet.
Les parts sociales de Mas Coop, 500 euros l’unité, sont divisées en trois catégories : A, pour les coopérateurs habitants ; B, pour les coopérateurs non-habitants ; et C, ne donnant pas de droit de vote, équivalant à une forme d’épargne solidaire. Un système de financement solidaire où personne n’est lésé : celui qui quitte la structure reprend ses parts. Au final, la coopérative assumera un budget global (emprunt compris) de 2 millions d’euros, dont 700 000 pour l’achat du terrain et du bâtiment.
Quatre des onze appartements sont déjà pris et quatre autres préemptés ; restent deux T2 et un T3. « La cooptation se fait plus ou moins naturellement, explique Eric, 35 ans, professeur des écoles dans le village voisin. Les gens intéressés viennent à nos réunions de travail, ils prennent connaissance de nos valeurs, de notre fonctionnement : la solidarité financière, l’entraide au quotidien, le partage des tâches collectives et puis ils reviennent... ou pas. Un des critères qui ne trompe pas sur l’engagement, c’est la participation régulière. »
« Notre projet est un acte politique »
Les statuts juridiques de la coopérative sont déposés, la commande architecturale est réalisée. Pour autant, il reste des places à occuper. Les coopérateurs de Mas Coop ouvrent leurs réunions de travail à qui veut y participer et organisent chaque mois une soirée « accueil du 13 », en mode auberge espagnole, où chacun peut venir s’informer sur le projet. Dimanche 28 mai, ils recevaient le public dans le cadre des journées « portes ouvertes européennes » de l’habitat participatif.
« Notre projet est un acte politique, assume Eric. Au sens où nous entendons bien montrer et démontrer que d’autres formes d’habitat, d’organisation collective et de consommation sont possibles dans notre société. » Et cela en s’impliquant pleinement dans la vie locale : « C’est une des valeurs portée par le projet », résume Stéphanie, 35 ans, compagne d’Eric et également professeure des écoles dans un village du coin. Les enfants de Mas Coop sont inscrits à l’école du village et au collège le plus proche. Les coopérateurs adhèrent à deux AMAP, ils réfléchissent à un projet de reprise d’une épicerie du village pour en faire un lieu associatif...
Autosuffisance énergétique
En interne, ces aspirations au lien social et à la solidarité locale sont censées s’incarner dans le grand bâtiment voué à devenir l’espace de vie de la communauté coopérative : une buanderie commune, un atelier de bricolage, une salle de musique, et une salle de jeu pour les enfants y sont envisagés. En plus des trois chambres d’amis et des quelques chambres d’hôtes, pensées aussi comme des espaces pour promouvoir, expliquer et défendre la démarche coopérative.
Une démarche dans laquelle la dimension écologique a naturellement trouvé sa place. « Tous les logements seront bioclimatiques, explique Raymond, 74 ans. De grandes ouvertures au sud pour emmagasiner la lumière et la chaleur du soleil, et une isolation parfaite, y compris phonique. Nous avons dépensé pas mal d’argent auprès d’un bureau d’études thermiques pour cela. » Une seule chaudière à granulés suffira à alimenter les radiateurs de tous les logements et les toits seront équipés de panneaux photovoltaïques. « On ne va pas produire notre propre – petite — consommation d’électricité mais on va l’acheter à un producteur et revendre l’énergie de nos panneaux solaires à EDF. » Une « opération zéro » qui devrait permettre à chaque foyer de bénéficier d’une subvention de 15 000 euros de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Mas Coop va également utiliser le récupérateur d’eau de pluie installé par l’ancien propriétaire — qui avait aussi eu la bonne idée de façonner une jolie petite piscine à l’intérieur de la maison.
« Me retrouver dans un tel projet, ça m’empêche de vieillir »
Très satisfait de l’aspect écolo du projet, Raymond, retraité, ingénieur de formation, ex-boulanger bio et veuf depuis 7 ans, se félicite aussi de sa dimension intergénérationnelle : « C’est un atout essentiel de l’habitat participatif. Me retrouver dans un tel projet, ça m’empêche de vieillir. Ici nous sommes en projection permanente, donc nous restons connectés de très près à la vie... » Pour l’instant, c’est lui qui, le matin, conduit les enfants à l’école. « Ce qui me plaît vraiment dans ce projet, assure Nora, 46 ans de moins que Raymond, c’est la diversité des coopérateurs, on arrive quasiment à recréer un petit échantillon de la société. »
« L’intérêt, aussi, d’une forme coopérative, c’est de ne pas être dans l’entre-soi », confirme Ahmed qui travaille dans l’informatique. De fait, dans le groupe, la diversité des trajectoires et des parcours est réelle. Mais le socle de « valeurs » est commun : quand a été évoquée la possibilité de réserver une ou deux chambres à des réfugiés syriens, « il n’a pas fallu faire dix tours de table pour tomber d’accord », se félicite Cécile.
Le reflet d’une société en mouvement
Ce dimanche, ils évoquent un récent rendez-vous bien garni en petits fours où deux d’entre-eux sont allés « se montrer à la banquière ». On y discute aussi des relations avec le bailleur qui va gérer les opérateurs du bâtiment, des derniers conseils d’Habicoop [1], une structure fédérée qui les accompagne à toutes les étapes.
Attendant « encore un peu » avant de s’engager totalement dans le projet, Benoît et Nora ont pour l’instant seulement acquis des parts de type B. Mais ils sont très impliqués. « C’est quelque chose qui est hyper présent dans notre quotidien, explique Nora. On est chacun dans une commission, qui sont les véritables espaces de production avant les restitutions au collectif lors des réunion de travail tous les quinze jours. »
Sur les vitres de la pièce, quelques affichettes donnent les modes de communication gestuels très en vogue à Nuit Debout. Depuis le début du mouvement contre la loi travail, celles et ceux qui le peuvent vont aux manifs sur Toulouse. En essayant, quand c’est possible, de faire coïncider ça avec un rendez-vous chez l’un des interlocuteurs du projet.
Emmanuel Riondé
Photos : Emmanuel Riondé
– sauf photo de une : bâtiments écologiques aux Pays-Bas
Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Médias de proximité, soutenu par le Drac Île-de-France.