Basta! : Quel est le bilan écologiste du gouvernement, selon vous ?
José Bové : C’est un peu compliqué de tirer un bilan écologiste. Je ne vois pas grand chose qui ait à voir avec l’écologie. Si le dossier Notre-Dame-des-Landes est aujourd’hui bloqué, c’est grâce aux mobilisations, et à la saisie de la commission des pétitions au Parlement européen, qui oblige à revoir de fond en comble l’ensemble des études d’impact. Sur les questions énergétiques, le gouvernement ne construit aucune alternative au nucléaire. L’Ademe – que l’on ne peut pas soupçonner d’être une officine gauchiste ou écolo-radicale – a rédigé un projet de transition vers le 100 % énergies renouvelables à l’horizon 2050 [1]. Mais le gouvernement n’a pas de projet qui amènerait une transformation énergétique dans le pays à horizon 2035 ou 2050 – peu importe la date. La loi promise est reportée tous les trois mois [2].
Sur un secteur qui me tient à cœur, l’agriculture, au-delà des grands discours sur l’agro-écologie qui ne veulent pas dire grand chose, ce qu’on retient surtout pour le moment, c’est la possibilité légale d’agrandir les porcheries ou les poulaillers, sans enquête préliminaire. Ainsi que la multiplication des projets industriels, sans aucune prise de position des ministères de l’Environnement et de l’Agriculture pour les bloquer.
Est-ce que cela signifie qu’il n’y a eu aucune mesure positive depuis le début du mandat en terme d’écologie ?
Je ne vois pas. Ce qu’il s’est passé à Sivens [projet de barrage] ou Roybon [projet de Center parcs] montre bien l’inadéquation des outils juridiques pour permettre le débat. Résultat, on se retrouve dos au mur : il faut alors une mobilisation, une occupation du terrain, une faille juridique pour bloquer les projets, comme à Sivens, où l’on a montré que cela ne pouvait pas fonctionner. Sur ces questions, le vieux logiciel socialiste reste englué dans le 19e, voire le 20e siècle pour les plus progressistes. Mais être progressiste aujourd’hui, cela ne veut rien dire. Il n’y a pas de « logiciel » écolo dans le projet socialiste. C’est complètement une autre culture.
Les socialistes sont totalement prisonniers de l’idéologie industrielle, de la course infernale à la croissance. Même en termes d’emplois – puisque c’est toujours le point central – ils affirment qu’il faut lier la croissance et l’emploi, et que grâce à 1 ou 1,5 point de croissance, on arrivera à créer des emplois. Changer de mode de production énergétique ou agricole nécessite de revoir complètement tous les critères qui permettent d’évaluer la façon dont la société peut progresser.
Y a-t-il une différence entre l’UMP et le PS sur les questions écologiques ?
Je n’en sais rien. Lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, nous avons mené des batailles, et gagné la loi sur les OGM en 2008 en faisant une grève de la faim. En 2011, une loi, certes imparfaite, a interdit la fracturation hydraulique. Ce sont deux combats importants. Pour tout le reste, Sarkozy est champion toutes catégories notamment en tant que VRP du nucléaire ! Aujourd’hui, certains discours du gouvernement ou du Parti socialiste paraissent plus sympathiques, mais où sont les lois concrètes ? Sur la prise en compte des OGM cachés, rien. Sur le nucléaire, cela ne bouge pas d’un millimètre. La construction du centre d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, ça continue. Nous avons failli avoir un retour du gaz de schiste. On nous a annoncé une diminution de 50 % des pesticides pour 2018, et le gouvernement a ensuite repoussé cet objectif de 10 ans [3]. C’est incroyable ! Nous aurions dû être beaucoup plus offensifs. Les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement auraient dû taper du poing sur la table. La logique idéologique est transcendée par la logique technicienne, qui prend le dessus. Ce « système technicien », cet emballement, est cautionné aujourd’hui par toutes les majorités politiques.
Quel bilan tirez-vous de la participation d’Europe Ecologie- Les Verts au gouvernement ?
Je ne me faisais pas trop d’illusions sur l’accord signé entre le Parti socialiste et les écologistes en 2011, car la pratique française de la démocratie ne prévoit absolument pas la possibilité de construire « un compromis de gouvernement ». Nous sommes dans une culture majoritaire de la politique : un parti domine, et celui qui passe un accord a le droit au mieux à quelques concessions – comme le fait d’être présent à l’Assemblée nationale. La mise en place de la proportionnelle intégrale permettrait de faire différemment. En Allemagne, quand un accord est signé entre deux partis pour faire une coalition, on y passe plusieurs semaines, mais tout est noté et signé ligne par ligne. Tout ce qui fait partie de l’accord est voté sans remise en cause, il y a une culture de construction du compromis. En France, nous sommes restés dans ce système républicain « monarchique » qui pollue toute possibilité de discussion et de compromis pour construire une majorité.
Aujourd’hui pour faire avancer l’écologie politique, faut-il rassembler à gauche du Parti socialiste ?
Je n’y crois pas non plus. Le débat n’est pas là. Dans la culture politique française aujourd’hui, il n’est pas possible de faire bouger les lignes sur l’écologie sans mobilisation sur le terrain, sans mouvements sociaux qui défendent l’écologie, sans que des gens portent une contestation.
Au-delà des mouvements sociaux, il faut quand même que cela se diffuse dans les partis politiques, que cela se traduise dans la loi...
Il faut voir comment construire à partir de là. Ce n’est pas demain – en 2017 ou 2022 – qu’un président écologiste sera élu. C’est impossible sans une modification radicale des règles de la démocratie. En attendant, nous sommes dans une écologie de résistance. Pour faire appliquer les règles signées en 2011 sur le nucléaire, c’est une bataille permanente. Heureusement, Areva nous donne un coup de main et fait foirer l’EPR à Flamanville ! On peut gagner sur ce dossier uniquement parce qu’il est bancal. Mais pour la fermeture de la centrale de Fessenheim, rien n’est gagné, car le lobby du nucléaire, c’est le lobby de l’État. Une culture absolument redoutable. Il ne faut pas seulement changer le logiciel idéologique des politiques, mais aussi nos institutions politiques qui sont complètement fermées. L’écologie reste un discours extérieur à la pensée de l’État.
Pour l’élection présidentielle de 2007, vous avez créé un rassemblement avec des mouvements sociaux, citoyens, des syndicalistes, qui n’a recueilli que 1,3 % des voix. Que feriez vous différemment aujourd’hui ?
J’essaierais de ne pas me faire avoir par les partis politiques. Du côté d’EELV, c’est ce qui s’est passé après l’émergence du formidable mouvement Europe Écologie en 2009, récupéré par les Verts. On voit la même chose du côté du Front de gauche où émergent deux forces politiques, avec un 3e pôle qui essaie de coordonner certains réseaux. C’est une coalition avec des contradictions d’appareils, qui coupent fatalement toute initiative. Aujourd’hui cette logique de coalitions d’appareils est mortifère. Cela annihile la capacité à créer des mouvements plus larges. Nous n’avançons que lorsque nous réussissons à dépasser les formes d’organisations traditionnelles.
Aujourd’hui l’écologie est un peu perçue comme « punitive », subie, ou comme une écologie de résistance, et non comme un projet désirable, qui attire, qui ne soit pas dans une logique défensive. Où peut se construire cette vision positive de l’écologie ?
Être radical n’empêche pas d’être pragmatique. La lucidité ne doit pas amener à rester chez soi ou à s’opposer systématiquement. J’essaie d’être pragmatique, c’est-à-dire d’utiliser tous les espaces possibles – y compris avec le gouvernement. Si demain nous avons une ligne claire du gouvernement, qui donne des garanties sur certains sujets, pourquoi ne pas essayer ? Je ne suis pas contre. Si demain un vrai projet de transition énergétique est sur la table, je dirais : « Je ne pensais pas que vous le feriez, mais banco, allons-y ». Ce n’est pas parce que c’est difficile et qu’on voit tous les écueils, qu’il ne faut pas tenter d’avancer dans chaque espace possible.
Ce projet d’une écologie désirable se construit-il aujourd’hui au sein d’EELV ? Ou les batailles d’appareils freinent-elles cette dynamique ?
Tout le monde sait que c’est le bordel chez les écolos. Je n’ai jamais été adhérent d’un parti politique. J’ai été élu député européen dans le cadre d’une dynamique collective. Ces derniers mois au sein d’EELV, on s’est retrouvés dans des batailles d’égos, entre ceux qui veulent devenir ministres à tout prix et ceux qui disent qu’il ne faut pas participer au gouvernement. Des batailles qui n’ont rien à voir avec les débats de fond. Cela me pose problème.
Que peut-il se passer en 2017 ? Y a-t-il un espace pour créer quelque chose de plus large, qui puisse être majoritaire ? Le problème est que la France est malade des présidentielles. Je suis bien placé pour le savoir ! En 2007, nous sommes entrés dans un jeu qui n’était pas le nôtre. La question se pose aujourd’hui différemment : sommes-nous capables de créer un espace politique qui puisse déboucher sur des choses concrètes ? Ce que je veux, c’est gagner des batailles concrètes.
Est-il possible de créer cet espace ?
La conférence sur le climat (COP21), en décembre, sera un test. Des mouvements, des associations, des forces politiques, qui considèrent le climat comme une question centrale, seront-ils capables de se rassembler, d’agir ensemble ? Serons-nous capables d’insuffler une dynamique jusqu’au mois de décembre, de mobiliser 300 000 ou 400 000 personnes dans la rue à Paris, à la veille de l’ouverture du sommet ? L’enjeu est là. Il ne suffit pas d’avoir raison sur le fond. Il faut être en capacité d’entrainer les gens et de faire un « Seattle du climat ». Il faut qu’il y ait une pression des citoyens pour obliger les gouvernements à agir, pour les obliger à ne pas céder en permanence à tous les lobbys. Si on réussit une large mobilisation, si les gens sont capables de s’écouter – et pas de se regarder en chiens de faïence en partageant un minimum de points communs –, nous aurons peut-être un espace pour faire quelque chose. Ce Sommet sur le climat est une chance, il peut être un test grandeur nature de notre capacité collective à faire bouger les lignes.
Que peut-on attendre des négociations lors de la COP21 ?
Rien de contraignant ne va sortir de cette COP. Depuis le Sommet de Kyoto en 1997, on sait que cela ne fonctionne pas. Ce sera au bon vouloir des États, et nous ressortirons avec un catalogue de promesses de chaque État. Et lorsque nous ferons l’addition des catalogues, on se dira : « Oui, cela va dans le bon sens ». Sauf si les citoyens se mobilisent. Mais je suis assez sceptique. Cette mobilisation doit permettre de dire que cette affaire nous concerne, que les États sont discrédités dans leurs façon de l’aborder. L’Union européenne n’a pas de compétence sur l’énergie, comment pourrions-nous construire un projet commun au 28 pays membres ? L’Europe, c’est 500 millions d’habitants. Si nous faisons bouger cet espace sur les questions énergétiques, l’impact sera très important en terme de lutte contre le réchauffement climatique. Une politique commune de l’énergie est essentielle, notamment une politique commune de sortie des énergies carbonées.
En France et en Europe, il y a moins de climatosepticisme qu’aux États-Unis, mais on a l’impression que des « fossoyeurs de bonnes solutions » mettent systématiquement en échec toutes les solutions…
A la Commission européenne et au Parlement européen, il y a une connivence très forte entre les instances de décision et les grands groupes industriels. Sur les questions économiques, madame Thatcher disait : « Il n’y a pas d’autre solution ». Les grands groupes jouent aujourd’hui ce rôle vis-à-vis des instances politiques, en affirmant : « C’est comme cela qu’il faut faire, il n’y a pas d’autres possibilités ». C’est une forme d’enfermement, on n’ouvre absolument plus les espaces de possibles. Comme s’il n’y avait qu’une seule solution : les réductions des émissions de CO2 sont conditionnées aux déclarations de l’industrie du charbon, de l’automobile, et aux menaces de licenciements. On pourrait avoir une organisation du travail différente avec des emplois dans d’autres secteurs. Mais ce n’est pas le logiciel de ces intérêts corporatistes, privés.
Ce n’est pas un problème de conviction pour les citoyens : ils sont prêts à entendre, comprendre, ils voient des conséquences dans leur vie quotidienne. Quand on habite près d’une côte, on voit bien comment le climat bouge. Les responsables politiques, comme les dirigeants d’entreprises, sont issus des mêmes générations, des mêmes écoles, ne tiennent absolument pas compte de la nécessaire révolution pour faire face à ce changement climatique. L’écologie est « ajoutée » à un autre discours – discours d’entreprise, socialiste, libéral, de droite, nationaliste (puisque maintenant il existe même une « écologie patriotique ») – dans un discours idéologique. Mais elle n’est pas un supplément d’âme, un supplément au socialisme... L’écologie est une transformation complète de la manière de penser l’économie, de penser le rapport à la nature et à l’environnement, c’est quelque chose de radicalement différent.
A ceux qui doutent du politique, qui s’abstiennent, qu’avez-vous envie de dire ?
Nous avons une responsabilité collective – ceux qui sont membres de partis, ceux qui sont élus, responsables dans des associations. Nous devons dépasser la logique où chacun a raison tout seul. C’est une spécialité très française. Nous avons beaucoup de mal en France à nous rassembler pour mener les combats, il y a une méfiance mutuelle face à de possibles récupérations. L’urgence climatique nous oblige à construire des réseaux beaucoup plus larges. Si nous sommes d’accord sur les constats, que l’on soit radical ou pragmatique, utilisons tous les espaces et outils possibles pour faire bouger ensemble les lignes.
Propos recueillis par Agnès Rousseaux et Sophie Chapelle
Photos :
– Une : manifestation à Rio en juin 2012 / CC Sophie Chapelle
– José Bové : CC Basta!
– Cet entretien a été réalisé lors du colloque La Bio dans les étoiles, à Annonay (Ardèche), le 17 avril 2015. Un événement organisé par la Fondation Ekibio, qui a pour mission de sensibiliser les citoyens à l’influence de l’alimentation sur la protection de l’environnement, de la santé et la restauration de la biodiversité agricole et du lien de solidarité entre producteurs et consommateurs.