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Les contrats à impact social : « cheval de Troie de la financiarisation des associations »

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par Rédaction

Les associations peuvent signer avec des investisseurs des « contrats à impact social ». Ceux-ci promettent de généreux retours sur investissement, mais menacent l’intérêt général, critique Marianne Langlet, du Collectif des associations citoyennes.

Un contrat à impact social est un outil financier qui vient du monde anglo-saxon. En France, un premier appel à projets de ces contrats a été lancé par l’État en 2016, pendant la présidence de François Hollande. Huit premiers contrats sont alors signés.

Portrait de Marianne Langlet en mode dessiné en bleu et violet
Marianne Langlet
coordinatrice de l’observatoire citoyen de la marchandisation au Collectif des associations citoyennes

Ensuite, le dispositif a été relancé en 2020 par le gouvernement. Trois appels à projets sont proposés en 2021 et 2022. Nous avons recensé 30 contrats à impact social passés depuis 2016. Peut-être qu’il en existe d’autres, au niveau départemental, dont on ne connaît pas l’existence. 

Ces contrats associent un investisseur financier, une association et l’État ou une collectivité territoriale. L’investisseur place de l’argent dans une action associative, délimitée dans le temps et innovante. Des indicateurs des résultats et de moyens – des mesures d’impact social - sont préalablement définis, ils doivent être simples pour être lisibles tant pour l’acteur associatif que pour les investisseurs financiers.

Mesures d’impact social

S’ils sont atteints, alors la puissance publique, État ou collectivité territoriale, rembourse l’investisseur financier avec des taux d’intérêts, voire des primes, calculés en fonction des résultats obtenus. À quel niveau sont ces taux d’intérêt ? On ne le sait généralement pas, car ces mécanismes financiers demeurent opaques.

Le taux exact de retour sur investissement a toujours été tenu secret. Lors du premier appel à projets, ceux qui promouvaient ces contrats à impact social assuraient que les taux restaient minimes entre o et 5 %, alors qu’à l’étranger ils pouvaient atteindre 10 à 13 %. Au moment de la deuxième vague de contrats, le gouvernement a appelé à se départir des ces considérations morales sur le maintien à un bas niveau des retours sur investissement. Il mettait en avant que pour attirer des investisseurs, il fallait des taux intéressants, il n’était donc pas tabou de les laisser monter en France jusqu’à 10 %, voire plus.

En décembre, nous avons enfin eu accès à une convention-cadre d’un contrat à impact social passé entre le Nord et une association du département. Si notre décryptage de ce langage financier complexe est juste, le taux de retour pour l’investisseur atteint 9,5 %, il est donc très élevé. 

Aucun risque pour l’investisseur

Les défenseurs de ce dispositif avancent que tout le risque est pris par les investisseurs financiers, car si les indicateurs de résultats ne sont pas atteints, l’investisseur n’est pas remboursé. En réalité, on s’aperçoit que le risque reste très faible, voire inexistant, pour l’investisseur. Les indicateurs de résultats - définis dans des commissions avec la collectivité, le financeur et l’association - sont extrêmement simples à atteindre. Par ailleurs, en lisant le contrat du Nord, on s’aperçoit qu’à tout moment ils peuvent être révisés à la baisse. 

Autre argument mis en avant : la collectivité ou l’État n’avance pas l’argent et ne paye qu’à la fin du programme. Or, là encore, la lecture du contrat du Nord montre que le déclenchement des remboursements par la puissance publique arrive très rapidement après le début du programme en fonction de seuil de résultats atteints. Les indicateurs fonctionnent en fait comme des paliers de remboursement, ils interviennent tout au long du programme.

Pour les associations, on peut comprendre que dans un contexte de recul et de raréfaction des subventions publiques, elles soient attirées par des mannes financières comme celle-là. Aujourd’hui les budgets des contrats à impact démarrent autour deux millions d’euros. Le contrepoint est un contrôle extrêmement poussé d’un point de vue financier, des remontées de données très régulières, des cadres de fonctionnement stricts.

Très cher pour les finances publiques

Nous avons, au collectif des associations citoyennes, différentes raisons d’être contre ces outils. Du point de vue technique déjà, parce que sont des usines à gaz, complexes, opaques, qui tentent de faire coïncider le langage de la finance avec le langage associatif. D’un point de vue pratique, ces outils alourdissent un peu plus le travail administratif et de remontées de données. Du point de vue politique, ils coûtent au final très cher pour les dépenses publiques et font primer l’intérêt particulier des investisseurs sur l’intérêt général.

Enfin, d’un point de vue éthique, la notion d’intérêt général disparaît dans une vision étroite de la mesure d’impact. L’accompagnement global des personnes, la prise en compte de leur point de vue, de leurs droits fondamentaux, s’effacent au profit d’une approche qui délimite un problème avec en face une solution, peu importe le reste. Sans parler d’une dépolitisation complète des associations qui, dans ce cadre, deviennent de simples opérateurs. Le contrat à impact efface les personnes, les professionnels des associations. 

Mobiliser sur ce sujet reste très difficile, même au niveau des élues, car c’est très technique et laborieux. Or, pour nous, ces contrats à impact social portent une transformation profonde du rôle des associations. L’évaluation par la mesure de l’impact, désormais de plus en plus utilisée dans les associations, marque cette transformation. L’évaluation de l’utilité sociale s’efface au profit d’un contrôle par la preuve de l’impact d’une action, par la preuve que l’argent placé rapporte ou non. Cet outil est un cheval de Troie de la financiarisation des associations. 

Marianne Langlet, coordinatrice de l’observatoire citoyen de la marchandisation au Collectif des associations citoyennes

Recueilli par Rachel Knaebel