Libéralisme autoritaire

Isolé comme jamais, Emmanuel Macron peut-il éteindre l’incendie qu’il a propagé ?

Libéralisme autoritaire

par Maxime Combes

En prenant la parole ce 17 avril, Emmanuel Macron souhaitait tourner la page des retraites. Enlisé et isolé comme jamais, il s’est donné 100 jours pour apaiser le pays et relancer son quinquennat. Personne n’y croit.

Par sa treizième allocution présidentielle prononcée sans contradiction en six ans à peine [1], Emmanuel Macron voulait refermer la séquence « retraites ». En vain. Plus de 300 concerts de casseroles, jusque dans les plus petites villes du pays, lui ont répondu qu’il n’avait ni l’autorité ni la légitimité d’en décider.

L’hôte de l’Élysée n’est plus le maître des horloges : les syndicats ont donné rendez-vous le 1er mai pour « casser la baraque » tandis que la nouvelle proposition pour un référendum d’initiative partagée (RIP) pourrait être validée le 3 mai, ouvrant justement une nouvelle étape dans la mobilisation sociale, citoyenne et politique. Les 100 jours d’apaisement que le président de la République a réclamé ressemblent plus à une demande de trêve unilatérale qu’à la relance d’un quinquennat mal en point.

Si le ton se voulait apaisé et les mots-clefs agencés comme un bingo, les treize minutes d’intervention n’ont pas suffi pour qu’Emmanuel Macron prononce un « mea culpa » sincère. D’emblée, il a même refermé sèchement l’une des ultimes portes de sortie qui s’offrait à lui : l’article 10 de la Constitution lui donnait le droit d’exiger du Parlement une nouvelle délibération. Rien n’aurait été plus normal pour un projet de loi dont plusieurs mesures, que divers parlementaires de la majorité comme des Républicains jugeaient indispensables à leur soutien, ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Il n’en a rien été. Le président assume pleinement d’avoir utilisé tous les bas-fonds autoritaires de la Constitution – l’article 47.1 qui sert à contraindre le temps du débat, ou le 49.3 qui sert à éviter un vote – pour imposer sa brutale mesure d’âge, quitte à piétiner les parlementaires et les millions de manifestant.es.

« Gouverner contre le peuple »

Peu soucieux de la sincérité de ses propos, Emmanuel Macron a poursuivi en assénant sans honte un mensonge pourtant maintes fois battu en brèche selon lequel le report de l’âge légal était « nécessaire pour garantir la retraite de chacun ». Au diapason de son gouvernement qui n’a cessé de mentir sur la retraite des femmes, les 1200 euros ou le risque fantasmé et erroné de faillite de notre système de retraites, le président de la République a tenté d’user de son autorité pour enterrer les contre-expertises [2] montrant que le report de l’âge légal, la mesure la plus brutale et la plus injuste qui soit, n’avait rien d’une évidence.

Rien d’une évidence pour financer notre système de retraites à court et moyen terme. Pas plus que pour faire des économies en matière de dépenses publiques et financer ainsi de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises, puisque là était le véritable objectif du report de l’âge légal à 64 ans tel qu’énoncé dans la loi de finance pour 2023. Alors que les aides publiques aux entreprises privées atteignent désormais les 207 milliards d’euros par an, et que le gouvernement veut les augmenter encore par la suppression des impôts de production et de nouvelles subventions en faveur du verdissement de l’industrie, les réduire de 4 à 5 % aurait permis de s’épargner un conflit social majeur pour le même montant d’économies attendues.

Mais non, Emmanuel Macron s’entête à affirmer qu’une seule voie est praticable, celle qu’il a définie seul et isolé à l’Élysée. Gouverner contre le peuple, contre l’opinion publique, contre les syndicats, contre les experts, seul contre tous, en utilisant les institutions et les forces de l’ordre pour museler les oppositions, voilà ce qu’Emmanuel Macron assume pleinement ce 17 avril. Une telle pratique politique est sans doute légale et constitutionnelle. Mais elle est et restera illégitime. Selon l’historien Pierre Rosanvallon, « l’esprit des lois a été bafoué » ouvrant « la crise démocratique la plus grave depuis la fin du conflit algérien ».

« Crise de régime »

Réclamer « 100 jours d’apaisement », comme le ferait le boxeur sonné ayant besoin de reprendre son souffle, augure mal de la capacité de l’hôte de l’Élysée à y répondre de manière appropriée. Il y a deux semaines, depuis Pékin, Emmanuel Macron avait écarté sans ménagement les mots de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, affirmant que le 49.3 transformait un conflit social en crise démocratique. Comment ne pas sourire quand il affirme désormais que « personne, et surtout pas (lui), ne peut rester sourd à cette revendication de justice sociale et de rénovation de notre vie démocratique ». L’abysse entre les paroles et les actes est tel que plus personne n’y croit : le président de la République a-t-il encore l’autorité et la légitimité nécessaires pour éteindre l’incendie qu’il n’a cessé d’attiser jusqu’ici ? Poser la question c’est en partie y répondre.

La séquence est donc loin d’être refermée. Au conflit social s’est greffée une crise démocratique qui s’apparente aujourd’hui à une crise de régime. « Une République à bout de souffle » selon le politiste et journaliste Fabien Escalona, considérant que trois de ses piliers dysfonctionnent : ses institutions ne produisent plus la légitimité escomptée, les compromis sociaux qui la fondent sont à revisiter et l’horizon que doivent lui donner ses dirigeants ne font plus sens [3]. Selon une récente étude d’opinion publiée par Libération, les trois quarts des personnes interrogées considèrent que la démocratie est en mauvaise santé, essentiellement parce que les élus sont déconnectés de leur réalité (74 %) et parce que la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron est trop autoritaire (54 %) [4].

« Une alternative politique et démocratique est possible »

Enlisé à l’Élysée, isolé comme jamais, Emmanuel Macron n’imprime plus : à peine annoncés, les trois chantiers clefs – le « travail », « la justice et l’ordre républicain », ainsi que « le progrès » – supposés ordonner l’action de l’exécutif lors des 100 prochains jours sont déjà oubliés. Que le président de la République en soit réduit à citer le chantier de Notre-Dame pour évoquer une réussite en dit d’ailleurs beaucoup de l’impasse politique dans laquelle il s’est enfermé. Il y a tout juste un an, Emmanuel Macron avait affirmé que ce second quinquennat devait « être écologique ou ne pas être ». Un an plus tard, l’inaction préside en la matière et les mouvements écologistes sont menacés de dissolution.

Au lendemain de la promulgation de la loi, dans les enquêtes d’opinion, près de deux personnes sur trois souhaitent toujours la poursuite du mouvement social. Celui qui se voulait « maître des horloges » a cessé de l’être. Le mouvement social et l’opinion publique sont désormais maîtres à bord : les mobilisations à venir, dont le 1er mai, ainsi que l’éventuel référendum d’initiative partagée (RIP) dicteront probablement l’agenda des semaines à venir. Les 100 jours de Napoléon se sont achevés par la défaite de Waterloo et l’exil. Une alternative politique et démocratique est possible à une nouvelle débâcle : elle exige d’être à la hauteur de ce défi historique.

Maxime Combes, économiste

Photo de une : Concert de casseroles le lundi 17 avril 2023, Place de l’Hôtel de Ville de Paris, alors qu’Emmanuel Macron prononce son discours. © Serge d’Ignazio

Notes

[1sans compter les vœux du 31 décembre

[2Dont celle-ci

[3Fabien Escalona, Une République à bout de souffle, Seuil Libelle, 2023

[4seuls 11 % la juge insuffisamment autoritaire