Tous les trois ans, les partenaires sociaux de l’Unedic décident du sort des chômeurs en signant des accords qui leur sont, chaque fois, plus défavorables. La négociation qui vient de s’achever n’échappe pas à cette logique malgré un contexte particulièrement grave. Le négociateur de FO Stéphane Lardy a parfaitement résumé la chose : « On a loupé une occasion d’avoir un texte qui réponde à la situation économique et sociale. » Et l’UMP d’annoncer la couleur, saluant « avec satisfaction » ce projet d’accord et conviant les syndicats à y « apporter dans les meilleurs délais leur signature. »
Stimulés par la trêve des confiseurs, c’est au bout d’une ultime séance-marathon que patronat et syndicats ont finalisé, mercredi 24 décembre vers 2 heures du matin, un accord "de crise". Il définit les nouvelles règles d’indemnisation du chômage pour les deux années à venir, au lieu de trois habituellement. Pour entrer en vigueur, ce texte doit recevoir, courant janvier, au moins trois signatures — dont celles d’un syndicat et d’une organisation patronale plus un troisième partenaire social —, puis être agréé par le gouvernement. Résultat de sept séances de négociations étalées depuis le 15 octobre, ces nouvelles modalités, établies à budget constant en dépit des préconisations de Bruxelles, s’appliqueront aux "primo-demandeurs", les autres privés d’emploi continuant à bénéficier du régime antérieur.
Les syndicats ont gagné la bataille de la « filière unique ». Comme certains d’entre eux le souhaitaient, il s’agit de simplifier les règles et d’élargir la couverture au plus grand nombre. Ainsi, 100.000 (de source syndicale) à 300.000 (de source patronale) allocataires supplémentaires pourront bénéficier d’une indemnisation après quatre mois de travail au lieu de six, selon le principe d’un jour cotisé, un jour indemnisé. De même, la durée maximale d’indemnisation est portée à 24 mois, contre 23 actuellement. Néanmoins, rien de très neuf pour les chômeurs ayant retrouvé un emploi et qui, comme avant, devront cotiser six mois pour rouvrir de nouveaux droits.
Des milliards pour les banques, rien pour les victimes du chômage
Si, pour les uns, ce système est plus souple que le précédent [1], il réduit la couverture de beaucoup d’autres. Tel un gâteau de taille inchangée duquel il faut obtenir davantage de parts, celles-ci seront forcément plus petites. « On va sortir énormément de personnes indemnisées, et beaucoup plus rapidement, vers les minima sociaux », a déploré le négociateur de la CGT Maurad Rabhi. La mise en place du Revenu de solidarité active (RSA), vanté comme le remède miracle censé améliorer l’ordinaire de ces personnes dès juillet 2009 - alors qu’il est en réalité nettement moins avantageux que les dispositifs actuels et, de surcroît, truffé d’effets pervers - a probablement pesé dans la balance.
Selon le patronat, la filière unique équivaudra à un surcoût de 270 à 700 millions d’euros pour l’Unedic. Cette estimation est très exagérée : si 200 à 300.000 privés d’emploi — des chiffres avancés par le Medef et la CFDT que la CGT juge « totalement fantaisistes » — pourront toucher une allocation deux mois plus tôt, ils seront autant, sinon plus nombreux, à sortir du régime (de un à neuf mois plus tôt comparé au système actuel).
Des milliards ont été dégagés pour les banques, aucun coup de pouce n’est prévu pour l’Unedic. Le montant des allocations et leur mode de calcul restent les mêmes. Leur niveau stagnera à 57,4% de l’ancien salaire brut bien que les syndicats aient souhaité le porter à 60%. Rien ne changera non plus pour les jeunes de moins de 25 ans. La ridicule « prime forfaitaire » de 300 € (remboursable !) envisagée un temps est tombée aux calendes grecques, le patronat ayant estimé qu’ils seront les premiers bénéficiaires de l’assouplissement des règles d’entrée.
Les rescapés du naufrage
Par contre, les seniors semblent étrangement épargnés : les 50 ans et plus conservent une durée d’indemnisation spécifique maximale de 36 mois [2]. Le texte prévoit aussi de reculer progressivement, de 60 ans et demi actuellement à 61 ans début 2010, l’âge à partir duquel l’indemnisation chômage peut être maintenue jusqu’à liquidation de la retraite à taux plein, au plus tard à 65 ans [3].
Epargnés aussi les travailleurs saisonniers. Les dispositions qui les pénalisaient dans la dernière convention de janvier 2006 sont abrogées, et le seuil des trois saisons au terme desquelles ils ne pouvaient plus bénéficier de l’assurance-chômage est supprimé. Quant à l’indemnisation de la CRP (convention de reclassement spécialisé, dispositif considéré comme peu efficace et destiné aux victimes de licenciements économiques dans les entreprises de moins de 1.000 salariés, soit 25% des licenciements actuels), elle est considérablement améliorée. Elle sera maintenue à 80% du salaire brut antérieur durant les 8 premiers mois au lieu de trois dans son ancienne version, puis à 70% durant les quatre mois restant.
La baisse des cotisations toujours au programme
Le patronat a nettement gagné la bataille des cotisations en réussissant un double tour de force. D’une part, à la demande de Laurence Parisot, Matignon a reporté pour une durée indéterminée la hausse des cotisations vieillesse qui justifiait la baisse concomitante des cotisations chômage. D’autre part, le patronat obtiendra dès que possible une baisse des cotisations chômage. Dès le 1er juillet 2009, une baisse de 0,5 point par an pourra s’appliquer si le résultat d’exploitation de l’Unedic présente un excédent de 500 millions d’euros sur un semestre [[Les comptes de l’assurance-chômage sont excédentaires depuis trois ans, mais son déficit cumulé s’élève toujours à 5 milliards d’euros (soit l’équivalent de l’actuel déficit de la branche vieillesse de la Sécurité sociale), et cela n’est pas prêt de s’arranger.]... Pour le chef de file de la délégation patronale, Patrick Bernasconi (Medef), réduire les cotisations est « un besoin vital dans la situation de crise que traversent les entreprises ». En temps normal, à force de privilégier leurs actionnaires, elles font subir leurs choix économiques à la collectivité tout entière, évitant au maximum d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis de l’emploi et considérant les salariés comme une variable d’ajustement qu’on licencie ou pousse en retraite anticipée. Leur lamentation revendicative atteint aujourd’hui des sommets de cynisme ! Côté syndical, la seule à refuser tout compromis (n’en déplaise à la CFDT…) est la CGT : quoiqu’il advienne, à court, moyen ou long terme, déshabiller les chômeurs pour habiller les retraités demeure « inacceptable ».
Signera, signera pas ?
Les organisations syndicales, visiblement « déçues » et « amères », rendront leur décision comme suit : la CGT le 6 janvier (elle ne signera pas), FO « après le 6 », et la CFDT le 8 - tentée comme à son habitude de signer mais ne souhaitant pas le faire « toute seule », elle persiste et entend bien rallier à sa cause d’autres syndicats malgré la sanction qui leur a été infligée lors des récentes élections prud’homales. La CFTC se prononcera le 12 et la CFE-CGC le 20.
Dans ces conditions, pour 2009, on ne peut qu’espérer une seule chose : que les syndicats accordent leurs violons et refusent, tous en bloc, de signer cet accord, qu’ils fassent enfin leur boulot, ensemble, et monter la pression en vue d’une mobilisation générale qui ne se limite pas qu’à la journée du 29, qualifiée d’inédite depuis le CPE. A cause de l’agitation grecque, Nicolas Sarkozy a émis quelques craintes au sujet de la paix sociale en France. L’Elysée est tenté de régler à sa façon le dossier de l’assurance-chômage en cas d’échec du paritarisme. La rue pourrait l’en dissuader.
Sophie Hancart