Pourquoi le ministère de l’Intérieur veut-il faire interdire les congés menstruels des collectivités ?

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Des collectivités territoriales tentent à travers la France d’instaurer des congés pour les agentes souffrant de pathologies gynécologiques, comme des règles douloureuses. Mais le ministère de l’Intérieur essaie systématiquement d’annuler ce droit.

par Agathe Di Lenardo

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Pour la métropole de Strasbourg, c’est « un levier concret pour l’égalité professionnelle ». Et pourtant, le congé de santé gynécologique, dit congé menstruel, mis en place pour les agentes de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg en septembre 2024 vient d’être retoqué en justice.

Avec cette mesure, les agentes qui souffrent de pathologies gynécologiques incapacitantes pouvaient disposer de treize jours de congés exceptionnels par an. Ils étaient délivrés sous forme d’« autorisations spéciales d’absence », qui permettent de s’absenter ponctuellement sans perte de salaire. Entre septembre 2024 et fin mai 2025, 67 agentes ont bénéficié de ces congés. Mais la mesure a été attaquée par la préfecture du Bas-Rhin. Et le 24 juin, le tribunal administratif de Strasbourg a décidé que ce dispositif ne pouvait pas être institué par une collectivité, faute de cadre légal.

Il s’agit de la première décision sur le fond à ce sujet en France, alors que depuis 2023, plusieurs collectivités aux quatre coins de la France ont instauré un congé menstruel pour leurs agentes. Ces congés ont été attaqués par les préfectures à plusieurs reprises et parfois retoqués par les tribunaux administratifs, par exemple à Toulouse et à Grenoble. Ces décisions risquent de décourager les collectivités qui veulent mettre en place de tels congés.

« Une vigilance accrue » demandée aux préfectures

D’autant plus que, pour freiner ces initiatives, la direction générale des collectivités locales (DGCL), attachée au ministère de l’Intérieur, a diffusé le 21 mai une circulaire aux préfectures, leur demandant de systématiquement refuser la mise en place des congés menstruels dans les collectivités. Le texte rappelle que « seul le cadre juridique national peut instituer des autorisations spéciales d’absence » et que « le cadre légal en vigueur ne prévoit aucun motif pour raison de santé lorsqu’il est dénué de lien avec la parentalité ».

Des collectivités ont voulu passer par des expérimentations locales, prévues par la Constitution, pour mettre en place les congés menstruels. Mais ces expérimentations doivent être « préalablement autorisées par une loi » et sont donc, dans les cas présents, jugées « illégales », selon la circulaire du ministère de l’Intérieur. La DGCL demande donc aux préfectures une « vigilance accrue » et leur suggère d’adresser aux collectivités ayant pris de telles délibérations « un recours gracieux, puis, le cas échéant, [de] déférer la décision au tribunal administratif ».

La DGCL estime que les dispositifs de congés déjà existants doivent être privilégiés « pour traiter la question des règles incapacitantes », comme le recours aux arrêts maladie ou au télétravail. Mais ces mesures sont inefficaces, selon Karine Daniel, sénatrice socialiste de Loire-Atlantique. Elle soutient le département qui souhaite à son tour mettre en place ces congés en 2026. « Lorsque l’on connaît les délais pour avoir un rendez-vous médical, d’autant plus dans les déserts médicaux, on sait que l’arrêt maladie n’est pas envisageable, explique-t-elle. Quant au télétravail, il ne consiste pas à être au fond de son lit en se tordant de douleur… Et il est aussi inéquitable, car toutes les agentes ne peuvent pas y avoir recours, comme les bibliothécaires ou les agentes des écoles maternelles (Atsem). »

Faire bouger la loi

À Strasbourg, l’Eurométropole et la ville ont fait appel de la décision de justice administrative. D’autres collectivités comptent bien, elles aussi, ne pas baisser les bras. « Les expérimentations des collectivités ont montré des résultats positifs, a communiqué le département de Loire-Atlantique. Une meilleure reconnaissance des douleurs menstruelles, une diminution de l’absentéisme non anticipé, ainsi qu’une ouverture progressive sur ce sujet encore souvent tabou. » Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne, veut lui aussi rendre possible ce congé menstruel pour les agentes de son département : « J’irai jusqu’au tribunal administratif s’il le faut. Il faut provoquer le débat et aller chercher ce droit pour combattre cette inégalité entre les femmes et les hommes ».

La sénatrice Karine Daniel encourage les collectivités à défier l’opposition du ministère. « C’est comme ça que le droit bougera, par la pression des élus locaux, assure-t-elle. Leur décision se fera probablement retoquée par la justice administrative, mais cela va montrer la nécessité de faire passer une loi. Il est temps que l’État prenne davantage en considération les enjeux liés à la santé des femmes. »

En février 2024, au Sénat, la droite avait rejeté une proposition de loi socialiste qui voulait permettre aux femmes souffrant de règles invalidantes de bénéficier d’un congé menstruel. « J’ai déploré alors le conservatisme de la droite et son indifférence quant à la douleur des femmes, dit Karine Daniel. C’est au monde du travail de s’adapter à elles, pas l’inverse. »

Le député socialiste d’Ille-et-Vilaine Mickaël Bouloux a déposé en avril 2025 une nouvelle proposition de loi, à l’Assemblée nationale cette fois, « visant à créer un arrêt de travail indemnisé et un aménagement en télétravail pour menstruations incapacitantes ». La date d’examen de cette proposition n’est pas encore connue. De quoi raviver les espoirs de toutes les femmes souffrant de règles douloureuses. Ce qui concerne des millions de personnes en France.