Étrange scénario que celui qui s’annonce ce vendredi 16 octobre dans le tribunal correctionnel d’Annecy, en Haute-Savoie. Une inspectrice du travail et un ancien salarié de Tefal (entreprise productrice d’ustensiles ménagers) seront sur le banc des accusés, pour avoir osé dénoncer les connivences entre la direction de l’entreprise et les responsables départementaux de la Dirrecte (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Ils risquent respectivement cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende, et un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende ! Des amendes importantes à comparer avec la faiblesse de celles que risquent des employeurs violant la législation sur le travail (lire notre enquête). Les dirigeants de Tefal, en dépit des délits relevés par l’inspectrice du travail, seront sur le banc des victimes.
C’est en avril 2013 que les ennuis de l’inspectrice du travail Laura Pfeiffer commencent. Convoquée par son supérieur hiérarchique, elle se voit reprocher d’avoir demandé à la direction de Tefal de renégocier l’accord sur la réduction du temps de travail, qu’elle avait jugé illégal, après s’être penchée sur le texte à la demande d’un syndicat. Quelques mois plus tard, en octobre, on apprend que l’entreprise Tefal aurait fait pression sur le directeur départemental du travail pour recadrer son inspectrice un peu trop regardante. C’est un salarié de l’entreprise, licencié depuis, qui avait révélé – mails à l’appui – la bonne entente entre la direction de Tefal et le responsables de la dirrecte. Deux ans plus tard, en 2015 donc, Laura Pfeiffer est poursuivie pour avoir dénoncé ces pressions de Tefal. De même que le lanceur d’alerte, ex-salarié de l’entreprise.
Une conception singulière de l’ordre public
Ce mercredi 14 octobre, le procès-verbal établi pour entrave au fonctionnement du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) de Tefal par l’inspectrice poursuivie a en plus été classé sans suite ! Le Parquet d’Annecy semble préférer poursuivre les lanceurs d’alerte, soucieux de faire respecter le code du travail, plutôt que de se pencher sur ces étranges connivences. Face à ce qu’ils perçoivent comme une atteinte à leur indépendance, pourtant garantie par la convention de l’Organisation internationale du travail, les inspecteurs sont vent debout. Une intersyndicale réunissant la CGT, la CNT, FO, FSU et Solidaires appelle tous les agents à se mettre en grève ce vendredi 16 octobre et à se rassembler à Annecy.
« Nous n’oublions pas les propos tenus par Eric Maillaud, procureur de la République d’Annecy (...) qui trahissent le caractère politique de ce procès », soulignent les syndicats. En juin dernier, au moment où devait se tenir l’audience finalement reportée ce 16 octobre, le procureur d’Annecy Éric Maillaud avait déclaré à une journaliste de l’Humanité que l’affaire Tefal était « l’occasion de rappeler à l’ordre et de faire le ménage » parmi les inspecteurs du travail. Scandalisés par les choix du Parquet d’Annecy, les agents de contrôle sont aussi très choqués de l’absence de soutien de leur ministère, qui n’a jamais manifesté le moindre appui à Laura Pfeiffer. La menace d’une plainte auprès de l’OIT pour entrave à l’indépendance de l’inspection du travail, ne semble faire aucun effet à Myriam El Khomri, actuel ministre du Travail. Pas plus qu’à ses prédécesseurs, François Rebsamen et Michel Sapin. L’intersyndicale exige la relaxe pour l’inspectrice du travail et pour le lanceur d’alerte.