Bouygues a joué « un rôle central » dans le recours au travail dissimulé de centaines d’étrangers sur le chantier de l’EPR de Flamanville entre 2008 et 2012 : ce sont les conclusions du Parquet de Cherbourg qui a requis 150 000 euros contre le géant du BTP ce vendredi 13 mars. Les sous-traitants auxquels Bouygues avait recours ont également été mis en cause : 80 000 euros ont été requis contre l’entreprise roumaine Elco. Une agence d’intérim ayant son siège en Irlande et des bureaux fictifs à Chypre, Atlanco Limited, a écopé de 225 000 euros d’amende. Absente pendant toute la durée du procès, cette entreprise « n’a qu’un objectif, contourner le paiement des cotisations sociales en France (...) au mépris des droits des travailleurs », a estimé le procureur, qui a demandé à ce que la société off-shore soit interdite d’exercer en France. Autres entreprises incriminées : la filiale de Bouygues, Quille Construction, et la société nantaise Welbond.
Les entorses au droit du travail sur le chantier de la centrale nucléaire sont dénoncées depuis longtemps. Jacques Tord, chargé de mission CGT sur le site, a ainsi souligné dès 2008 des manquements graves en terme de sécurité, et les conditions de vie indignes des travailleurs étrangers (lire notre reportage). L’autorité de sureté nucléaire (ASN), compétente en matière d’inspection du travail sur les chantiers nucléaires, a pointé diverses « irrégularités » dès 2009, dont la sous-déclaration des accidents du travail. Cette même année, Jacques Paget, responsable de la sécurité de Bouygues, a exercé son droit d’alerte et de retrait, suite à la découverte d’un taux d’accidents très élevé. Il a connu le sort réservé à ceux qui privilégient l’éthique : il a été licencié.
La Justice s’est penchée sur le dossier à partir de 2011. Suite au premier accident mortel survenu sur le chantier, le procureur de Cherbourg Eric Bouillard ouvre une enquête pour homicide involontaire. Puis, il lance d’autres enquêtes, notamment pour travail dissimulé. Les auditions, perquisitions et saisies durent deux ans, jusqu’au renvoi en correctionnelle du géant du BTP, la semaine dernière. Absentes du procès, les principales victimes, à savoir les salariés « fantômes », ont souffert de divers « manquements » : pas de congés payés, ni de couverture santé et chômage, des salaires plus bas que ceux de la convention collective, des horaires ultra flexibles, des durées hebdomadaires de travail irraisonnables. Autres victimes collatérales : l’Urssaf et les impôts, qui ont perdu plus de 22 millions d’euros. Ils pourront, en fonction du jugement, demander un recouvrement.