Le 20 février 2025, les agriculteurs et agricultrices de la Région Auvergne-Rhône-Alpes ont découvert dans leurs boîtes aux lettres un courrier signé par le président de région, le LR Fabrice Pannekoucke et son conseiller spécial, le député LR Laurent Wauquiez - critiquant l’Office français de la biodiversité.
L’OFB y est qualifiée de « coalition d’idéologues » qui entendrait « empêcher » les agriculteurs de « travailler et de vivre dignement ». « Nous espérons que se posera sérieusement la question de sa dissolution », écrivent les deux élus dans leur courrier. Cette lettre anti-police de l’environnement appelle les agriculteurs et agricultrices à se tourner vers la région « pour bénéficier d’une aide juridique en cas de litige avec l’Office français de la biodiversité ».
Ce courrier signé de la région, dont le coût postal est estimé à 65 000 euros par la Confédération paysanne Auvergne-Rhône-Alpes, suscite l’indignation. Voici ci dessous la réponse d’agricultrices et agriculteurs basés dans la région.
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« Pour donner suite à votre courrier du 7 février 2025 adressé aux agriculteurs et agricultrices de la région Auvergne Rhône-Alpes), nous souhaitons par la présente vous faire part du point de vue d’une partie de la population rurale de la région.
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Dans cette lettre, vous suggérez que c’est à cause de l’Office Français pour la Biodiversité (OFB) qu’une majorité croissante d’agriculteurs et d’agricultrices ne vivent pas dignement de l’exploitation de leurs terres. Pensez-vous sincèrement qu’en supprimant l’OFB, le revenu et la dignité des agricultrices et des agriculteurs en seraient améliorés ? Les revendications des agriculteurs et des agricultrices qui se mobilisent depuis plus d’un an portent avant tout sur le revenu agricole.
La faiblesse des revenus est en majeure partie liée à la logique de l’industrie agroalimentaire qui tire les prix vers le bas, aux coopératives agricoles qui spéculent sur l’achat/vente de céréales, aux semenciers, à l’industrie des phytosanitaires et aux concessionnaires agricoles qui prélèvent la valeur ajoutée au détriment des exploitations familiales françaises. Vous avez transformé cette demande en un simple et inefficace abaissement des normes.
Vous désignez ensuite un bouc émissaire qui est pourtant porteur d’une véritable mission de protection de la population. Quid par exemple des pollutions des rivières et des nappes phréatiques lorsque l’OFB ne pourra plus les contrôler ? Car vous omettez par exemple de rappeler le coût de la dépollution de l’eau potable pour la collectivité, dont vous portez une lourde responsabilité en encourageant l’abaissement des normes environnementales.
Comme vous le savez, l’OFB effectue statistiquement une visite tous les 120 ans sur une ferme. La fréquence de visite de l’OFB semble dérisoire comparée aux contrôles liés aux normes sanitaires excessives, mise en place pour des élevages industriels et appliqués à nos petits élevages. Lorsque l’on travaille en respectant le vivant et ses dynamiques, l’OFB ne fait pas le déplacement.
Vous mentionnez l’exemple d’un céréalier poursuivi pour avoir détruit un barrage de castor. Pour rappel, le castor est un animal protégé, tout comme son habitat. Il est même un acteur providentiel pour nous aider à lutter contre les épisodes de sècheresse. Car bien davantage que l’OFB et les castors, ce sont les effets du dérèglement climatique qui nous préoccupent au plus haut point.
Si une partie des missions de la police de l’environnement amène à contrôler les agriculteurs et agricultrices, c’est que le modèle agricole dominant est préjudiciable pour les écosystèmes. Les agriculteurs et agricultrices sont pris entre de nombreuses injonctions contradictoires. Ils et elles ont été poussées par les responsables politiques et les groupes industriels vers un modèle ultra-productiviste.
Sous la pression des coopératives, des grandes surfaces et des banques, nombre d’agriculteurs ont perdu leur pouvoir de décision et leur maîtrise du métier. Ils sont devenus de simples exécutants pour des fournisseurs de produits spécialisés souvent considérés comme les sachants de l’agriculture, méprisant les savoirs paysans.
Consacrer deux paragraphes à tenter d’amalgamer le dérapage malheureux d’un syndicaliste de l’OFB à la position générale de l’OFB est une insulte à notre intelligence. Feriez-vous un tel courrier à propos de la police nationale ou de la gendarmerie ? Vous suggérez que si une loi ne nous plaît pas, il est possible de ne pas l’appliquer, assisté par les services juridiques de la région, en est-il de même pour les contrôles fiscaux, les amendes pour excès de vitesse, ou le respect des normes sanitaires ?
Venant de la part d’élus de la république, qui utilisent l’argent du contribuable pour envoyer des courriers aux agriculteurs dans un but pré-électoral à peine déguisé, cette invitation est complètement déplacée.
Les départements de la Drôme et de l’Ardèche figurent parmi les premiers départements bio de France. Vous montrez par votre courrier une réelle méconnaissance du territoire que vous avez pour mission d’administrer.
Sachez, messieurs, que beaucoup d’agriculteurs et agricultrices de ce territoire ne soutiennent pas le modèle d’agriculture encore dominant ; que nombreux également sont celles et ceux qui le pratiquent mais souhaiteraient en sortir car ils constatent que cette agriculture ultra-productiviste est sans avenir sur le long terme.
En d’autres termes, pour l’avenir de tous les habitants et habitantes de la région, les personnes élues pour la gouverner devraient soutenir une agriculture locale vertueuse qui nourrit les populations en préservant la santé de toutes et tous et qui ne met pas à mal sa biodiversité. Le devoir des pouvoirs publics, que vous représentez, est de nous protéger et à l’heure actuelle, vous y faites défaut.
Sans biodiversité, pas d’aliment
L’association des Fermes Paysannes et Sauvages est née il y a quatre ans dans le bassin valentinois et réunit près de 30 exploitations agricoles qui œuvrent à produire des aliments de qualité tout en permettant le retour de la vie sauvage au cœur de nos espaces agricoles. Certaines agricultrices et agriculteurs de l’association construisent même des ouvrages inspirés des castors, dans le respect des lois liées aux cours d’eau, pour tenter de ralentir l’eau et de réhydrater les nappes phréatiques et ainsi atténuer les sécheresses en été.
Être agriculteur ou agricultrice n’est pas antinomique avec le fait de défendre la biodiversité, cela peut même être l’inverse. Nous souhaitons attirer votre attention sur un fait qui semble vous avoir échappé : la biodiversité est à la base des dynamiques écologiques sur lesquelles s’appuie la production agricole (photosynthèse, germination, croissance, pollinisation, etc), qui sont des processus à l’œuvre depuis la nuit des temps et les piliers de notre agriculture. Sans eux, pas de production, pas d’aliment.
Or depuis 70 ans que nous pratiquons en Europe l’agriculture dont vous vous faites les porte-parole, nous connaissons en Europe une chute sans précédent de la biodiversité. Cela s’appelle scier la branche de l’arbre sur laquelle nous sommes assis. Nous le refusons et soutenons l’OFB.
L’Association des fermes paysannes et sauvages