Face à la situation de détresse de nombreux agriculteurs, la police de l’environnement est l’ennemi désigné de la FNSEA et de la Coordination rurale. Les locaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) ont été saccagés dans la Creuse ce 19 novembre par des agriculteurs de la Coordination rurale. La veille, la FDSEA de l’Oise (section départementale du syndicat majoritaire) a muré les locaux de l’organisme public avec des parpaings pour dénoncer les contrôles menés par les inspecteurs de l’environnement. Ces images et actions rappellent celles qui ont marqué la crise agricole au début de l’année 2024.
Trente-six actions ciblées contre l’OFB ont été recensées au premier semestre et huit opérations anti-OFB ont encore eu lieu en octobre dernier, indique Le Parisien. L’une de ces actions aurait pu coûter la vie à un agent. Le directeur départemental de l’OFB du Tarn-et-Garonne a découvert que l’une des roues de sa voiture avait été déboulonnée à l’issue d’une réunion organisée à la chambre d’agriculture le 8 octobre à Montauban. Au 12 novembre, l’OFB dit avoir déposé une cinquantaine de plaintes pour des dégradations et menaces à l’échelle nationale. Le 20 novembre, un tracteur a foncé dans un véhicule de service occupé par deux agents, indique le SNE-FSU, syndicat national de l’environnement.
Moins de 1 % de fermes contrôlées
D’où vient cette hostilité ? Parmi les 4600 inspectrices et inspecteurs de l’environnement répartis sur le territoire national, 1700 appartiennent à l’OFB. Les agents de cet organisme public sont notamment chargés de faire respecter le Code de l’environnement, à travers des contrôles administratifs – sous la houlette du préfet – et des enquêtes judiciaires – sous la supervision du procureur. Sur le terrain ce sont eux qui, par exemple, font respecter les restrictions de consommation d’eau en période de sécheresse, surveillent l’entretien des haies ou encore la pollution des cours d’eau.
Leurs contrôles sont loin de viser uniquement le monde agricole. Leurs investigations portent beaucoup sur les pratiques des industriels, expliquions-nous dans cette enquête. Ainsi, sur les 21 635 contrôles administratifs réalisés en 2023 par l’OFB, seulement 2759 l’ont été dans le monde agricole. Soit moins de 1 % de fermes contrôlées sur les 400 000 exploitations que compte la France. Selon un récent rapport du Sénat, seules 86 situations ont conduit à des rapports de manquement administratif. « 115 situations ont pu être régularisées grâce au travail collaboratif entre les agents de l’OFB, les agriculteurs et les autres administrations, faisant cesser les poursuites » souligne le rapport.
Concernant les enquêtes judiciaires, sur les 6000 menées par l’OFB en 2023, 20 % concernaient le monde agricole, soit 1200 agriculteurs. À la suite du mouvement agricole en début d’année, consigne a été donnée par le gouvernement de lever le pied. Résultat, sur les six premiers mois de l’année 2024, le nombre de contrôles administratifs des agriculteurs a diminué de 68 % par rapport à la même période en 2023, rapporte France TV info, et le nombre d’enquêtes judiciaires a baissé d’un tiers.
Sentiment de surcontrôle
Malgré ces données, « les représentants syndicaux estiment que les agriculteurs font arbitrairement l’objet d’un surcontrôle par rapport aux autres professions et publics », souligne le rapport du Sénat. « Le ressenti des agriculteurs doit être mieux pris en compte, car ils sont également contrôlés à plusieurs autres titres, qu’il s’agisse de la Politique agricole commune (PAC), des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et bien d’autres encore, ce qui peut alimenter un phénomène de ’’caisse de résonance’’ bien compréhensible », précise-t-il.
Dans le livre Polices environnementales sous contraintes (éditions Rue d’Ulm, février 2024), les auteurs soulignent que « pour des agriculteurs déjà dépendants de plusieurs autorités publiques, l’émergence de nouvelles autorités répressives autour de l’eau, puis de la nature, est perçue comme une provocation ». De nombreux agriculteurs considèrent les réglementations environnementales comme des contraintes sans contrepartie, dans la mesure où ils ne voient pas leur revenu augmenter. Dans ces conditions, la police de l’environnement apparaît comme le parfait bouc émissaire.
« La police de l’eau et de la nature est une figure repoussoir qui symbolise une contrainte écologique bureaucratique », ajoutent les auteurs du livre. « Les inspecteurs sont dépeints comme des ’’cow-boys’’, voire des ’’ennemis’’ des agriculteurs. » « Tout se passe comme si la pression économique que subissent les agriculteurs, imposée par les acteurs financiers ainsi que par les entreprises d’agrofourniture et de négoce, renforce une critique qui n’est pas directement dirigée vers ces acteurs, mais vers la réglementation environnementale. »
Division du monde syndical agricole
La Coordination rurale considère ainsi que la disparition des fermes est liée à « la pression administrative, réglementaire et judiciaire, menée entre autres par l’OFB, qui permet de moins en moins de mener de front son travail d’agriculteur et la gestion administrative de son exploitation ». C’est oublier le rôle des décisions politiques prises depuis des décennies en cogestion avec la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. Ce dernier, niant toute responsabilité dans la disparition des fermes, préfère ainsi focaliser ses revendications depuis le début du mouvement agricole, sur l’affaiblissement des normes environnementales. Notre chronologie sur les 60 ans d’actions violentes de la FNSEA démontre d’ailleurs la constance de ce syndicat dans les attaques visant des instances représentant la défense de l’environnement.
Ces positions ne sont pas partagées par la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole en France. « Demander l’arrêt de toutes les normes environnementales et sociales qui nous encadrent, c’est la facilité », estime Nicolas Clair, porte-parole de la Confédération paysanne de la Loire. « Ce ne sont pas les normes environnementales ou nos droits sociaux que nous devons affaiblir. C’est une protection contre la concurrence déloyale que nous devons obtenir. » Ces attaques visant l’OFB confirment une chose : l’unité agricole est une vaste supercherie.
Sophie Chapelle (texte) et Lisa Damiano (vidéo)
photo de une : Crédit : Laetitia Notarianni / Hans Lucas