Huit grandes journées d’action, dont certaines avec des chiffres record de participation, et plusieurs millions de manifestants au total. Une réforme dont le contenu est largement rejeté par l’opinion. Une rare unanimité de l’ensemble des confédérations syndicales pour s’y opposer. Une multitude de témoignages de travailleuses et salariés qui disent leur inquiétude de ne pas pouvoir tenir physiquement jusqu’à 64 ans. Des décryptages et analyses à foison, qui montrent l’injustice d’une réforme qui pèsera davantage sur les femmes, celles et ceux exerçant des métiers difficiles ou ayant commencé à travailler tôt, sans diplômes. Et comment le gouvernement a réagi à tout cela ?
Par le mépris. Le mépris de la démocratie d’abord, en imposant ce texte par l’article 49-3, sans même prendre la peine de le faire voter, comme si de rien n’était. Comme si rien ne s’était passé. Comme si deux mois de manifestations, de grèves, de prises de parole n’avaient pas existé. Comme si l’expression des leaders syndicaux et celle des centaines de milliers de salariés sacrifiant un, voire plusieurs jours de congés pour aller manifester, étaient nulles et non avenues.
Ce non-débat est « un ébranlement du sens et des fondements de la notion de légitimité, un ébranlement des formes d’expression de la démocratie, un ébranlement de la notion même de représentation et un ébranlement du fonctionnement parlementaire », estimait l’historien Pierre Rosanvallon [1]. Si le gouvernement et les parlementaires de la « représentation nationale » qui le soutiennent sont incapables d’écouter des arguments de bonne foi, de faire preuve d’empathie et d’amender leur projet en conséquence, à quoi bon une démocratie parlementaire… C’est l’insidieuse et dangereuse idée, déjà trop répandue au vu de la défiance des institutions, que les macronistes viennent, sciemment ou non, de durablement renforcer.
Pour nombre de personnes, ce mépris social aura des effets immédiats : sur leurs vies, sur leurs proches, sur la motivation qu’elles mettent dans leur travail. « J’ai des collègues qui arrivent péniblement à 60 ans, qui devaient partir bientôt en retraite et prennent de plein fouet de devoir faire quelques mois supplémentaires. Ils sont au bout du rouleau », nous raconte un infirmier en bloc opératoire. « Dans le BTP, à part les grues, il n’y a pas grand-chose pour soulager les ouvriers. Les collègues de 50 ans ont le dos et les articulations cassés », nous confie Marc, un grutier toulousain. « Notre métier est trop dur. J’ai des problèmes aux articulations. Je ne vois pas comment je pourrai continuer jusqu’à 64 ans », témoigne Aïcha, employée dans le nettoyage. Nous pourrions multiplier ces récits à l’envi. Mais qu’importe, pour le gouvernement et ses soutiens, ces réalités du monde du travail, aussi massives soient-elles, sont quantités négligeables.
Que produira ce double mépris, social et démocratique ? Quelles seront ses conséquences politiques, sur l’état de la société ? Nous en paierons probablement le prix en 2027. À moins qu’une alternative n’émerge du mouvement social en cours.
Ivan du Roy
Photo : © Anne Paq